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Par Bakary Sambe
Le Pape François appelle à la fraternité sans frontières. Nous devons y répondre favorablement pour un monde qui a tant besoin de paix. Certes, nous vivons un monde plein de turbulences, marqué par les conflits et l’animosité. Mais la détermination de ceux qui veulent dresser des murs d’incompréhension et de discorde ne doit point faire infléchir la volonté salutaire d’autres prêts à ériger les ponts du dialogue et de la rencontre. Sans pour autant tomber dans le seul excès souhaitable, celui de l’espérance, on peut encore croire à l’avenir de l’audace pour la paix. Il est rassurant que bien des utopies du passé, ont pu se révéler en un moment en évidentes vérités prématurées.
Tous frères ! C’est le message d’un Pape, pèlerin de la paix dans un monde en questionnements et en proie au virus de l’animosité et de l’ignorance de la valeur de la rencontre. Pour dire l’écho d’un tel message, l’universitaire assumant sa foi devra - je ne sais toujours pas au nom de quel laïcisme tout aussi militant- se départir des gants de la distance épistémologique et de la froideur parfois réductrice de la science pour faire parler chaleureusement le cœur en ces temps de grande sécheresse des esprits. Seulement quelque deux siècles après les Lumières et autres Encyclopédies !
Très souvent, le dialogue interreligieux est déclaré et théorisé dans de magnifiques envolées. Il est grand temps qu’il soit pleinement vécu et surtout partagé en viatique pour les jeunes générations par la grâce du témoignage. Je ne saurais non plus pourquoi la première personne serait-elle « haïssable » si son usage permettrait de partager récits et expériences humains pour une pédagogie du dialogue et de la paix !
Né dans le dialogue vécu
De retour de mes études en France, je suis devenu membre permanent du Comité scientifique pour le dialogue interreligieux de la Fondation Konrad Adenauer auprès de nombreuses personnalités que j’appelle des hommes-ponts : Pr. Bouba Diop, Feu El Hadji Moustapha Cissé de Pire, Mgr. André Guèye de Thiès, Pr. Penda Mbow mais aussi le Sénateur Sidy Dieng récemment arraché à notre affection et dont je salue vivement la mémoire !
Je suis né au Sénégal, précisément à Mbour sur la Petite Côte, parmi les régions ayant accueilli les premiers missionnaires catholiques. Musulman pensionnaire des écoles coraniques, j’ai grandi à Tivaouane, cité de Cheikh El Hadji Malick Sy qui, en grand humaniste soufi de la confrérie Tijaniyya, invoquait le pardon dans son Tayssir pour d’abord tous ses frères adamiques puis islamiques. La vie lycéenne me conduisit, ensuite, dans cette autre ville où « les clochers des églises embrassent les minarets des mosquées », cité que les Almoravides auraient baptisée « Dâr al-islam » et les chrétiens sacrée « Saint-Louis », non loin de l’embouchure du Fleuve Sénégal, carrefour de nos héritages conjugués où Dieu « a donné libre cours aux deux mers pour se rencontrer » (Coran 55 :19). D’ailleurs pour ceux qui l’ont une fois visitée, dans cette ville abritant le Centre d’étude des religions (CER) de l’université Gaston Berger où j’enseigne, passé et présent ont fini par s’y conjuguer et s’y accorder sur un seul symbole : le Pont surplombant le fleuve vers la mer. Peut-être « un signe pour les doués de raison » paraphrasant le texte coranique.
C’est tout le sens du Forum de Saint-Louis qu’y organise Amadou Diaw, « combattant contre l’ignorance » comme il aime à se définir. Malgré les extrémismes de tous bords qui dévisagent l’espace sahélien, cette rencontre est devenue le réceptacle et l’écho des bâtisseurs de paix, ambitionnant de partager la foi en un monde de paix où il serait encore possible de croire au vivre ensemble. D’autres éminents africains et et Sénégalais comme Adama Dieng, alors conseiller spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour la prévention du génocide, sont dans le même esprit en impulsant une dynamique nouvelle au dialogue même au-delà des religions que ce soit au Moyen-Orient, en Occident ou encore en Afrique.
