Etude Timbuktu Institute : LE NDOMO DE SEGOU,UNE EXPERIENCE AFRICAINE D’ECONOMIE SOLIDAIRE ET DE DEVELOPPEMENT DURABLE

Le Ndomo est une structure traditionnelle créée sous forme d’association depuis 1990. Elle s’inspire des étapes de l’initiation dans la culture bambara afin de résorber le chômage des jeunes par une sauvegarde des traditions d’apprentissage de métiers et de savoir-faire. Le Ndomo désigne la première étape de l’initiation dans la culture bambara, traditionnellement une école de formation ouverte pour tous les jeunes. Tout se déroule en un seul lieu construit en 2003 dans la ville de Ségou.

Problème de développement posé :

La ville de Ségou est considérée comme un endroit de passage. Les investisseurs ne s’y intéressent pas beaucoup. Le chômage des jeunes reste très important et aggrave la situation économique de la région. Une association veut s’inspirer des méthodes traditionnelles d’éducation pour trouver une solution économique et éthique à ce fléau à travers la conservation des techniques traditionnelle de teinture du bogolan.

Objectifs du Ndomo :

Le Ndomo a pour principal objectif de lutter contre le chômage des jeunes tout en sauvegardant la tradition. Il vise aussi à innover à partir de la tradition et de ses valeurs afin de les adapter aux réalités du monde actuel.

Structure et fonctionnement

Au Ndomo, on fait tout pour éviter le mode de fonctionnement d’une entreprise occidentale.  Le développement est calqué sur le savoir-faire et la culture locaux. Le Ndomo développe une méthode de travail qui permet à des jeunes sans niveau d’études d’accéder à une formation autour de l’artisanat textile et de la teinture avec des matériaux 100% produits au Mali. Son fonctionnement requiert l’équilibre entre un travail collectif (pour les grandes commandes), un travail individuel (réalisés par les jeunes à leur compte) et un travail de soutien (permettant de générer des fonds d’autofinancement de la structure collective) pour créer une solidarité et mettre en commun des projets. Un système sophistiqué est mis en place pour favoriser l’épargne afin d’aider les jeunes à être autonomes et avoir une meilleure attitude à l’égard de l’argent. C’est, en même temps, une école traditionnelle, une unité de production et un cadre d’accompagnement économique et social des jeunes dans leur vie en harmonie avec les traditions locales.

La formation est gratuite et accessible à toutes les catégories sociales. Les aînés prennent en charge les plus jeunes durant la formation qui dure deux ans. Durant ces deux années, le jeune apprenti constitue en même temps un « fond de roulement » (on ne parle pas de capital !) tiré des revenus des aînés. A la fin, le jeune a deux choix : s’installer à son compte et travailler de manière indépendante ou rester à l’atelier pour mener ses activités en conformité avec l’esprit du Ndomo et les méthodes traditionnelles de l’initiation et de la solidarité (ndama) bambara.

Activités et réalisations :

Economiquement, le Ndomo fonctionne sur deux principes : le travail solidaire pour générer des revenus équitablement partagés tout en garantissant la pérennité d’un « fonds collectif de roulement » et un système pour favoriser l’épargne. S’y ajoute une dimension éducative et écologique visant à préserver le cadre de vie.

I ) Les trois formes de travail dans le Ndomo : Ndomo et Ndama (initiation et solidarité)

Dans le Ndomo le principe des 3 formes de travail (collectif, individuel et soutien) structure toute l’activité.

  • Le travail collectif: tous les produits de vente sont versés dans un compte qui appartient à la structure. A la fin du mois, le délégué des jeunes et l’initiateur décident de la rémunération des jeunes avec une base fixe. Le variable dépend de l’activité et des bénéfices accumulés. Chaque jeune peut disposer de son argent et le gérer à sa guise. Ce travail collectif occupe les jeunes de 8h à 14h.
  • Le travail individuel: le Ndomo cherche aussi à développer les talents individuels et les promouvoir. Tout jeune peut exposer sa production artisanale dans la salle commune et la vendre. Le produit de la vente lui revient immédiatement. Le travail individuel commence de 14h à 17 heures.
  • Le travail de soutien: le jeune peut choisir de faire des heures supplémentaires afin de participer à l’autofinancement du Ndomo ou de prélever 10 à 15% sur le produit des travaux collectif et individuel au profit du « fonds de roulement » devant garantir les frais de fonctionnement du Ndomo.

