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Par Dr. Wilfrid AHOUANSOU
Université d’Abomey CALAVI- Chercheur Associé à Timbuktu Institute
Depuis le 8 octobre 2020, le Nigeria traverse à nouveau l’une de ses énièmes crises sécuritaires. Mais cette fois-ci, ce ne sont pas des attaques terroristes ou des accusations de corruption qui sont relayées par les médias. Il s’agit plutôt d’une contestation populaire, majoritairement menée par des jeunes, et de laquelle transparaît de la colère et de la révolte contre un régime accusé de ne pas avoir pris les mesures qu’il faut pour faire cesser les violences policières si régulières dans cet État fédéral.
Le mouvement, qui a d’abord démarré en 2017 sur le réseau social Twitter avec le hashtag #EndSARS, a désormais pris corps et ne semble plus vouloir faiblir. Il est porté par des milliers de jeunes qui descendent dans les rues chaque jour dans les différents États du Nigeria, mais également au sein de la diaspora aux Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou aux États-Unis. Les revendications portées par le mouvement sont sans appel : il s’agit du démantèlement pur et simple du Special Anti-Robbery Squad (SARS).
Les raisons de cette exigence fourmillent eu égard aux nombreux témoignages partagés par les victimes de cette escouade anticriminelle, originellement créée pour combattre le grand banditisme au Nigeria. Avec le temps, cette unité spéciale se serait transformée en véritable bourreau de la population selon Amnesty International, avec un ciblage particulier des jeunes, qui ne rentreraient pas dans le canon de l’image de la jeunesse disciplinée, si recherchée en Afrique. Il faut dire que le Président Muhammadu Buhari n’aura pas fait grand chose pour favoriser un respect de cette jeunesse par les autorités politiques et sécuritaires du pays. En effet, à plusieurs reprises et même devant des instances internationales, il aurait qualifié sa population majoritairement jeune de paresseuse.
Le mouvement populaire est désormais là et bien présent. La lutte pacifique tend de plus en plus à se transformer en une révolte contre le système politique entier, malgré que la revendication originelle pour la dissolution de la SARS a été acceptée le 11 octobre 2020. Cette annonce a été accompagnée de cinq autres mesures par la police nigériane pour tenter de calmer la colère grandissante, à savoir : le démantèlement de l’unité spéciale dans l’ensemble des 36 États fédérés du pays, le redéploiement des membres de la SARS dans d’autres unités et subdivisions de la police, la mise en place d’un nouveau mécanisme pour lutter contre le grand banditisme, la création d’un forum citoyen et stratégique pour conseiller sur les réformes de la police, et l’organisation d’enquêtes sur les allégations de violences commises par l’unité dissoute.
Le 12 octobre 2020 dans la même foulée, la police nigériane annonce la création de la Special Weapons and Tactics (SWAT), avec à nouveau, cinq mesures devant rassurer la population, telles que : le non-déploiement d’anciens personnels de la SARS dans la nouvelle unité, la mise en branle des actions de la SWAT uniquement sur la base de renseignements, l’interdiction pour la nouvelle unité de patrouiller les rues, l’interdiction de fouiller les ordinateurs et téléphones de la population sans mandat, l’absence d’antécédents de violences ou d’abus des droits de l’homme dans les dossiers des nouveaux membres de cette unité.
Ces différentes mesures des autorités nigérianes n’eurent pas plus d’écho auprès de la population, qui depuis bientôt 8 jours occupent toujours les routes. #5for5 est ainsi devenu le nouvel hashtag mobilisateur de la population, autour des exigences suivantes : la libération immédiate de toutes les personnes arrêtées durant les protestations, la justice pour toutes les personnes victimes des brutalités policières et une adéquate compensation pour leurs familles, la mise en place d’une institution indépendante pour mener des enquêtes et poursuivre les auteurs de ces exactions, l’évaluation psychologique des anciens membres de la SARS avant leur redéploiement dans une nouvelle unité et l’augmentation du salaire des membres des forces de police afin de leur offrir le moyen de vivre décemment et de ne se consacrer uniquement à la protection des citoyens.
Crédits : https://bit.ly/347ecj3
Les annonces successives de mesures pour calmer la contestation populaire et la résistance manifeste de celle-ci à ne pas se laisser démonter permettent de relever quelques enseignements pour la conduite de la réforme du secteur de la sécurité (RSS) dans les pays de l’Afrique de l’Ouest.
Faut-il le rappeler, la RSS est un processus structurant qui consiste à améliorer l’offre de service en matière de sécurité afin de garantir qu’elle réponde aux exigences démocratiques. Pour l’Union Africaine (UA) et pour la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la RSS est le moyen « par lequel les Etats formulent ou réorientent les politiques, les structures et les capacités des institutions et des groupes engagés dans le secteur de la sécurité, en vue de les rendre plus efficaces, plus efficient et répondant au contrôle démocratique tout en étant attentifs aux besoins de sécurité et de justice de la population »[1].
L’ensemble des actions entrant dans le cadre de la RSS vise à mettre davantage en avant la conception de la sécurité humaine, qui selon les Nations Unies « a pour objet d’aider les États Membres à cerner les problèmes communs et généralisés qui compromettent la survie, les moyens de subsistance et la dignité de leurs populations et à y remédier ». Autrement dit, la sécurité traditionnelle qui vise à garantir l’Etat contre une menace extérieure ou contre l’instabilité au plan interne, doit s’agrandir pour prendre en considération d’autres composantes, à savoir : « sécurité économique, sécurité alimentaire, sécurité sanitaire, sécurité de l’environnement, sécurité personnelle, sécurité de la communauté, sécurité politique ».