"La célébration de la Journée internationale de la Fraternité Humaine a permis de réinterroger l'exception sénégalaise" (Dr. Bakary SAMBE) Spécial

Face à  la montée du discours de haine dans le monde, la première Journée de la fraternité humaine a été célébrée ce 4 février. Le pape François, l’ambassadeur des Emirats arabes unis au Sénégal, le secrétaire général de l’ONU, le professeur Bouba Diop, l'Ambassadeur des Emirats arabes Unis à Dakar, entre autres, ont échangé sur le contexte actuel, non sans faire des recommandations en faveur de la pérennisation des acquis au Sénégal. l'initiative avait été portée par Adama Dieng, membre du jury du Prix Zayed pour la fraternité humaine et Timbuktu institute.

L’exception sénégalaise en termes de stabilité politique n’est plus à  démontrer. Toutefois, dans un monde perturbé par la montée de l’extrémisme, Timbuktu Institute a réuni, hier, plusieurs acteurs au fait de la question, autour d’un symposium sur la fraternité humaine. Cette rencontre fait suite à  la déclaration d’Abu Dhabi, le 4 février 2020.

En effet, le Pape François et le grand imam d’Al Azhar ont signé le document, lors de la première visite d’un souverain pontife dans la région du Golfe. Alarmés par la montée de la haine et de la division dans le monde, les deux personnalités religieuses se sont unies pour traduire la fraternité humaine en action. Elles ont invité à  un engagement à  la paix, en appelant toutes les populations du monde à  la fraternité humaine.

Au Sénégal, la tolérance entre les différentes religions est de mise. Et selon les chefs religieux, cet aspect constitue un tremplin idéal pour maintenir cette stabilité tant chantée.  »˜’Nous, chefs religieux, sommes conscients que nos religions, bien que différentes, ne doivent pas briser l’harmonie et la communion au sein des familles. Que de mariages célébrés entre chrétiens et musulmans, que de familles o๠vivent en parfaite harmonie quotidienne chrétiens et musulmans, que de cimetières mixtes o๠reposent chrétiens et musulmans. Nous sommes convaincus que c’est Dieu lui-même qui nous a fait différents pour nous rendre complémentaires. La liberté religieuse doit être reconnue pour toute croyance et pour toute religion. Il n’y a ni majorité ou minorité, mais une communauté nationale à  b'tir, jouissant de la même dignité et des mêmes droits. C’est un fait constant au Sénégal, malgré les difficultés circonstancielles propres à  toute cohabitation ».

Par cette déclaration, le président du Comité national du dialogue chrétien, Monseigneur André Guèye, a insisté sur le partage, la solidarité et la fraternité qui règnent entre chrétiens et musulmans, surtout à  l’occasion d’événements religieux. Une tradition multiséculaire à  transmettre aux générations futures.

Cependant, l’évêque de Thiès appelle à  la vigilance : »˜’Restons vigilants pour pérenniser les acquis. Et pour cela, il faut assurer la bonne transmission des valeurs par l’éducation, faire bon usage des réseaux sociaux. Si nous sommes fiers de la belle tradition de dialogue, nous avons le devoir impérieux de la sauvegarder tous, parents, familles et autorités religieuses et étatiques. Nous ne devons pas nous contenter d’une ambiance d’harmonie et d’une paix superficielle. Le dialogue entre personnes différentes n’est pas le fait d’une simple diplomatie. L’objectif du dialogue est réellement l’amitié et l’harmonie. Ne nous contentons pas de discours, mais engageons-nous véritablement sur les chemins de la fraternité. Cela, par la connaissance de sa propre religion et l’effort de connaître la religion de l’autre pour l’apprécier et la respecter. Le danger réel des réseaux sociaux donne l’occasion à  certains d’animer l’animosité. Il y a là  aussi des efforts à  fournir en matière d’éducation et de régulation. » 

Selon les panélistes, seul le dialogue permettra de maintenir cette cohésion sociale dont on envie le Sénégal. Il constitue, en outre, »˜’une arme puissante », de l’avis de l’ambassadeur Martin Pascal Tine. »˜’La fraternité invite à  accueillir l’autre avec respect. Dans les relations internationales, la fraternité humaine doit s’exprimer par des actes concrets, comme l’initiative de la Maison de la fraternité au Sénégal qui ambitionne de contribuer à  la construction de la paix autour de la déclaration d’Abu Dhabi et à  promouvoir le vivre ensemble », a déclaré le représentant du ministre des Affaires étrangères. 

»Le monde est plongé dans une incertitude… »

Toujours dans l’optique de pérenniser les acquis, certains proposent un retour aux textes des livres saints. La ministre conseillère du président Macky Sall pense que l’hymne à  la paix de saint François d’Assise datant du XIIe siècle est un document phare de la fraternité. A cela s’ajoute le verset de la sourate 2 Al Baqara du Coran.  Penda Mbow est convaincue que ces écrits ramènent l’humanité à  l’essentiel.

