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Timbuktu Institute – Janvier 2025
Dans le cadre de son action de promotion des solutions et approches locales de lutte contre la désinformation, Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies donne la parole aux acteurs locaux et organisations de la société civile dans le but de faire émerger des initiatives locales et endogènes contre ce phénomène. C’est dans cet objectif que Kensio Akpo, de la cellule de veille de l’Institut s'est entretenu avec le journaliste Amadou Sy, par ailleurs directeur de la plateforme « Médias et Démocratie » qui insiste sur l’importance de l’éducation du public mauritanien et sahélien, plus largement, à une meilleure « consommation de l’information ». La Mauritanie n’échappe pas à la réalité mondiale des réseaux sociaux, comme principal vecteur de désinformation. Selon Amadou Sy, journaliste et directeur pays de la plateforme « Médias et Démocratie », il est nécessaire de concentrer les approches de solutions sous deux axes principaux. D’une part, éduquer le public qui est le premier récepteur de l’information, puis renforcer les capacités des journalistes dans la lutte contre la désinformation, d’autre part, recommande-t-il.
Quels sont les principaux vecteurs de désinformation en Mauritanie ?
Les vecteurs sont de diverses natures. Ils peuvent aller de vidéos ou d’audios sortis de leur contexte parfois avec des voix modifiées, à des commentaires de mal-information apposées sur des vidéos. Par exemple, il y a quelques mois, nous avons eu à observer sur TikTok, une vague de vidéos dans lesquelles, il était prétendu que les forces maliennes attaquaient des Mauritaniens à la frontière, avec des pseudo images à l’appui. Sauf que ce n’était pas réellement le cas, mais plutôt des opérations de ratissage coordonnées avec l’armée mauritanienne dans l’est du pays. Les canaux principaux de désinformation sont donc essentiellement les réseaux sociaux, au vu de leur popularité. Cela dit, le réseau social TikTok s’impose comme un vecteur de plus en plus important, en raison du caractère viral des vidéos qui y circulent. Ensuite, il y a bien sûr Facebook qui, de toute façon, a toujours été une plateforme où la désinformation est particulièrement présente. Enfin, la messagerie privée WhatsApp est très utilisée avec des groupes où la plupart des personnes qui s’y retrouvent n’ont pas d’éducation aux médias et à l’information. Celles-ci consomment avidement les informations de toutes sortes, prenant souvent pour argent comptant tout ce qui leur parviennent dans ces groupes.
Quels rôles jouent les médias locaux, les leaders communautaires et les autorités étatiques dans la lutte contre la désinformation ?
Il y a plusieurs choses différentes qui sont faites ou du moins, essayées. Tout d’abord, la désinformation peut venir de partout, et parfois même de ces autorités et leaders communautaires et médias, c’est-à-dire les mêmes personnes censées lutter contre la désinformation peuvent être sources de désinformation. C’est quelque chose d’important à noter. Toujours est-il qu’au niveau des médias, il y a de la formation qui est faite à l’endroit des journalistes, afin qu’ils ne soient pas des sources primaires de désinformation. Ensuite, un deuxième travail fait quoique timidement, c’est le fact-checking qui s’emploie à vérifier des informations déjà présentes dans l’espace publics, avec des outils de plus en plus connus. A propos les leaders communautaires, il s’agit surtout de campagnes de sensibilisation dont ils essaient d’être les porteurs. En l’occurrence, les chancelleries traditionnelles qui sont souvent mobilisées, surtout à l’approche d’évènements importants comme des élections.
Comment la désinformation impacte-t-elle la gestion sociopolitique du pays et la cohésion sociale, en particulier dans les zones vulnérables ?
Sur le plan de la cohésion sociale, il est clair que la désinformation a certainement un rôle perturbateur. Toutefois, il n’est pas évident d’y répondre de manière factuelle dans la mesure où il existe peu de données factuelles sur lesquelles on peut se baser à ce sujet. Ce qu’on peut toutefois notifier, c’est qu’il existe des lois pour sanctionner et réprimer les diffusions de fausses informations et les atteintes à la vie privée ainsi que des lois sur la discrimination et la cybersécurité. Bref, un arsenal juridique existe donc à ce niveau, qui derrière, essaie d’être accompagné par des actions et campagnes de sensibilisation.
Quelles approches de solutions locales pourraient être mises en place pour lutter efficacement contre la désinformation ?
Première chose qui semble banale mais est importante, il est clair qu’il faut plus d’informations vérifiées et moins de désinformation. Donc, cela suppose d’abord que les journalistes soient outillés pour qu’ils ne soient pas eux-mêmes des désinformateurs, afin qu’ils puissent se présenter avec une légitimité conséquente devant les agents de désinformation. Nous avons là déjà deux niveaux d’action. Ensuite, il est capital d'éduquer les consommateurs de l’information : le public. À ce propos, le renforcement des capacités des journalistes dans le sens de la mise sur pied d’équipes et de la mise à dispositions de moyens, est déterminante pour la tâche à accomplir. Il est nécessaire de bâtir des mécanismes d’accompagnement afin que les journalistes et médias soient dotés de moyens qui leur permettent de travailler sereinement. En outre, il faut investir dans la sensibilisation des jeunes dans les écoles, construire des programmes à leur endroit pour qu’ils sachent comment se comporter face à une information. Cette disposition est capitale à l’heure où nous sommes assaillis d’une immense quantité de données, que j’ai même parfois du mal à appeler informations.
Interview réalisée par Kensio Akpo, Cellule veille - Timbuktu Institute