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Les attentats de Ouagadougou ont sonné la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest comme les attaques de Grand Bassam inaugurent l’ère de l’absurdité de la prévision. Les pays du Sahel doivent désormais faire face à une menace à laquelle ils étaient peu préparés. La mutation de la guerre qui place tous les Etats-majors et stratèges dans le désarroi met, aussi, à nu l’insuffisance des solutions strictement militaires et appelle à une nouvelle réflexion autour du djihadisme.
Les critères d’évaluation de la menace ont changé dans notre sous-région. Avant, il s’agissait de considérer le cadre politico-sécuritaire de nos Etats et faire des croisements selon le niveau de radicalité pour dégager des typologies. La question était de savoir s’il y avait, dans tel ou autre pays, assez d’éléments susceptibles de passer de simples relais idéologiques à des acteurs opérationnels selon des circonstances favorables. Après Ouagadougou et Grand-Bssam, il est devenu clair que les frontières poreuses du Mali ne sont plus qu’un problème malien mais donnaient naissance à un nouveau « ventre mou » menaçant la sécurité de tous les pays voisins. Dans cette configuration, les stratégies nationales adoptées ça-et-là ressemblent plus à des trouvailles circonstancielles face à un problème qui exige une véritable stratégie dans a durée.
Aussi bien la diplomatie moderne que la stratégie militaire doit intégrer cette rupture conceptuelle et se rendre à l’évidence que seules les d’initiatives régionales gardent leur pertinence dans un contexte où les frontières n’en sont plus.
Désormais, nos forces de sécurité et de défense doivent se préparer à une nouvelle forme de guerre sans fin ni front contre des forces le plus souvent non conventionnelles. Elles doivent pourtant les gagner si toutefois, elles laissent aux autres acteurs de la société le rôle qui leur revient dans la prévention en amont mais aussi la conception de cadres de resocialisation pour les éléments radicalisés.
En effet, c’est John Mueller, un des grands auteurs ayant planché sur l’avenir de la guerre vers la fin du 20esiècle, qui prophétisait en 1989 la disparition progressive de la guerre en tant qu’institution. Ainsi, nous entrerions dans une nouvelle ère que Muelleur lui-même appelait celle de la hollandisation de la société internationale où avec la « fin » déjà annoncé de l’Histoire par Francis Fukuyama, les puissances commerciales allaient se substituer aux puissances militaires.
Ce fut, alors, le pavé ainsi jeté dans la mare des théoriciens réalistes. Pour autant au lieu d’une mort conceptuelle, Clauzewitz s’était, malgré tout, aménagé une porte de sortie paradigmatique : « la guerre est un caméléon » disait-il de manière ironique mais aussi en visionnaire.
Obsolescence de la guerre voulait-elle donc dire, nécessairement, fin de la guerre ou sa mutation qui lui permet de traverser les époques comme une constante épreuve sur le chemin de la paix ?
Dans le sillage de Mandelbaum, Kiegel et autres Linda Miller, la critique finit par forger un nouveau paradigme. La guerre n’avait peut-être pas changé d’objet, mais de nature et de sens.
L’arrivée des guerres dites asymétriques a introduit de nouvelles réalités avec lesquelles les nouveaux stratèges doivent composer. Dans le schéma de Kissinger, le diplomate et le soldat formaient l’équipe duelle ou idyllique de la scène internationale. C’était sans compter avec les nouveaux acteurs qui viennent concurrencer le sujet de droit international classique qu’était l’Etat : ils s’appellent le rebelle, le prédicateur transnational, le djihadiste, le terroriste etc…
Les Etats africains doivent, désormais, intégrer la rupture conceptuelle des mouvements comme Al-Qaida depuis l’expérience afrghane. Pour les groupes djihadistes, il s’agira, de moins en moins, de visées globales coûteuses et difficilement réalisables. L’expérience malienne l’a démontré : selon un modus operandi bien simple, ces groupes bien établis, procèdent au parasitage des conflits locaux, irrédentistes, en leur donnant un habillage islamique espérant, ainsi, attirer l’Occident et ses alliés dans le piège d’une éventuelle intervention dont les bavures et maladresses vont certainement encore causer plus de radicalisation. Et c’est le cercle vicieux dont nous ne sommes pas prêts de sortir de sitôt. Il s’y ajoute que l’inéluctable militarisation à outrance du continent ainsi que les travers de la lutte contre le terrorisme par des régimes africains illégitimes ou en fin de règne, vont encore alimenter la rhétorique d’un djihadisme africain bien ancré.
Boko Haram est certes harcelé au Nigeria mais ses exactions visant les soft targets (cibles faciles) à défaut d’opérations de grande envergure, s’abattent sur tout le pourtour du Lac Tchad, de Garoua au Cameroun à Mitérié au Tchad, déstructurant les économies, décimant des villages entiers.
Le terrorisme qui, il y a dix ans, paraissait un phénomène lointain, est devenu une réalité africaine. L’allégeance de Shekau à Al-Baghdâdî et Daech, même paraissant quelque peu folklorique, en plus du bourbier libyen, est le signal que la réduction de l’espace par les moyens de communication modernes a de fortes chances d’attirer de plus en plus de jeunes africains vers les sirènes de « l’Etat islamique » aux méthodes ultra-sophistiquées.