II) Système mis en place pour favoriser l’épargne :

Incitation à l’épargne : Chaque jeune formé dans le Ndomo a l’obligation d’ouvrir un compte d’épargne. Pour empêcher le gaspillage, le compte d’épargne des jeunes célibataires de 18 à 20 ans sont sous la responsabilité du Ndomo. Chaque année, le Ndomo fixe un objectif d’épargne à atteindre par les jeunes afin de cultiver le sens de la responsabilité et de la gestion. A la fin de l’année, il y a un contrôle des comptes d’épargne. Si le montant exigé dans les objectifs est atteint, le jeune peut rester dans le Ndomo. Sinon, on lui accorde une seconde chance pour une année de « rattrapage » au terme de laquelle son maintien dans la structure dépend de la réalisation des objectifs en termes d’épargne et de discipline dans la gestion de son argent.

Micro-finance interne : les objectifs d’épargne peuvent être revus à la hausse selon l’importance de l’activité dans la structure pour créer des fonds communs pouvant servir à des prêts. En fait, les travailleurs du Ndomo, n’ont pas besoin de recourir aux banques pour les prêts personnels. C’est le Ndomo qui prend la responsabilité de prêts sans intérêts pour les projets personnels de « bien-être » des jeunes : besoins matériels, équipements etc.

L’entraide : Ce système est basé sur le principe traditionnel de la culture bambara appelé « Ndama » : l’aide mutuelle, la solidarité. Le fonds commun et le système de prêts aident les jeunes pour l’accès à la propriété : achat de terrain à usage d’habitation. 4 personnes en bénéficient présentement parmi les jeunes Ndomo.

Le planning des dépenses : il fait l’objet d’un programme spécial dans la vie du Ndomo avec des lignes budgétaires indispensables pour le « parcours de la vie » des jeunes : fonds de roulement, sécurité sociale et projets à court et à long termes. Le Ndomo aide le jeune à établir un budget selon les besoins fondamentaux et éviter le gaspillage très présent dans la société malienne à cause des cérémonies et évènements familiaux. L’objectif est de faire en sorte que le jeune puisse accéder à la propriété et construire un projet de vie dans le cadre d’un équilibre social.

Recyclage des déchets de l’atelier : après la décoration des tissus, un lavage spécial permet de récolter de la boue ; il y a un circuit performant pour récupérer cette argile qu’on laisse se décomposer à travers des fûts pendant deux mois. Cela donne du compost offert gratuitement aux maraîchers voisins. Des restes d’écorces ayant servi à la teinture sont séchés au soleil puis utilisés comme combustible pour faire bouillir d’autres écorces ; les cendres sont, en partie, transformés en potasse de manière traditionnelle pour créer de nouvelles couleurs de teinture et le reste pour enrichir le composte naturel.

Cette structure semble donner des résultats satisfaisants et est cité en exemple au Mali comme dans des institutions internationales qui viennent très souvent la visiter. Il y a actuellement 14 jeunes dans le Ndomo de Ségou : 4 en initiation et 10 qui restent y travailler après leur formation. Près de 15 jeunes sont allés s’installer à leur compte depuis la création de la structure.

Les leçons du Ndomo 

Une structure s’est inspirée des principes traditionnels locaux pour mettre en place un fonctionnement adapté à la culture locale. Elle a réussi à générer des revenus, réaliser de l’épargne au profit de ses membres et se développer par l’autofinancement. Elle semble viable et sert d’exemple dans la région. Elle est visitée pour son originalité et surtout parce qu’elle symbolise une stratégie endogène de développement dans une ville qui ne peut pas encore compter sur des investissements étrangers.

 

Auteur:  Dr Bakar SAMBE