RAPPORT : Crise sahélienne et nouvelles dynamiques socioreligieuses dans la Moyenne-vallée du fleuve Sénégal Spécial

Synthèse réalisée par Maëlle Grossain-Camier (Stagiaire)

Rapport intégral à télécharger infra

Les sociétés sahéliennes sont traversées par de nouvelles dynamiques socioreligieuses dans le contexte d’une région en pleine mutation. L’étude de Timbuktu Institute, en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer, se penche sur la région de la Moyenne vallée du fleuve du Sénégal qui a longtemps été étudié sous le prisme de la transnationalité, l’impact de la diversité sociolinguistique sur les interactions religieuses et le rapport aux confréries.  Le lien a été rarement fait avec la crise multidimensionnelle qui secoue les pays sahéliens voisins. Par ailleurs, l’évolution des dynamiques socioreligieuses relatives à la montée de courants religieux notamment non confrériques que ce rapport analyse qui jusqu’ici n’a pas été beaucoup étudiée a fait l’objet d’examen par le présent rapport intitulé « Crise sahélienne et nouvelles dynamiques socioreligieuses dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal ». Un autre objectif a été d’étudier les dynamiques socio-économiques et religieuses relatives à la crise politico sécuritaire au Sahel. Il s'agit aussi d’observer les réponses des forces de défenses et de sécurité étatiques dans le cadre de la prévention de l’extrémisme et de la lutte antiterroriste, ainsi que le positionnement des populations face aux diverses menaces dans cette région frontalière.

L’étude a été réalisée selon une approche mixte. Autrement dit, une approche quantitative, qualitative et participative autour de six thèmes ; Les canaux d’informations, les dynamiques socioéconomiques, les dynamiques religieuses, le contexte sécuritaire, les forces de défense et de sécurité face à la menace terroriste et les attitudes par rapport aux menaces et la lutte contre le terrorisme

La région de la moyenne vallée du fleuve du Sénégal est un objet d’étude pertinent en la matière par son histoire et sa proximité des pays voisins. En effet, d’une part, les premiers leaders religieux du Sénégal sont issus de cette région et s’y trouve les premières confréries du pays comme Qadiriyya et Tijaniyya, il est alors intéressant d’étudier la montée de courants non confrériques comme le salafisme et le wahhabisme. D’autre part, la région est un réel carrefour culturel en raison de sa proximité avec la Mauritanie et le Mali ainsi que l’espace précolonial Wolof. Plus précisément, l’enquête se concentre sur les régions de Matam et Tambacounda, étant connectées à deux wilâyas mauritaniennes de Gorgol et de Guidimakha mais aussi à Kayes au Mali.

Dynamiques socioéconomiques : entre pastoralisme et vulnérabilités

L’étude portant sur les dynamiques socio-économiques entre autres, il convient de se pencher sur le potentiel et les difficultés de la région en tant que zone agrosylvopastorale. En effet, si celle-ci représente un potentiel remarquable en terres arables ainsi qu’en eau et que l’agriculture et l’élevage intensif s’y pratique, les populations doivent faire face aux obstacles tels que la qualité des sols, la disponibilité des forages, la vulnérabilité des écosystème sahéliens, la pauvreté, l’érosion, la disponibilité des ressources naturelles à la merci des conditions climatiques, ou encore les difficultés d’accès à l’alimentation du bétail en saison sèche. De plus un manque considérable d’infrastructure dans les zones reculées du pays est constaté même si, concernant ce dernier point, l'État tente d’y remédier en mettant en œuvre le programme Promovilles destiné à renforcer, voire créer des infrastructures sociales dans les zones frontalières et atténuer les inégalités entre zones rurales et urbaines

Ces multiples facteurs expliquent que les régions de Matam et Tambacounda, pourtant naturellement riches, comptent parmi les plus pauvres du pays où l'insécurité alimentaire représente un fléau. A Matam pour exemple, le taux de chômage s’élève à 54,2% et en moyenne 55% des personnes interrogées dans la zone d’étude estiment qu’ils ne disposent pas d’opportunité économiques suffisantes  

Cependant il est apparu que selon 82% des habitants de Matam et 64% des habitants de Tambacounda l’existence de vulnérabilités socioéconomiques n’expose pas les citoyens ou ne cause pas de conflits, pourtant il est constaté que le déficit d’accès à la terre, à l’eau ou encore à la santé entraîne des conflits et des vols de bétails.

