Situation politique au Sénégal : Pourquoi éviter l'enlisement à tout prix ? Spécial

Timbuktu Institute, 07/02/2024

La situation politique au Sénégal occupe l’actualité régionale et internationale. Le pays « traditionnellement connu comme un bastion de la démocratie en Afrique » est en train de vivre une crise politique inattendue. Cette dernière a pris de l’ampleur entre les condamnations internationales et les protestations internes suite à l’interruption du processus électoral à quelques jours d’un scrutin présidentiel aux énormes enjeux. Alors que depuis des années le Sénégal a pu se prémunir de l’insécurité due à la menace terroriste bien que voisin du Mali et de pays en crise, Dr. Bakary Sambe revient, dans cette chronique hebdomadaire du Timbuktu Institute sur les risques que font encourir au pays d’éventuels litiges électoraux ou des violences qui pourraient en découler. Le directeur régional du Timbuktu Institute alerte sur les différents risques documentés à travers un nouveau rapport à paraître ces prochains jours. Il en appelle, sur la chaîne panafricaines Medi1TV, à la responsabilité des autorités et de la classe politique qui doivent souscrire aux conditions d’un champ politique apaisé en tant que préalable à la poursuite de la trajectoire démocratique de ce pays que le positionnement stratégique expose en même temps aux rivalités internationales et aux convoitises les plus diverses. Il répond aux questions de Sanae Yassari. 

Dr. Bakary Sambe, depuis le début du processus électoral au Sénégal, vous avertissiez sur les risques et dangers liés aux litiges et contentieux. La situation actuelle, avec le report de la présidentielle au 15 décembre, vient rendre plus complexe et tendue la scène politique sénégalaise. Selon-vous, à quels risques une telle situation peut-elle exposer ce pays qui était pendant longtemps un modèle de démocratie sur le continent ?

D’abord, il faut dire qu’il est tout à fait malheureux que le Sénégal, connu pour sa longue tradition démocratique en arrive à cette situation où l’on reporte une élection présidentielle à quelques semaines du scrutin. La tendance conflictuelle et litigieuse du processus électoral actuel représente non seulement une sérieuse menace à la paix et la sécurité, mais elle peut mettre, pour longtemps, en péril la viabilité même de la démocratie. Il faut craindre que la violence politique pouvant découler d’un processus électoral litigieux puisse déboucher sur de l’instabilité au regard de l’environnement politico-sécuritaire sous-régional. Nos études en Afrique établissent que de 1994 à 2012, les violences liées uniquement aux processus électoraux litigieux ont directement causé plus 5000 morts et plusieurs centaines de milliers de personnes déplacées et de réfugiés, sans compter les destructions énormes et les centaines de milliers de victimes des guerres civiles déclenchées à l’issue de contentieux électoraux. On doit donc se ressaisir au Sénégal.

Mais Dr Sambe vous semblez insister sur le cas particulier du Sénégal en évoquant la situation sécuritaire régionale qui, selon-vous, ferait de ce processus électoral désormais litigieux un facteur de risque aggravant pouvant davantage exposer le Sénégal et sa stabilité. Pourriez-vous revenir sur cet aspect qui semblerait échapper à beaucoup d'analystes ?

Sur un plan strictement interne, l’association systématique de la violence politique aux processus électoraux litigieux, fait que d’ici la date fixée, il y aura, déjà, une augmentation du niveau de risque politique portant un coup de frein à l’investissement direct privé étranger, aux flux touristiques et à l’activité économique d’une manière générale sans parler de l’accroissement des vulnérabilités à nos frontières. Souvenons-nous que la crise malienne actuelle est, quelque part, la résultante d’une conjugaison entre une crise politique interne et une crise sécuritaire qui a profité de l’instabilité institutionnelle. Pendant que notre pays demeure la cible de luxe, la cible rêvée des mouvements terroristes qui ont déstabilisé la région, ce n’est pas le moment de s’enliser dans une crise politique qui puisse perdurer, une situation lourde de risques et qui plongerait notre pays dans les pires incertitudes.

Alors, Face à cette situation inattendue dans ce pays, que faudrait-il faire pour éviter, je vous cite "un enlisement qui précipiterait le basculement du pays vers une violence électorale et l'exposerait davantage aux menaces sécuritaires alors que la situation régionale demeure des plus préoccupantes" ?

Dans le but de prémunir le Sénégal de l’instabilité, il faut, urgemment, en dépit de toutes les considérations, s’inscrire dans une démarche proactive et viser, d’abord, un cadre politique consensuel comme préalable à la préservation de la démocratie, de la paix et de la stabilité. Il ne faudrait pas prendre le risque de tomber dans une violence électorale qui, combinée aux menaces djihadistes à nos portes, plongerait le Sénégal dans l’instabilité. La région n’a pas besoin d’une crise supplémentaire. Savez-vous qu’entre 1994 et 2007 le bilan des pertes humaines causés par les acteurs des processus électoraux litigieux dans une dizaine de pays d’Afrique sub-saharienne, notamment en Afrique Sud, au Nigeria, Congo Brazzaville, est établi à plus de 5 500, sans compter les millions de personnes déplacées. Il faut interpeller la classe politique dans sa diversité et en premier lieu le Président de la République sur la nécessité d’un dialogue urgent, mais sincère et inclusif. Malgré la gravité de l’heure, il ne faudrait, peut-être pas désespérer de l’intelligence de la classe politique dans sa diversité pour qu’à tout prix, on puisse éviter un enlisement dommageable pour la stabilité du Sénégal mais aussi la paix et la sécurité régionale.

 

Source : Timbuktu Institute





 




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Dernière modification le mercredi, 07 février 2024 18:45