Terrorisme : Après le "verrou" Burkinabé, l'alerte est sonnée pour l'Afrique côtière (Timbuktu Institute) Spécial

Deux touristes français sont portés disparus depuis une semaine alors qu’il visitait le parc de la Pendjari au nord du Bénin. Leur guide a été tué et la thèse de la prise d’otages est privilégiée

En l’absence de revendication, les sources sécuritaires privilégient la piste de l’enlèvement par une cellule terroriste après la disparition de deux touristes français depuis mercredi dernier alors qu’ils réalisaient un safari dans le nord du Bénin. Dans une vidéo du 29 avril attribuée à Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’Etat islamique appelle les « franchises » malienne et burkinabé de Daech à intensifier les frappes contre la « France croisée » et ses alliés africains.

 
 
 

Une semaine après avoir quitté leur hôtel de la réserve de la Pendjari pour un safari dans un 4x4 Toyota blanc, deux touristes français sont toujours portés disparus. Leur guide béninois a été retrouvé mort. Certaines sources sécuritaires estiment que les Français sont désormais des otages déjà au Mali ou en voie de transfert vers ce pays. La réserve animalière de 4 700 km2 au nord Bénin, où ils auraient été enlevés, touche les parcs de l’Arly et du W à cheval sur le Burkina Faso et le Niger. Le groupe djihadiste de l’Etat islamique au Grand Sahara (EGIS) est actif dans cette région, plus souvent du côté burkinabé. Il a noué des alliances avec des locaux ayant fait leurs classes religieuses au Mali.

Le Bénin avait été jusqu’alors épargné par les attaques terroristes. Mais cette menace s’est rapprochée des pays côtiers depuis deux ans. Le président togolais Faure Gnassingbé a annoncé fin avril le démantèlement de plusieurs cellules terroristes au nord de son territoire. Deux mois avant, quatre douaniers burkinabés et un prêtre espagnol ont été assassinés au Burkina Faso peu après avoir traversé la frontière togolaise. Ils revenaient d’une réunion à Lomé. Les forces de sécurité de la région vivent dans la crainte. Elles ont multiplié les réunions avec leurs voisins afin d’éviter les attaques à grande échelle comme à Grand Bassam, non loin d’Abidjan, en 2016. Les services de renseignement maliens ont arrêté, début décembre, quatre jihadistes soupçonnés de préparer des attentats en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et au Mali.

Depuis l’année dernière, de nouvelles cellules terroristes se sont implantées au sud-est du Burkina, contraignant les autorités a déclaré l’état d’urgence

Le 8 novembre dernier, le terroriste touareg malien Iyad Ag Ghali, l’Algérien Djamel Okacha et le prédicateur radical peul Amadou Koufa ont appelé à « poursuivre le jihad » dans plusieurs pays (Sénégal, Mali, Niger, Bénin, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Nigeria, Ghana et Cameroun). « Cette vidéo fait écho à l’extension des groupes jihadistes actifs au Burkina Faso à de nouveaux espaces, à la menace croissante qu’ils exercent sur les pays du golfe de Guinée », explique Antonin Tisseron, chercheur associé à l’Institut Thomas More, dans une note récente sur la menace djihadiste dans cette région.

Présents à l’origine au nord du Mali, les groupes jihadistes, sous pression des soldats français de Barkhane, ont progressivement migré vers le centre du pays, devenu le principal théâtre des violences. Ils ont ensuite établi de nouvelles antennes à l’ouest et au nord du Burkina, notamment dans la région des trois frontières (Mali, Burkina, Niger), en surfant sur les frustrations de la jeunesse peule et rimaïbé. Les premières attaques remontent à 2015 et 2016, année où Ibrahim Malam Dicko a fondé le groupe Ansaroul islam. Depuis l’année dernière, de nouvelles cellules terroristes se sont implantées au sud-est du Burkina, contraignant les autorités a déclaré l’état d’urgence, en janvier 2019, dans 14 provinces frontalières et a fermé de nombreuses écoles publiques.