Pensionnaire de la Maison des Etudiants catholiques (MEC)
Très souvent sur le ton de l’humour qui peut être aussi une forme pédagogique de la sagesse, j’aime raconter que le fils d’Imam que je suis a eu la chance spirituelle d’être le temps d’une vie estudiantine, pendant quatre ans, pensionnaire de la MEC. Cette Maison des Etudiants Catholiques qui finalement n’en comptait que très peu et qui était le lieu de ma plus longue rencontre avec les Pères Jésuites dans cette ville, aussi, aux deux fleuves confluents : Lyon, celle du Primat des Gaules abritant, en plus de la Cathédrale Saint-Jean, l’une des plus belles mosquées de France. Le Père Christian Delorme revivifiant cet esprit de concorde à Lyon y ouvrait aux temps les portes de la paroisse Saint-Antoine pour accueillir les séances de prières musulmanes alternant avec les messes coptes.
« Si tu penses qu’Il est ce que croient les diverses communautés –musulmans, chrétiens, juifs, mazdéens, polythéistes et autres – Il est cela. Il est autre que cela ! Et si tu penses et crois ce que professent les connaisseurs par excellence –prophètes, saints et anges -, Il est cela ! Il est autre que cela ! Aucune de ces créatures ne l’adore tous Ses aspects ; aucune ne lui est infidèle sous tous Ses aspects. Nul ne Le connaît sous tous Ses aspects ; nul de l’ignore sous tous Ses aspects », rappelait l’Emir Abdel Kader dans son Livre des haltes. Il voulait affirmer, conformément à la « volonté divine » d’enseigner la diversité que nul n’est égaré et que tous sont sur le chemin. Vers la fraternité ?
L’essentiel est dans la rencontre, dans l’esprit au-delà de la lettre
L’essentiel est de se rencontrer au carrefour de l’esprit auquel ne mènent pas toujours les chemins tracés par les lettres des messages religieux lorsqu’ils sont dépouillés de leur âme. « Si Dieu l’avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté. Mais il a voulu vous éprouver par le don qu’il vous a fait. Cherchez à vous surpasser les uns et les autres par les bonnes actions » rappelle le Coran qui décrit la seule communauté « choisie » comme étant celle « du juste milieu », le seul point que peuvent traverser tous les diamètres du cercle quel que soit leur point de départ de la circonférence. Pour dire que c’est dans les intersections qu’il faudra chercher le sens. C’est donc le « bâ », - première lettre arabe découverte dans les écoles coraniques du Sénégal - ce point ouvrant le cycle de l’initiation aux réalités et essences et « dont le cheminement, par droites, courbes et arabesques, a abouti au dessin complexe et à l’architecture » de tous les univers de sens, pour paraphraser Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al-Maktoum. Son frère Serigne Pape Malick Sy était l’incarnation même du dialogue et de la fraternité humaine sa vie durant jusqu’à sa récente disparition ; une grosse perte pour le Sénégal, l’Afrique et le monde musulman !
René Guénon, quant à lui, déduisait du Symbolisme de la Croix l’idée d’un point principiel à la croisée des cheminements spirituels et des efforts profanes de vivre en tant que « vicaire de Dieu sur Terre » (khalîfatu-l-lâh fil ard) investi de la mission de sauvegarder le dépôt (Al-Amânah) afin que nous cessions d’être « injustes » et « ignorants », les deux qualificatifs par lesquels Dieu désigna aussi l’Homme. Devra t-il alors réapprendre la fraternité ? L’essentiel est donc à chercheur dans cette intersection entre la relation verticale, transcendantale vers « l’Absolu » auquel chacun trouvera bien un nom (ism) et celle horizontale renvoyant à la nécessité d’être et de constituer un ensemble, une seule et même communauté. Une « Ummah » dans le sens d’Ecclesia, désignant avant tout, « l'Assemblée du peuple citoyen » qui n’est point réductible à cet édifice dédié aux sacrements mais exprimant bel et bien l’idée du peuple de Dieu dont les prophètes ne sont finalement que les différents bergers comme dit La Bible. Alkhalqu ‘iyâlullah rappelle aussi le Prophète de l’islam, faisant de toute la créature une même famille apparentée à Dieu. Donc Tous Frères et Sœurs !
Dr. Bakary Sambe
Directeur du Timbuktu Institute –Enseignant chercheur au Centre d’étude des religions (CER) – Université Gaston Berger (Saint-Louis)