Agenda Femmes, Paix et Sécurité en Afrique : la ‘grande cause’ du continent [Fatima Lahnait] Spécial

Fatima Lahnait Timbuktu Institute- Gender Peace and Security Specialist

Le continent africain fait face à des défis multidimensionnels (croissance démographique, crise de l’emploi, urbanisation rapide, conflits chroniques, tensions ethniques, extrémisme violent, changement climatique, dégradation de l’environnement) qui requièrent une approche holistique. Une partie de ces défis à relever est exacerbée par l’absence d’inclusion de tous les segments de la société. En dépit de ces nombreux atouts indéniables, notamment une population jeune, des ressources naturelles très convoitées, l’Afrique ne peut ignorer les femmes, soit 50% de sa population si elle souhaite atteindre ses objectifs de croissance durable et inclusive.

Les Nations Unies s’apprêtent à commémorer le vingtième anniversaire de la Résolution du Conseil de Sécurité 1325 relative à l’Agenda Femmes, Paix et Sécurité adoptée le 31 Octobre 2000. L’Afrique a-t-elle sû mettre en place les mesures qui s’imposent dans le cadre de cet Agenda ? Un tour d’horizon s’impose.

Agenda Femmes, Paix et Sécurité : de quoi s’agit-il au juste ?

Dans sa Résolution 1325 Femmes, Paix et Sécurité (FPS) adoptée le 31 Octobre 2000, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a dressé les constats suivants :

-          L’inégalité entre les sexes contribue à l’instabilité, l’insécurité et à l’extrémisme violent

-          Une paix durable et viable exige la participation de tous les membres de la société, en ce compris les femmes.

Fort de ce constat, le Conseil de Sécurité a défini trois objectifs principaux dans son agenda FPS (parfois labélisé ‘programme’) qui encourage la prise en compte et la mise en oeuvre d’une approche genrée dans l’élaboration de toute politique:

  • la Protection des femmes contre la violence des conflits,
  • promouvoir et assurer la participation des femmes à la prévention et à la résolution des conflits
  • œuvrer pour la Consolidation de la paix et le redressement (de la société).

Dans tous les pays, il importe que les femmes et les filles soient désormais intégrées de manière plus systématique et plus durable dans toute problématique concernant la paix et la sécurité.

Les expériences des hommes et des femmes par temps de guerre/conflits sont en effet différentes. L’approche genrée offre dès lors une perspective essentielle dans l'analyse des conflits : les femmes proposent des stratégies de consolidation de la paix qui visent à créer des liens entre les factions opposées et à accroître l'inclusion, la transparence et la durabilité des processus de paix.

 

  • L’impérieuse nécessité de placer les femmes au coeur des dispositifs en faveur de la paix et de la sécurité pour bâtir un monde meilleur et plus équitable

La participation des femmes ne saurait être interprétée comme une faveur qui leur serait concédée. Cette participation doit s’imposer comme une évidence pour tout un chacun. C’est une condition essentielle pour parachever une paix et une sécurité durables.

Il convient de rappeler que les femmes ne sont pas un groupe homogène : il ne faut pas omettre de prendre en consideration notamment le vécu des femmes et des filles handicapées, des jeunes femmes, des femmes et des filles déplacées.

Bien que vingt années se soient écoulées depuis que le Conseil de Sécurité des Nations Unies a adopté la résolution historique 1325 sur les Femmes, la Paix et la Sécurité, l'analyse de genre est encore souvent absente des réponses apportées aux défis mondiaux en matière de sécurité et d'aide humanitaire.

 

 

  • Le corps des femmes n’est pas un champ de bataille

Depuis 2000, neuf autres résolutions complémentaires ont été adoptées par le Conseil de Sécurité[1].

Cette série de résolutions constitue un socle fondamental pour la prise en compte de la situation des femmes dans les conflits et une base solide pour l’application de l'agenda FPS par les États membres et les institutions internationales. Chacune aborde une thématique unique concernant la protection des femmes et des filles pendant les conflits, et leur participation aux processus de prise de decision.

 

La résolution 1820, adoptée en 2008, a ainsi permis de reconnaître la violence sexuelle comme arme de guerre.