Plusieurs opérations, auxquelles les forces françaises ont participé dans les régions frontalières du Mali et du Niger, n’ont pas permis d’éradiquer complètement ces cellules. En mars dernier, l’opération Otapuanu de l’armée burkinabé a toutefois neutralisé un nombre important de combattants de la région de l’Est dont leur chef, Omarou Diallo, alias Diaw Oumarou. « C’est une grosse prise, explique un diplomate français. Il s’est mis à table et a balancé les recruteurs, les logisticiens, des complices et des chefs de cellules affiliés à des groupes terroristes de l’EIGS, du Front de libération du Macina, d’Ansaroul islam. » A la suite de cet interrogatoire, le ministère de la Sécurité a publié une liste de 247 personnes recherchées.

« Les groupes terroristes coopèrent étroitement sur le terrain au moment où la communauté internationale se disperse avec une multiplication des stratégies et des acteurs »

. « Les terroristes veulent casser le verrou burkinabé qui est la dernière barrière pour accéder aux pays côtiers », explique Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute. Le chercheur voit la main d’Adnane Abou Walid al-Sahraoui, chef de l’EIGS, derrière le dernier enlèvement des Français. « Depuis l’opération Serval en 2013, al-Sahraoui a changé de doctrine en ne menant plus d’actions frontales mais en multipliant les zones d’instabilité confiées à des commandements très décentralisés, précise-t-il. Les autres groupes ont une action plus locale. »

Les premiers agissements des groupes jihadistes dans les pays côtiers datent du milieu des années 2010. « Dans le parc transfrontalier du W, des combattants originaires du Mali auraient mené en 2014-2015 une reconnaissance en poussant jusqu’au Bénin, souligne Antonin Tisseron. De même, en 2015, plusieurs membres actifs d’une cellule du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM, filiale d’Aqmi) dans la forêt de Sama, à la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Mali, étaient arrêtés, sans pour autant que les survivants cessent leurs activités. Ce sont d’ailleurs des membres de cette unité qui seraient à l’origine de l’enlèvement d’une none colombienne dans la région de Sikasso au Mali en février 2017, et qui ont été arrêtés à côté de Koutiala le 6 décembre 2018. »

Les Etats du golfe de Guinée présentent certaines fragilités propices à l’installation des groupes djihadistes à l’approche d’échéances électorales cruciales qui devraient mobiliser l’attention des dirigeants sur les enjeux politiques : tensions partisanes, communautaires, religieuses ; conflits entre éleveurs et agriculteurs ; violences des forces armées ; frustration des jeunes à l’égard d’aînés et des autorités traditionnelles qui monopolisent le pouvoir ; inégalités socio-économiques ; montée du christianisme évangélique et du salafisme... Le port du voile se généralise au nord Bénin, dans des villes comme Djougou. Au Ghana, une étude récente s’inquiète de la légitimation des activités jihadistes par les populations dans le quartier de Madina, à Accra. « On assiste aussi à une radicalisation dans certaines mosquées ivoiriennes », confie un expert de l’Union africaine.

« Les groupes terroristes coopèrent étroitement sur le terrain au moment où la communauté internationale se disperse avec une multiplication des stratégies et des acteurs, conclut Bakary Sambe. Les pays côtiers doivent absolument valoriser les stratégies de résilience communautaire, accentuer le travail de prévention, renforcer la coopération entre leurs services de sécurité, faire de la prospective et rompre avec la culture du déni où le terrorisme est vu comme un phénomène importé. » Ces pays doivent aussi sortir de la logique du tout-sécuritaire, ne pas miser que sur la sociabilité des confréries religieuses soufies pour apaiser les tensions et, pire, déléguer la gestion de la sécurité à des milices locales qui, dans la pratique, perpètrent de nombreuses exactions et appliquent une justice expéditive.