»˜’Le monde est plongé dans une incertitude pendant laquelle l’être humain a tendance à  se replier sur lui-même, dans une certaine forme d’égoïsme. Et c’est ce qui explique la montée des populistes, mais aussi le rejet de l’autre. Notre pays est perçu comme un pays de dialogue. Mais sur quoi repose la tolérance sénégalaise ? Notre pays a été peuplé par des personnes qui ont fui d’autres contrées et qui sont venus s’installer à  la recherche de la liberté. C’est cette recherche de liberté qui est à  l’origine de la tolérance au Sénégal. Au XVe siècle, l’islam civil a cohabité pendant très longtemps avec les cultures paà¯ennes. C’était à  l’époque de l’empire du Djoloff », détaille la ministre chargée de la Francophonie.

La laïcité, soutient-elle, consacrée par la Constitution sénégalaise, a posé les bases d’une cohabitation entre musulmans et chrétiens.  Elle garantit un espace où¹ les religions s’expriment librement. »˜Le Sénégal est un pays très particulier car, à  l’intérieur d’une même famille, on peut trouver des musulmans comme des non-musulmans. C’est l’un des rares pays au monde où il y a des cimetières dédiés à  des musulmans et des chrétiens. Cette cohabitation entre religions et confréries se reflète dans la gestion de notre Administration et de notre vie politique.  Quand le président Abdoulaye Wade est arrivé en 2000 et a voulu enlever le mot laïc de la Constitution sénégalaise, ce sont les chrétiens et les femmes qui se sont retrouvés pour défendre la laïcité, la fraternité, l’égalité et le respect de l’autre. Ces valeurs ne peuvent être une réalité qu’à  travers l’espace laà¯c », explique Penda Mbow. 

Par ailleurs, l’histoire du Sénégal pourrait également servir de rétroviseur à  la fraternité humaine au Sénégal. Selon le Grand Serigne de Dakar, on ne devrait pas parler de tolérance, mais d’union. Abdoulaye Mactar Diop fait savoir que »˜’Dakar s’arrêtait à  Sandaga et toutes les églises, y compris la cathédrale, ont été construites en plein cœur du territoire lébou. Nous partageons les mêmes fêtes, parfois les mêmes noms. Nos sociétés sont traversées par des courants extérieurs à  nos valeurs fondamentales. C’est important de rappeler l’histoire. A une certaine époque, jamais les portes des concessions n’étaient closes au Sénégal. L’Etat doit contrôler les réseaux sociaux et les médias, pour nous permettre de préserver notre pays, renforcer la solidarité et le respect ».

D’un autre côté, il ne s’agit pas, de l’avis des diplomates, de seulement déterminer un système de sécurité internationale ou de respecter ses obligations pour garantir la paix. Il est également nécessaire de prévenir les causes qui peuvent déclencher un conflit.

Un avis que partage le nonce-apostolique au Sénégal qui estime qu’il faut impérativement placer la personne humaine au centre de tout. »`Comme l’a dit le pape François, tout est lié et la pandémie qui nous a forcés à  penser aux êtres humains plutôt qu’aux bénéfices de certains. Il faut donc repenser nos modes de vie, nos relations et l’organisation de nos sociétés, surtout retourner au sens de notre existence », indique Mgr Michael W Banach.

L’occasion est donc donnée à  l’humanité, face à  la Covid-19, de promouvoir la fraternité.

Contrecarrer les discours de haine

Cette année, le prix Zayed de la fraternité humaine a été attribué au secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres. Un an plus tôt, c’est le pape François qui l’avait reçu à  titre honorifique. »˜’Le document sur la fraternité humaine est une bouffée d’oxygène face aux replis identitaires que nous vivons, car il promeut la paix universelle et la coexistence pacifique. Il s’agit, pour nous, de contrer le discours de haine qui se propage à  une vitesse inquiétante, notamment avec les réseaux sociaux. Ces dernières années, nous avons été témoins de montée de l’islamophobie, de l’antisémitisme, des attaques contre les minorités chrétiennes, des mosquées, des églises ; des synagogues ont été brà»lées. Aucun pays n’est à  l’abri. Nous devons nous mobiliser à  chaque fois que le discours de haine se répand et tirer la sonnette d’alarme. Nous devons investir dans l’éducation à  la prévention fondée sur le respect de la diversité », défend, pour sa part, l’ancien secrétaire général adjoint des Nations Unies, Adama Dieng.

Quant au professeur Bakary Sambe, il diagnostique un »˜’défaut de connaissance ou de reconnaissance mutuelle. Les religions qui précèdent, poursuit-il, ont plus de mal à  reconnaître celles qui les suivent et les religions qui viennent après ont tendance à  considérer qu’elles détiennent le mot de la fin, en accusant celles qui les ont précédées d’avoir subi des altérations ». 

Actuellement dans le monde, 65 000 000 de personnes sont des réfugiés dont les 25 000 000 se trouvent en Afrique. A en croire les autorités étatiques, les Maisons de la fraternité, ces espaces d’échange sans aucune distinction dans le respect de la diversité, devraient bientôt voir le jour.

Source Enquête Journal

Par EMMANUELLA MARAME FAYE