Cela marque, enfin, une véritable prise de conscience de la part de la communauté internationale de la nécessité de renforcer significativement la lutte contre les violences sexuelles dans les conflits armés, de lutter contre l’impunité et de prendre en compte les effets sur le long terme des violences sexuelles sur les communautés. Le droit international et les tribunaux ont adopté de nouvelles normes et créé un précédent clair en qualifiant la violence sexuelle de crime contre l'humanité et de crime de guerre.

 

  • Une priorité réaffirmée

Depuis la résolution 1888 adoptée en 2009, de plus en plus de mandats d’opérations de maintien de la paix (OMP) prennent en compte le rôle des femmes à tous les stades des crises.

 

C’est également en 2009 que fut adoptée la RCS 1889 qui s'attaque aux obstacles à la participation des femmes aux processus de paix. Elle appelle à l'amélioration des réponses internationales et nationales aux besoins des femmes dans les situations de conflit et de post-conflit. Vingt-six indicateurs quantitatifs et qualitatifs (‘global indicators’) ont été définis pour évaluer la mise en œuvre de la résolution 1325, auxquels s’ajoutent le suivi des plans d'action nationaux et le suivi indépendant effectué par la société civile. Ce suivi et ce contrôle demeurent néanmoins difficiles.

 

Quinze ans après l’adoption de la résolution fondatrice 1325, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2242 (2015) qui réaffirme l’importance de la participation des femmes dans les processus politiques, les négociations de paix, les mécanismes de résolution et de prévention des conflits, et insiste notamment sur le rôle des femmes dans la lutte contre l'extrémisme violent. Elle aborde également l'impact différencié du terrorisme sur les droits fondamentaux des femmes et des filles[2].

 

[1] Le Conseil de sécurité a adopté 10 résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité (WPS) : Résolutions du Conseil de sécurité 1325 (2000), 1820 (2008), 1888 (2008), 1889 (2009), 1960 (2010), 2106 (2013), 2122 (2013), 2242 (2015), 2467 (2019) et 2493 (2019). https://undocs.org

[2] https://undocs.org

 

  • Moins de la moitié des États membres des Nations Unies ont mis en œuvre la résolution 1325!

Depuis 2005, les États membres de l'ONU ont mis en œuvre les principes de la résolution 1325 en élaborant des plans d'action nationaux (PAN), d’une durée de trois ou cinq ans. Ils oeuvrent à promouvoir et consolider les efforts réalisés dans la promotion du leadership féminin dans les domaines de la paix et de la sécurité en les mettant en valeur dans les contextes national et international.

Ce processus de PAN aide les pays à identifier leurs priorités en la matière, à définir les plans d’action et les ressources nécessaires.

Ces plans d'action sont un élément important pour la mise en œuvre de la résolution 1325 dans le monde entier. Certains pays sont déjà à leur deuxième ou troisième version de leur PAN. Le chemin à parcourir est encore long.

Au 31 août 2020, seuls 86  États membres des Nations Unies  disposent de plans d'action nationaux 1325 du CSNU[1].La mise en œuvre de l’agenda de la résolution 1325 repose en effet sur le volontariat, ce qui ne peut finalement qu’être déploré.

 

  • Sur le continent africain, un bilan en demi-teinte

Conscient des enjeux, près de 50% des Etats de l’Union Africaine ont adopté des Plans d’Action Nationaux afin, notamment, d’intégrer les femmes dans les processus de paix comme le préconise la résolution 1325.

Des gouvernements et des organisations régionales ont réalisé d’importants progrès dans l'élaboration de mécanismes juridiques, politiques et institutionnels pour la mise en œuvre de l’agenda FPS.

Au sein des régions, l'adoption des PAN varie considérablement :

  • 13 PAN dans la CEDEAO (premier organe à adopter un plan d'action régional en Afrique),
  • 5 dans la Communauté d’Afrique de l’Est,
  • 3 en Afrique centrale et en Afrique australe
  • et 1 en Afrique du Nord.