Alors, si la région dispose d’un fort potentiel, les habitants n’en profitent guère. Cette problématique commence à être prise en charge et des solutions tentent d'être mises en place, notamment l’idée d'accroître les échanges commerciaux et les opportunités économiques entre les pays, idée portée par le forum d’échanges sur les opportunités économiques du bassin du fleuve Sénégal

La problématique du foncier entre conflictualités et lacunes dans la gouvernance

Les difficultés socio-économiques des populations locales résident aussi en la problématique de l’accès et l’utilisation des terres. Dès la crise frontalière avec la Mauritanie en 1989-1990 le système productif a subi des répercussions et nombre d’habitants ont perdu leurs terres. Aujourd’hui si la majorité de la population interrogée estime ne pas rencontrer de difficulté lorsqu’il s’agit d’accès aux terres, il reste 46% des habitants à Matam et 30% à Tambacounda qui éprouvent des difficultés dans ce domaine, ce qui représente alors une part non négligeable de la population. D’autant plus qu’il ne s’agit pas uniquement d’y avoir accès mais aussi et surtout de disposer de moyens techniques et financiers pour pouvoir l’exploiter, ce qui n’est pas le cas. 

D’après Ousmane Bâ, point focal du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP) à Matam, "Si on ne fait pas attention, le problème du foncier risque d’être une source de conflits. Actuellement, les habitants de la 11e région du pays rencontrent des problèmes pour trouver où cultiver ou bien où habiter"

Dans le cadre des problèmes fonciers, les populations font, notamment, face à des contraintes d’ordre publique, spatial, de cherté et d’accès à l’eau, ainsi que d’inégalités dans la répartition des terres. En effet à Tambacounda 43% de la population estime que la distribution des terres n’est pas équitable et 66% à Matam partage cet avis.

Ces difficultés foncières peuvent avoir pour effet d'accroître les flux entre les pays frontaliers. A Tambacounda 59% des personnes interrogées affirment exercer une activité dans un pays voisin, activité pouvant être génératrice de revenus. Le risque est que ces échanges peuvent entraîner l’augmentation des trafics illicites au vu de la porosité des frontières. Alors, la région étudiée présente des risques conflictuels relatifs au pastoralisme, au foncier ainsi qu’aux ressources.

Cet éloignement se confirme lorsqu’est constaté une intention des populations d’émigrer de 40% à Matam et 40% à Tambacounda mais aussi lorsque 53% personnes interrogées à Matam et 42% à Tambacounda estiment que les autorités administratives et politiques ne sont pas suffisamment accessibles. Ce sentiment entre, alors, en contradiction avec les initiatives menées par les autorités sénégalaises qui mettent en place différents programmes ayant pour objectif de venir en aide à ces zones défavorisées, comme le Programme d’Urgence de Développement Communautaire (PUDC), dont l’objectif est de favoriser l’accès aux infrastructures et aux moyens de productions dans les zones rurales ou encore le Programme d’Urgence de Modernisation des Axes et Territoires frontaliers (PUMA) visant le désenclavement, le développement durable et la sécurité frontalière. Le problème réside en ce qu’une majorité écrasante des populations visées par ces programmes les ignorent (92% en moyenne).

L’existence de ces programmes est, certes, une avancée importante. Mais, si les populations ne sont pas informées à ce sujet et que les problématiques persistent, il convient de se demander si ces programmes répondent aux besoins réels des habitants de la région, à cette question une grande majorité répondent par la positive, tout en relevant le long chemin qu’il reste à parcourir pour surmonter les défis structurels de la région.

Alors que l’existence de flux est constatée de manière évidente dans la région frontalière, il paraît nécessaire, pour se pencher sur les risques de conflits, d’observer les relations entre les trois pays, relations historiques par la fédération du Mali mais aussi conflictuelles par le terme de celle-ci et le conflit de 1989 en Mauritanie. Dans l’ensemble, mise à part quelques conflits ponctuels entre certaines populations, les relations entre les communautés semblent bonnes et une écrasante majorité de personnes interrogées, 84% à Tambacounda et 91% à Matam, sont du même avis. 

In fine, il est constaté que la Moyenne Vallée du fleuve fait face à des difficultés d’ordre socio-économique expliquées par de multiples facteurs ; problèmes fonciers, vols, qualité des sols, accès à l’eau entre autres. Si l’Etat met en place des programmes afin de remédier à ces problématiques, ceux-ci doivent etre largement encouragés et poursuivis. En la matière, le rapport en vient à la conclusion qu’il est recommandé à l’Etat de lutter contre le chômage des jeunes, faciliter et rationaliser l’accès à la terre et au financement des projets agricoles.

Dynamiques socioreligieuses et mutations régionales

Si le contexte régional concernant la dynamique socioreligieuse est en mutation et que cela pourrait alors se répercuter sur les enseignements et pratiques religieux, 57% des habitants de Matam et 59% à Tambacounda ne l’ont pas remarqué concernant l’enseignement et concernant les pratiques religieuses 60% des personnes interrogées à Matam et 67% à Tambacounda ne notent pas de changement. Ainsi, même si les évolutions relatives à la diversification de l’offre religieuse musulmane liée à l’arrivée de courants réformistes impactent la région, l’impact est moindre que dans le centre du pays.

