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Entre le « vent de sable » sahélien et la tempête de mer à venir sur les côtes ouest-africaines, on voit déjà se dessiner le débordement des épicentres et une conquête acharnée de nouveaux territoires insoupçonnés du Djihadisme aussi bien dans les grands lacs qu’au Mozambique Le vent de sable sahélien ne doit pas fermer les yeux sur le mal de mer à venir. Va-t-on vers des liaisons dangereuses plus affirmées entre crime organisé et terrorisme sur les côtes ouest-africaines avec le glissement des théâtres d’opération dans un contexte où l’Est du continent connaît une montée inattendue du djihadisme?
Des pays comme le Bénin, le Togo voire le Ghana sont déjà conscients de l’ampleur grandissante du terrorisme qui, en réalité, a déjà traversé leurs frontières. Même si la menace d'une radicalisation locale est pour l’heure limitée, les recrutements de terroristes se multiplient avec des jeunes Ghanéens ayant rejoint Daech dès 2015. Les récents conflits armés dans lé région (Sierra Leone, Libéria) facilitent la circulation des armes dans un contexte de porosité des frontières et des arsenaux encore intacts aux mains d’acteurs transnationaux jamais aussi mobiles. Rien qu’à partir du Ghana, plus de 80 points d’incursions hors contrôle le long des frontières du Togo, du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire font, aujourd’hui, de l’accès des groupes terroristes à la mer une réalité probante. Le spectaculaire incident d'enlèvement d’étrangers en 2019 au Bénin devient aujourd’hui anecdotique avec la récurrence d’arrestations d’individus armés en provenance du Burkina Faso au Togo de même que le démantèlement de cellules terroristes dans ce pays. La connexion entre réseaux terroristes et criminels depuis les couloirs sahéliens avec les cartels sud-américains fait planer le risque d’une aggravation de l’insécurité. D’ailleurs, aussi bien les Etats-Unis que l’Union européenne se sont déjà ouvertement engagés dans la prévention d’une telle situation tandis que ces mêmes pays côtiers sollicitent l’appui des instances internationales de lutte contre le terrorisme pour parer à toute éventualité. Si ce n’est déjà un peu tard !
La conquête de l’Afrique ou le retour de l’Histoire ?
De la même manière qu’une approche géopolitique occidentale dominante dans les années 80 avait induit vers l’erreur d’une dissociation paradigmatique entre espaces subsahariens et le Nord du Sahara au prix d’une surprise sécuritaire dont on n’est toujours pas sorti, l’on a semblé négliger le fait que l’Afrique de l’Est et du Sud étaient depuis le Moyen-Age, la terre de prédilection des conquêtes et des incursions musulmanes. On s’étonne de voir la province du Cabo Del Gado devenir un nouveau théâtre d’une insurrection qui n’est qu’à ses débuts en oubliant que déjà à l’époque de Vasco de Gama, un certain souverain Musa Bin Bique avait donné son nom à ce sultanat musulman de l’île de Mozambique puis à ce pays bien avant l’établissement tardif des Portugais en 1544. Nul ne sait autant que les théoriciens de Daech jouer des symboles ou des narratives de conquête. L’organe de propagande de l’Etat islamique, Al-Naba, fait état, dans ces récentes parutions essentiellement consacrées à l’Afrique, de l’insurrection au Cabo del Gado comme nouveau refuge des groupes terroristes vaincus ou affaiblis au Levant. Ni le Mozambique ni la communauté internationale n’avait prévu une telle insurrection avec une charge religieuse catalysant revendications et frustrations de divers ordres. Devant l’ampleur du phénomène les analystes divergent sur l’origine d’une telle situation en évoquant, pour certains, des Chebabs sanctuarisés en RDC recrutant au Burundi, au Rwanda et en Ouganda tandis que d’autres y signalent l’afflux d’ouest-africains de pays majoritairement musulmans et de la diaspora. Ils se seraient radicalisés à partir de divers terrains du djihadisme en Afrique mais aussi en Europe.
La situation si floue au Mozambique risque de devenir encore plus complexe avec une dimension transnationale mobilisant de fortes minorités musulmanes dans les Grands Lacs et profitant, de plus en plus, de la multiplication des zones d’instabilité, attirant les éléments des anciennes rébellions dont ceux de Hussein Rajabou au Burundi aux insurgés en Républque Démocratique du Congo.
Conquistadors et Eldorado : l’Afrique ; une plateforme multifonctionnelle du terrorisme mondial
Dans ce contexte où l’Etat islamique cherche un plus solide ancrage territorial et des alliances au sein de la population du Cabo Del Gado, les théoriciens de Daech continueront de surfer sur la rhétorique de communautés musulmanes qui seraient « opprimées » dans des pays de forte « culture chrétienne » comme le Mozambique. Des éléments originaires de divers pays d’Afrique de l’Est et même de l’Ouest s’y étaient déjà improvisés en filiale de Daech en 2017. Des pays comme la Tanzanie ayant connu, bien avant le Mozambique, des attentats et des incursions périodiques des Shebabs semblent sont aujourd’hui, certes, préoccupés par cette situation sécuritaire tout en évitant de devenir un front ou un sanctuaire en cas d’intervention régionale ou internationale
Les Grands Lacs ne sont pas en reste avec des incidents récurrents ; signe de la montée du péril djihadiste dans cette région déjà en proie à d’interminables conflits. A partir des attaques d’avril 2018 ayant coûté la vie à plus de 8 militaires et d’autres civiles dans la zone de Kamango au Nord Kivu près de la frontière congolo-ougandaise et incursions contre la base de Bovata, Daech y avait déjà annoncé la naissance de la « Province d’Afrique centrale ». Depuis, les Forces démocratique Alliées (FDA), au Congo, revendiquent le statut de faction de l’Etat islamique qui compte, ainsi, s’étaler de la Somalie au Mali après avoir été filiale d’Al-Qaida dans la région. L’arrestation en 2018 de Walid Zein et de Halima Adan qui ont établi, à partir de la région, un vaste réseau complexe de facilitation financière de l’Etat islamique couvrant l'Europe, le Moyen-Orient, les Amériques et l'Afrique de l'Est est un des signes d’un nouveau statut multifonctionnel de l’Afrique comme plateforme incontournable dans l’attelage du terrorisme international.
Cette dynamique sans commune mesure inaugure une nouvelle ère : la transformation progressive des zones de conflits d’Afrique centrale riches en minerais et politiquement instables en véritable eldorado du financement du terrorisme mondial. Une africanisation du Djihad à l’heure d’une mondialisation des vulnérabilités dans un contexte post-covid19 avec son lot de populisme et de surenchères identitaires qui n’augurent en rien d’une stabilité régionale encore moins d’une hypothétique victoire contre le terrorisme international.
Directeur du Timbuktu institute-African Center for Peace studies - Dakar