L'Afrique de l'Ouest est largement en tête, treize de ses quinze Etats membres ayant adopté un PAN. La région figure parmi les premiers partisans de l’agenda FPS puisque six États (sur 15) avaient adopté un PAN dès 2010[2].

En Afrique du Nord, il y a un manque patent de sensibilisation à l’agenda FPS. La Tunisie est ainsi le premier -et seul- pays de la région à avoir adopté, son PAN en 2018.

Le Plan d’Action Régional (PAR) de l’Union africaine permet le retour d’expérience et le partager de meilleures pratiques dans la mise en œuvre de la résolution 1325 du CSNU.

  • L’Afrique de l’Ouest, meilleur élève

Au niveau national, 25 gouvernements africains ont à ce jour adopté un PAN sur la résolution 1325. Il s’agit de : Côte d'Ivoire (2007), Ouganda (2008), Guinée (2009), Libéria (2009), Rwanda (2009), République démocratique du Congo (2010), Sierra Leone (2010), Guinée-Bissau (2010), Sénégal (2011), Burundi (2012, révisé en 2017), Burkina Faso(2012), Gambie (2012), Mali (2012), Togo(2012), Nigeria (2012), République centrafricaine(2014), Kenya (2016), Soudan du Sud (2015), Niger(2017), Angola (2017), Cameroun (2017), Mozambique(2018), Tunisie(2018) et Namibie (2019)[3].

Seule une quinzaine d’Etats ont actualisé leur PAN pour tenir compte des résolutions postérieures à la résolution 1325.

Le PAN de l’Afrique du Sud a été présenté aux parlementaires en Septembre 2020 et devrait être rendu public prochainement. D’autres gouvernements se sont engagés à finaliser l'élaboration de leur premier PAN, notamment le Maroc, l’Egypte, Madagascar et la Zambie.

 

  • “le changement arrive à un rythme trop lent pour les femmes et les filles dont la vie en dépend” - Antonio Guteres, Secrétaire Général des Nations Unies - octobre 2019

Le contexte dans lequel l’agenda FPS est mis en œuvre en Afrique est complexe.

Le terrorisme, les conflits intercommunautaires, la mauvaise gouvernance, les guerres civiles génèrent de la violence sur le continent.

La situation est aggravée par les migrations illégales, les déplacements de populations, la prolifération des armes et les effets du changement climatique.

On déplore également l’absence d’une véritable volonté politique et le manque d’intérêt de certains dirigeants pour les droits des femmes. La mise en œuvre de l’agenda FPS n’est dès lors pas une priorité pour certains gouvernements.

Cela est également dû à un manque de ressources La mise en oeuvre des PAN requiert en effet des budgets conséquents dont ne disposent pas la plupart des Etats ! Sur les 84 PAN enregistrés au 31 décembre 2019, seuls 28 (33%) comportent un budget alloué à la mise en oeuvre[4].

Face à des projets à l’arrêt par manque de ressources et d’intérêt, la société civile devra poursuivre sa mobilisation et ainsi contribuer à améliorer la visibilité de la contribution majeure des femmes africaines à l’agenda FPS. Cette contribution peut ne pas s’inscrire dans le cadre d’un PAN, elle n’en a pas moins le mérite d’exister et il y a lieu de la saluer et de l’encourager.

Outre le bilan des avancées réalisées au cours des vingt dernières années, la commémoration de la RCS 1325 permettra de recenser les obstacles qui persistent en matière d’égalité hommes-femmes (l’un des Objectifs du Développement Durable à atteindre à l’horizon 2030).

Ceci est d’autant plus important que le monde fait face à la pandémie de Covid-19 et à ses répercussions. Une situation qui a démontré, une fois de plus, que les femmes et les filles sont les plus touchées par les conséquences de toute crise, que ce soit à la maison ou sur le lieu de travail, en ville, en milieu rural ou dans les camps de réfugiés.

 

 

[1] https://www.un.org/en/member-states/

[2] Commission de l’Union africaine - Rapport sur la mise en œuvre de l’agenda Femmes, Paix et Sécurité en Afrique - Octobre 2019 - https://archives.au.int/

[3] Ibidem.

[4] https://undocs.org