Avec une telle configuration, les solutions strictement sécuritaires et militaires ont déjà montré leurs limites dans la lutte contre le terrorisme : les Américains sont restés plus d’une décennie en Afghanistan sans éradiquer le phénomène des talibans, malgré le mal nécessaire qu’a été Serval pour que le verrou de Konna ne saute pas et laisser les djihadistes aux portes de Bamako, les groupes armés et terroristes pullulent encore dans la zone sahélienne. Barkhane rassure mais n’arrive pas à jouer son véritable rôle malgré l’opportunité de coordination et de coopération qu’elle offre aux pays du Sahel.
Les 200 hommes d’Al Mourabitoune sous l’égide de Mokhtar Belmokhtar, les 170 activistes d’Amadou Koufa du Front de Libération du Macina et les 2000 à 3000 hommes d’Abu Al-Moughira al-Qahtani positionnés en Libye, partie intégrante de l’Etat « islamique » auquel les 7000 hommes de Boko Haram ont fait allégeance sous l’égide d’Abou Bakr Shekau, hantent le sommeil de tous les Etats-majors militaires devant, désormais, faire face à une nouvelle forme de guerre dite asymétrique. Même si Al-Barnawi reste un personnage flou dont on ne sait pas grand-chose, le choix porté sur lui par Daech relève d’une véritable stratégie de pénétration du continent.
Il faudra donc se préparer à une nouvelle forme de guerre sans front délimité, sans armées conventionnelle, avec un ennemi diffus ou invisible, insaisissable et parfois, déjà à l’intérieur.
La transnationalité des acteurs, la porosité des frontières ainsi que la réduction de l’espace par les moyens de communication modernes semblent en faveur de la propagation du phénomène djihadiste dans le Sahel. La sous-région n’est pas, totalement, à l’abri d’une telle propagation idéologique ; l’opérationnalité étant, elle, une question de circonstances. Combinés aux données stratégiques et à l’aggravation des phénomènes liés au trafic de drogue, à la prise d’otages, ces éléments impliquent une nécessaire prise en compte globale de la problématique « sécurité humaine » dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest.
Les errements diplomatiques dans la sous-région ajoutés au dysfonctionnement de certains services de renseignements et l’installation d’instructeurs djihadistes étrangers au Nord Mali et ailleurs, montrent, malheureusement, que nos pays n’ont qu’une emprise limitée sur l’évolution de la situation.
La question de la sécurité humaine ne pourra donc être évoquée de manière séparée, des autres problèmes qui minent l’institution étatique, mais nécessitera une prise en charge pluridisciplinaire.
Au regard de l’interdépendance entre les différents risques et menaces (trafic de drogue, terrorisme, menace sur la production de nourriture liée à l’insécurité), cette prise en charge devra se faire par une approche croisée et multidisciplinaire.
L’ancrage de nombreux Etats sahéliens concernés dans le camp occidental (USA, France) et surtout la présence d’intérêt français importants en Afrique francophone font de la région du Sahel une cible naturelle. Il faudra ajouter à cela, un terrain idéologiquement favorable et des relais idéologiques non surveillés usant de la Taqiyya[1] sur fond de crise économique et sociale que ne manqueraient pas d’exploiter des groupes djihadistes comme AQMI et Almourabitoune.
Pour toutes ces raisons, nous sommes en présence d’une situation géopolitique qui doit conduire à revisiter les paradigmes sécuritaires et l’approche de la viabilité des espaces politiques : le choc entre le principe de souveraineté des Etats et la transnationalité d’acteurs défiant toutes les conceptions préétablies de l’Etat-Nation.
Dans un tel contexte, l’espace sahélien ne peut plus se passer d’une plateforme de veille stratégique pluridisciplinaire, axée sur la question centrale de la sécurité humaine, rendant possible aussi bien la prévention que la prospective sur un phénomène comme le terrorisme et d’autres qui lui sont connexes tels que le trafic de drogue et les différents facteurs de l’instabilité politique. Le Sénégal, plus particulièrement, ne peut plus évoluer en dehors des cadres régionaux tels que le G5 Sahel où son leadership et sa diplomatie pourraient être déterminants et constructifs.
Il faudra rattraper le retard dans l’élaboration de stratégies intégrées et coordonnées.
Les groupes à vocations ethniques complexifiant le phénomène djihadiste surgissent dans le centre du Mali dont le Nord avait jusqu’ici focalisé toutes les attentions. Nous avons été surpris par le dangereux cap vers le Sud dont Grand Bassa a été un fait révélateur. Pendant ce temps la question Boko Haram, menaçant tout le Bassin du Lac Tchad et même l’Afrique centrale, reste entière malgré la dernière réunion d’Abuja et les multiples stratégies sans lendemain. Elle ne pourra se régler qu’avec une stratégie interrégionale impliquant aussi bien la CEDEAO que la CEEAC si l’on veut voir un jour naître cette force africaine dont la mutualisation des moyens humains et matériels serait déjà une ébauche prometteuse.
Face à l’impératif de prévention, aujourd’hui, plus que jamais, il urge de s’atteler à la construction des résiliences communautaires qui passeront nécessairement par la valorisation des ressources culturelles africaines endogènes en termes de médiation et de résolution des conflits.