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Dans cette interview, Dr. Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute (Dakar) revient sur la question de la radicalisation en Afrique ainsi que la coopération qui se dessine entre le Maroc et les pays sahéliens pour contrecarrer l’extrémisme violent. Il pointe aussi du doigt les ajustements nécessaires à la Rabita Mouhammedia des Oulémas pour qu’elle devienne un outil plus performant avec une meilleure consistance et un réel ancrage sur le plan sociopolitique. Pour l’expert sénégalais, malgré ses leviers et ressources considérables, la Rabita a encore une approche très institutionnelle qui ne lui permet pas d’atteindre ses cibles
Comment expliquez-vous la montée du radicalisme en Afrique subsaharienne ?
Comme le souligne souvent Dr Ahmad Al-Abbadi, au-delà des attaques spectaculaires, nous sommes dans une véritable guerre du sens où il ne faut pas céder la place aux discours extrémistes. Pour comprendre ce mouvement de radicalisation, il faut prendre en compte un fait global : suite à la chute du communisme, l’islam est devenu, quelque part, le « péril vert » après « le péril rouge » des années 70. On peut presque dire que cette religion est le nouveau champ de ralliement pour certains laissés pour compte du système ultralibéral hégémonique depuis la mort idéologique et politique du communisme. En Afrique le processus idéologique remonte aux sécheresses des années 1970, lorsque les pays producteurs de pétrole du Golfe ont supplanté les bailleurs occidentaux, eux-mêmes, alors frappés par la crise financière. C’est en ce moment que leurs idéologies en même temps que leurs pétrodollars ont pénétré le cœur du continent notamment les pays du Sahel. La situation s’est ensuite aggravée avec les politiques d’ajustement structurel qui ont affaibli les systèmes éducatifs et accentué la marginalisation de franges entières paupérisées. Ces dernières ont, ensuite, été la cible des « marchands d’illusion » qui ont réussi à embrigader nos jeunes. Et je crois que la communauté internationale a aujourd’hui accusé un retard d’au moins quarante ans par rapport aux réseaux qu’elle cherche à éradiquer avec les nombreuses stratégies Sahel auxquelles il manque une certaine cohérence et surtout une vraie coordination. On a même l’impression que la lutte contre le terrorisme telle que conçue actuellement s’attaque plus aux symptômes qu’au vrai mal et à ses racines. La militarisation à outrance du continent est en elle-même source de radicalisation. Les mouvements terroristes ont cessé les stratégies à portée globales. Leur nouveau mode opératoire passe par la récupération de certains conflits locaux auxquels ils s’efforcent de donner une coloration « islamique » pour mieux attirer l’Occident dans le piège de l’interventionnisme. Une fois sur le terrain les bavures comme les erreurs sont réutilisées pour radicaliser les populations frustrées et les opposer aux Etats et à la communauté internationale.
Y a-t-il un fondement historique à un rôle du Maroc dans la promotion de l’islam modéré et la lutte contre l’extrémisme violent ?
Le mode d’islamisation de l’Afrique subsaharienne en dit long sur le caractère pacifique de l’islam qui y était jusqu’ici pratiqué. L’islam y a toujours été un facteur de stabilité et de cohésion sociale en ayant eu la capacité d’absorber les pratiques socioculturelles avec une forme de synthèse et de symbiose entre valeurs culturelles et principes religieux. Je disais souvent que l’islam au Sud du Sahara ne s’est pas imposé mais s’est plutôt substitué. Depuis la Sâqiyat Al-Hamrâ, le Sud marocain et, ensuite par la poursuite des relations d’échanges pendant l’époque des mérinides de Fès jusqu’aux Saadiens avec le Sultan Al—Mansour Al-Dhahabî, ce processus historique est parti de l’action des Almoravides. Il y a eu certes quelques péripéties liées à des conflits mais la conquête des cœurs a toujours prévalu sur la soumission des corps d’où le caractère durable de ce brassage entre les deux rives du Sahara et dans lequel le Maroc a eu un rôle historique majeur. Par la suite, la confrérie Tijâniyya a été pendant longtemps le ciment religieux et culturel entre les peuples subsahariens et le Maroc. J’ai longuement évoqué ce rôle dans mon ouvrage la politique africaine du Maroc. Par ce modèle les chefs religieux soufis ont perpétué un islam de paix qui est malheureusement la cible du wahhabisme et du salafisme conquérant.
Justement à l’heure où on évoque beaucoup la question de la prévention de l’extrémisme violent le Maroc devrait jouer un rôle dans lequel la communauté internationale devrait l’appuyer et conforter
Les confréries ont d’abord été des cibles idéologiques puisqu’au Sénégal ; par exemple. La naissance de l’islam radical sous sa forme salafiste s’est faite sous la bannière de la contestation de ces confréries et du soufisme de manière générale. On peut les considérer comme une sorte de rempart contre le basculement vers l’extrémisme violent. Mais qui peut croire que ce rempart peut être éternel ? Nous avons aujourd’hui une jeunesse de plus en plus exigeante dans sa quête de sens et de spiritualité sous influence d’Internet te de la mondialisation du croire.
Sur ce point précis, Le Maroc pourrait faire bénéficier ses pairs africains de son expérience dans le renforcement d’un islam de paix comme il le fait, déjà, pour la formation des Imams. La manière dont les oulémas marocains ont pu régler la question de l’évolution de la société avec le principe de la Murâja’apourrait inspirer les oulémas africains. Les confréries ont, aujourd’hui, intérêt à renouveler la pédagogie du soufisme qui est un message porteur de paix. Le Maroc a l’atout considérable de partager, avec la plupart des pays du Sahel, le Fiqh malikite, le dogme ash’arite (Al-aqîdah al-ash’arîyya) garant des rapports paisibles et durables entre religion et espace politique, mais aussi le soufisme sunnite (Al-Taçawwuf al-Sunnî). Il y a donc un socle naturel pour construire un partenariat et consolider une alliance que l’histoire n’a jamais démentie. C’est en ce sens que la récente création de la Rabita Mouhammadia des Oulémas répond à un impératif de coopération sur un domaine aussi stratégique que la prévention de l’extrémisme violent. Je peux dire qu’une telle coopération devrait constituer un axe majeur d’un nouveau partenariat stratégique entre le Maroc et ses partenaires africains. Cependant cette Rabita a besoin de plus de consistance sur le terrain car jusqu’ici son approche reste très institutionnelle et ses actions n’atteignent pas vraiment les vraies cibles. Il manque encore à la Rabita un ancrage social loin des sphères diplomatiques et institutionnelles.