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Coalition mondiale contre Daech (EI) : la communauté internationale tiendra-t-elle ses promesses à l’Afrique ? Spécial

Cet entretien de Dr. Bakary Sambe, avec Medi1TV  (Hebdo Africain) se focalise sur la nécessité d’accélérer les efforts conjoints pour soutenir l’Afrique qui fait face à une montée de la violence extrémiste sur le continent au moment où, paradoxalement, elle recule en Europe et dans d’autres régions du monde. Le Maroc a accueilli en mai 2022, la réunion ministérielle de la Coalition anti-Etat islamique (EI) au moment les experts africains et observateurs se posent un certain nombre de questions sur l’engagement de la communauté internationale en Afrique même si parmi les objectifs de ce cadre, figure en bonne place celui de «coordonner et poursuivre l'engagement international» contre la menace croissante de l'organisation djihadiste en Afrique et sa résurgence au Moyen-Orient. Pour Dr. Bakary Sambe, «l’Africa Focus Group est, certes, une initiative à saluer vu la montée des périls en Afrique et plus particulièrement au Sahel » même s’il exhorte la communauté internationale à mettre l’accent sur un soutien plus affirmé « de la même ampleur que les efforts conjoints déployés pour combattre conjointement l’EI au Moyen-Orient ». Toutefois, le Directeur du Timbuktu Institute reste convaincu que « la coopération sécuritaire n’a pas jusqu’ici permis de lutter efficacement contre le terrorisme en gérant les urgences sécuritaires sans négliger la prévention de l’extrémise violent » en s’attaquant aux causes structurelles, souvent instrumentalisées par les groupes terroriste à la recherche d’ancrage sociopolitique et surtout de ce qu’il appelle les « couveuses locales ».

 

 

Dr. Bakary Sambe, vous dirigez le Timbuktu Institute,  une des institution africaines leader dans le domaine des études stratégiques et de sécurité avec vos travaux novateurs sur la menace terroriste. Vous considérez la première réunion ministérielle de la coalition mondiale contre Daech en Afrique qui se tient ce matin à Marrakech comme une opportunité pour le Maroc de porter la voix de l'Afrique sur cette question. Depuis le Maroc que doit dire l'Afrique à la communauté internationale ?

 

Le choix du Maroc pour co-présider ce nouveau groupe confirme son rôle important dans la lutte contre le terrorisme. En tant que signal important pour l’Afrique de manière générale, cette idée d’Africa Focus Group est une initiative à saluer vu la montée des périls dans la région et plus particulièrement au Sahel. Il y a urgence dans une région où on note une augmentation de 1000% (mille pour cent) du nombre de morts depuis 2007 alors que le Sahel concentre aujourd’hui 43% des victimes du terrorisme en Afrique subsaharienne. A Marrakech, l’Afrique ne doit pas rater l'occasion de dire à la communauté internationale qu’on n’a pas encore vu sur le continent une mobilisation de la même ampleur que celle opérée lors de la lutte contre Daech au Moyen-Orient. L’Afrique semble à bien des égards abandonnée à elle-même alors qu’au même moment où un note un recul de la nébuleuse Daech au Moyen-Orient et en Europe notre continent est devenu, le nouveau point chaud et foyer de redéploiement du terrorisme international. Il y a un paradoxe assez parlant relevé par un ancien ministre burkinabé : après d’innombrables conférences, la communauté internationale dit chercher en vain 423 millions d’euros pour le G5 Sahel depuis des années alors que pour l’Ukraine 6 milliards d’euros ont été mobilisés en urgence et en une seule conférence.

 

 

On le sait vous êtes assez critique sur l'approche jusqu'ici adoptée dans la lutte contre le terrorisme. Pourquoi pensez-vous  que cette lutte n'a pas produit les résultats escomptés ? 

 

Contrairement aux idées reçues, les pays de la région qui, malheureusement, offrent aujourd’hui une nouvelle opportunité d’expansion à Daech n’ont jamais été inactifs face au terrorisme. Les États du Golfe de Guinée ont plusieurs fois mené des opérations militaires, soit conjointement, soit individuellement. Par exemple, en novembre dernier, une opération militaire conjointe entre plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest a pu mobiliser environ 6 000 soldats avec l'arrestation de 300 terroristes présumés. Il y a aussi l’Opération Goundalgou, dans le cadre de l'Initiative d'Accra, lancée en 2017 par le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Togo. Déjà en 2018, une opération conjointe entre les forces armées du Mali et du Burkina Faso avait permis de démanteler une cellule terroriste présumée à Ouagadougou. En fait, à vrai dire, ce ne sont pas les initiatives militaires qui manquent mais une approche globale du phénomène multiforme du terrorisme. Il faut se l’avouer, l’approche jusqu’ici adoptée n’a pas empêché que l’Afrique subsaharienne concentre la moitié des décès dus au terrorisme en 2021 avec au moins 43% des victimes africaines au Sahel.

 

Alors qu'est-ce que l'Afrique et ses partenaires ont donc raté jusqu'ici et qu'attendre du Maroc plus spécifiquement? Peut-on s'attendre à une nouvelle dynamique avec le focus Africa après Marrakech?

 

La communauté internationale doit avoir à l’esprit que la réunion de Marrakech se déroule à un moment à la fois décisif et critique avec la prolifération des mouvements affiliés à Daech où notre continent se transforme en un havre d’épanouissement de l’Etat islamique. Rien qu’au Niger les décès dus au terrorisme ont doublé. La coopération sécuritaire n’a pas jusqu’ici permis de lutter efficacement contre le terrorisme en gérant les urgences sécuritaires sans négliger la prévention de l’extrémise violent en s’attaquant aux causes structurelles, souvent instrumentalisées par les groupes terroriste à la recherche d’ancrage sociopolitique et surtout de ce que j’appelle les « couveuses locales ». Hélas, on semble persister dans une approche traitant les symptômes en négligeant les racines du mal déjà profondes. Et, aujourd’hui avec la brouille entre Bamako et Paris qui a parasité l’esprit de sécurité collective, Vous conviendrez avec moi que la force conjointe initialement pensée doit s’élargir. La question est de savoir comment le Maroc, en dehors de la formation des imams et autres initiatives, pourrait impulser une nouvelle dynamique en s’appuyant sur ses excellentes relations avec les pays de la région pour porter le plaidoyer afin que la CEDEAO puisse disposer, enfin, d’une force d’imposition de la paix aux regard des multiples défis politico-sécuritaires dans la région tout en encourageant l’activation et le soutien international de la force africaine en attente… depuis maintenant, trop longtemps.