Pandémie, religion et politique en Afrique de l’Ouest : Les 10 tendances régionales de l’étude du Timbuktu Institute Spécial

Il semble établi que dans les prochaines années, la tendance largement entamée d’un déséquilibre entre les besoins pressants des citoyens de plus en plus informés et les capacités des Etats à y répondre va occasionner des crises récurrentes de gouvernance et même de confiance entre les gouvernements et leurs administrés. Les pays de l’Afrique de l’Ouest n’échappent pas à cette forte évolution dont les prémisses se sont manifestées durant la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19.

 

Dans le cadre d’une étude exploratoire et prospective menée en partenariat avec Open Society Initiative for West Africa - OSIWA, Timbuktu Institute a coordonné un réseau de chercheurs africains du Bénin, de la Côte d’Ivoire, de la Gambie, du Ghana, de la Guinée, du Nigeria, du Sénégal et du Burkina Faso qui a interrogé l’évolution des rapports entre acteurs religieux et politique depuis la crise sanitaire occasionnée par la pandémie de COVID-19.

 

Effets aggravants d’une crise sanitaire 

La crise sanitaire mondiale a largement impacté les pays de l’Afrique de l’Ouest sur les plans économique, social mais aussi politique. D’après les différentes analyses, elle semble avoir été un facteur non seulement un élément accélérateur de dynamiques sociopolitiques préexistantes mais surtout une nouvelle donne qui a mis à nu de manière plus prononcée les vulnérabilités des Etats et de leurs institutions. 

Même si la gestion de cette crise liée à la COVID19 a, d’un certain point de vue, permis de tester les capacités de résilience et l’efficience des systèmes sanitaires, elle a dévoilé les déficits criants des systèmes de soins des pays de la région qui ne se sont toujours pas relevés des effets des politiques d’ajustement structurels.

 

Dans ces différents pays, la privatisation des systèmes de santé s’est progressivement accompagnée d’un désengagement de l’Etat au point que l’effet surprise de cette crise montre un certain désarroi des pouvoirs publics face à des populations fortement secouées par les effets de la gestion de la pandémie. La nature de cette crise sanitaire qui touche de manière concomitante les pays de la région et leurs partenaires au développement a eu un impact sur les stratégies adoptées mettant fortement en avant les communautés, la société civile y compris religieuse.

 

Acteurs religieux, dynamisme d’une force montante

Le dynamisme de cette force constamment montante a placé les acteurs religieux au cœur de la gestion de la pandémie. Le fait est que les Etats africains avaient bien saisi que la seule phase gagnable dans la lutte contre la Covid19 était celle de la prévention.

 

Après l’affaiblissement des institutions étatiques, le discrédit sur certaines formes de sociétés civiles endossant, en même temps que les acteurs politiques, le passif de la gouvernance socioéconomique, les leaders religieux sont devenus un maillon essentiel des mouvements sociaux. Cette nouvelle donne est bien manifeste dans la manière dont les systèmes de solidarités se sont mis en place en ravivant le sentiment d’appartenance collective à la religion.

 

Rôle sociopolitique des acteurs religieux : Une importance grandissante

Cette importance grandissante du rôle sociopolitique des leaders religieux dans les représentations a pu peser sur les attitudes des communautés vis-à-vis de toutes les questions mêmes sanitaires. L’émergence d’une terminologie jadis appliquée à l’action politique pour qualifier l’intervention du religieux dans le domaine des « services sociaux » a donné l’impression que les structures religieuses ont réussi le « réarmement moral » des citoyens-fidèles.

 

Dans un contexte de forte crise économique avec des Etats rudement affectés par de nombreuses fragilités le rôle des acteurs religieux a pu glisser de la simple intervention sociale vers une posture de complémentarité voire de contre-pouvoir.

L’un des faits le plus marquants est la manière dont la gestion de la pandémie a relevé les défaillances en termes de gestion du religieux qui n’a jamais fait l’objet d’une gouvernance rationnelle de la part des Etats constitutionnellement laïcs mais administrant des sociétés foncièrement et de plus en plus religieuses.

 

A travers les différentes études de cas consacrées aux pays concernés par cette étude exploratoire, on pourrait noter les dix (10) tendances régionales suivantes malgré certaines spécificités propres aux Etats selon leurs trajectoires politiques nationales ou sociohistoriques :

 

I-              Les différents Etats de la région sont, plus ou moins, désarmés dans la gestion de la question religieuse qui a toujours fait l’objet de consensus provisoires ou de négociations selon les rapports de force ou les enjeux sociopolitiques.

 

II-            Le contexte particulier de la gestion d’une pandémie a accentué les contradictions déjà présentes dans les rapports entre acteurs politiques et religieux en les rendant plus conflictuels

 

III-          Il y a eu une réaffirmation du rôle du religieux et de la pratique cultuelle avec un regain de légitimité sociale des acteurs religieux qui, progressivement, s’affirment en tant que substituts des acteurs comme l’Etat et les organisations politiques classiques (partis, coalitions politiques

 

IV-          La pandémie de COVID19 est apparue comme une jauge du degré de pénétration et du poids des groupes religieux et a laissé entrevoir un choc des légitimités et des positionnements sur d’importantes questions sociétales

 

V-            L’étude des différents contextes ouest-africains a montré comment les acteurs religieux savent se saisir d’opportunités comme une crise sanitaire pour répondre aussi bien aux angoisses existentielles qu’aux carences d’Etats et de pouvoirs en quête de légitimité.

 

VI-          Les différentes attitudes des acteurs religieux mais aussi les réponses parfois hasardeuses apportées par le politique (gestion du culte, adaptation des mesures administratives), posent pertinemment la question de la gouvernance du religieux qui s’imposera comme une problématique émergente dans les prochaines années.

 

VII-        La pandémie a aussi poussé les groupes religieux à une modernisation de leur rapport au culte, de leur mode de prédication avec une digitalisation inouïe notée des pratiques communicationnelles à travers des supports qui, habituellement, étaient décriés (prêches par Whatsapp, des lives sur facebook, etc.)

 

VIII-      Lors de situations politiques tendues résultant des restrictions ou des effets de la crise économique, les acteurs religieux se sont davantage imposés comme des remparts avec comme une nécessité de leur implication pour parer à l’implosion des sociétés remplaçant progressivement les sociétés civiles classiques au point où ces dernières s’allient à leurs initiatives.

 

IX-          La COVID19 a mis à nu la manière dont se dessinent dans les pays de l’Afrique de l’Ouest des rivalités montantes entre les formes de religiosités et, en même temps, des stratégies de positionnement des groupes religieux minoritaires pouvant déboucher sur des tensions à l’avenir (groupes salafistes, chiites, évangéliques etc.)

 

X-            La gestion de la pandémie a été confrontée à la montée fulgurante du phénomène de la désinformation et des fake news qui, au-delà de leurs effets négatifs sur la politique sanitaire, commencent à constituer une réelle menace pour le fonctionnement des institutions mais aussi un système démocratique permettant de maintenir conditions d’émergence de sociétés ouvertes et d’une opinion publique critique.