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Niger :  La posture affirmée d’une rupture géostratégique d’avec l'Occident ? Spécial

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Source : Météo Sahel Juin 2025

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Depuis que le régime militaire a pris le pouvoir au Niger, les autorités ont émis des opinions assez critiques  sur les puissances occidentales. Abdourahamane Tiani accuse ouvertement les Occidentaux, notamment la France, de chercher à déstabiliser l’Alliance des États du Sahel (AES), qu’il considère comme un rempart contre l’ingérence étrangère. Cette rhétorique s’inscrit dans une logique de rupture avec les anciennes puissances partenaires, perçues désormais comme des obstacles à la souveraineté nationale et régionale.

Ces accusations trouvent un prolongement  dans les tensions diplomatiques entre le Niger, la Côte d’Ivoire et le Bénin. En effet, les autorités nigériennes reprochent au Bénin d’abriter des troupes françaises sur son territoire dans le but présumé de mener des actions hostiles contre les autorités  militaires; ce qui justifie selon elles le maintien de la fermeture de la frontière. Plus loin, le Général Tiani  ajoute :

« les 25 janvier et 3 février 2025, des représentants de la France, des États-Unis, du Nigeria, du Bénin, de la Côte d’Ivoire, ainsi que des délégués de groupes terroristes armés tels que Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) se sont réunis à Abuja. L’objectif de ces rencontres aurait été de renforcer le financement, l’armement et le soutien logistique à ces groupes pour mener des actions de déstabilisation contre les pays de l’AES ».

Selon les autorités de Niamey, cette posture se justifie par des preuves d’activités subversives orchestrées par l’Occident, notamment des sabotages économiques, des campagnes de désinformation et un soutien indirect aux groupes armés. Tiani estime que les puissances occidentales veulent empêcher l’affirmation de l’AES comme alternative régionale souveraine. Ces éléments alimentent un discours nationaliste qui renforce la légitimité interne du régime militaire face à des sanctions internationales.

Cependant, cette stratégie d'accusation et de rupture peut être perçue comme un moyen pour les autorités nigériennes de renforcer leur  base politique et détourner l’attention sur certains défis internes. En construisant une menace extérieure incarnée par les anciens partenaires occidentaux, le pouvoir militaire crée une dynamique de mobilisation autour de la souveraineté nationale, tout en consolidant les alliances régionales avec le Mali et le Burkina Faso. Il s’agit d’un repositionnement géopolitique qui rompt avec la coopération sécuritaire classique promue par les puissances occidentales.

Au début de juin 2025, le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) a officiellement annoncé la fermeture de ses bureaux au Niger ainsi que le départ de l’ensemble de son personnel. Cette décision intervient après la pression qui serait exercée par les autorités militaires qui avaient exigé le retrait de l’organisation. Ce départ anticipé porte un sérieux coup aux capacités d’assistance humanitaire dans un pays déjà fragilisé par la menace terroriste et les crises sociopolitiques. Dans une interview accordée à la télévision nationale, le président a affirmé que l’organisation internationale avait pris part à ces rencontres complotistes et conspiratrices organisées avec les groupes terroristes  Boko Haram et ISWAP à Abuja contre les Etats membres de l’AES.

Pendant ce temps, une nouvelle fois, le Niger a subi une attaque d’envergure qui s’est produite dans la zone frontalière avec le Burkina Faso, sur l’axe Makalondi Torodi. Les informations font état de neuf civils tués lors d’un assaut attribué à des groupes jihadistes. Cette action sanglante illustre la recrudescence des violences dans le Sud-ouest du Niger et reflète une dynamique d’escalade transfrontalière de la menace terroriste dans la région.

En conséquence, le pays se trouve à un tournant critique : d’un côté, le retrait de la Croix Rouge qui réduit drastiquement les capacités de réponse aux urgences humanitaires ; de l’autre côté, l’intensification des attaques jihadistes qui menace directement les populations civiles.

En somme, les accusations du général Tiani contre l’Occident révèlent une volonté de redéfinir les rapports de force au Sahel, dans un contexte de contestation de l’ordre sécuritaire établi. Si ces propos traduisent une défiance réelle vis-à-vis des anciens partenaires, ils servent aussi une stratégie politique interne de légitimation. Ce tournant marque une rupture idéologique profonde dans la gouvernance sécuritaire sahélienne, dont les conséquences restent encore incertaines.