Les résultats de l’enquête amènent, en effet, à penser que la région se trouve relativement éloignée des conflits religieux qui peuvent avoir lieu dans le pays, ce qui s’explique notamment par le fait qu’il s’agit de conflits entre courants confrériques et acteurs réformistes, tandis que l’est du Sénégal a une faible appartenance confrérique. C’est ainsi que 67% des personnes interrogées à Matam et 69% à Tambacounda estiment qu’il n’y a pas de tensions intra-religieuses dans la région.

Si de manière générale, le Sénégal semble, au contraire de ces voisins le Mali et la Mauritanie, être épargné de l’action de groupes radicaux ou extrémistes, et si selon 62% des personnes interrogées à Matam et 57% à Tambacounda ce types de groupes ne sont pas implantés dans la région et que la majorité écrasante estime qu’il n’existe pas de prédicateurs actifs dans cette région (97% à Matam et 89% à Tambacounda). Les autorités agissant en prévention, mettent en place un dispositif militaire de riposte et un gouvernement d’action rapide de surveillance. En effet, quelques évènements pour le moment mineurs dans la région peuvent amener les autorités à agir, selon les entretiens qualitatifs menée lors de l’enquête à Matam. Mais aussi au regard de l’émergence de contestations concernant la marginalisation de l’enseignement religieux islamique face à l’école publique laïque, ces contestations étant aussi celles des mouvements islamiques, cela pourrait représenter un facteur de rapprochement à ne pas négliger.

Ainsi, du point de vue des dynamiques religieuses, un vivre ensemble harmonieux semble régner sur la région actuellement, cependant quelques évènements entravant ce vivre ensemble poussent l’Etat à surveiller la zone afin que ceux-ci ne deviennent pas courants. Alors, le rapport recommande aux populations locales de signaler systématiquement tout acte suspect aux forces de sécurité et de défense afin d’instaurer une collaboration efficace dans la lutte contre la menace.

Regards croisés sur les défis sécuritaires en zone frontalière

-        Le contexte sécuritaire

Les zones frontalières, en raison, notamment, de la porosité des frontières et du manque de moyens logistiques constituent des zones à risques en ce qu’elles sont un lieu de transit pour le trafic illicite. Cependant à Matam, seulement 16% des personnes interrogées remarquent fréquemment ces trafics et 44% les remarquent rarement. A Tambacounda, 38% voient fréquemment ces trafics et 39% les observent rarement. Ainsi il existe des risques intrinsèquement liés aux zones frontalières mais ces risques-là sont accrues par le contexte actuel de crise sécuritaire au Sahel et cela se remarquent dans le recueil des perceptions de la population, 79% de la population à Tambacounda et 58% à Matam est inquiète de l’évolution de la situation politico sécuritaire de la région. L’écart des données entre les deux régions peut s’expliquer par la proximité de Tambacounda avec le Mali, épicentre du terrorisme au Sahel. Ces risques liés à la crise sahélienne et à son évolution se manifeste au Sénégal notamment par la présence de jeunes sénégalais dans des groupes de Boko Haram en 2015

 « Le Sénégal doit faire face à un défi majeur : empêcher les groupes terroristes de trouver des couveuses locales. Le plus gros risque serait qu’ils réussissent à créer un terreau en exploitant les frustrations et le sentiment de marginalisation de certaines populations » Bakary Sambe, Directeur régional du Timbuktu Institute.

De plus, d’un point de vue économique, ces évolutions sont aussi inquiétantes en matière de commerce, le Sénégal exportant 21% de marchandises au Mali en 2020 et une grande partie des marchandises en partance pour le Mali transitant par le port autonome de Dakar.

Les autorités sénégalaises doivent alors se préoccuper de l’évolution de la crise au Mali et plus généralement au Sahel. Cette préoccupation est davantage effective depuis les évènements de Grand Bassam et en Côte d’Ivoire, l’Etat réalisant qu’aucun pays n’est réellement épargné.

Cette prise de conscience se concrétise notamment par l’envoie de force au sein de la MINUSMA au Mali, par le Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique ou encore la réception de nouveaux camps militaires tel que celui de Goudiry.

Alors, si l’harmonie religieuse est constatée dans la région, la proximité de celle-ci avec l’épicentre du terrorisme que représente le Mali, combinée avec l’importance des flux entre les deux pays, représente un risque sécuritaire pour la région. De ce fait, le rapport recommande aux populations de cultiver ce vivre ensemble harmonieux et de le renforcer davantage.

Les forces de défense et de sécurité face à la menace

Même si l’évolution de la crise inquiète les populations, aujourd’hui seuls 9 à 10% ne se sentent pas en sécurité, et 54% et 39% se sentent moyennement en sécurité. Les autorités sécuritaires mettent alors en œuvre des services opérationnels aux frontières, notamment avec la Direction de la Police de l’Air et des Frontières (DPAF) qui dispose dans ses rangs de membres du Groupement Mobile d’intervention (GMI) Par ailleurs plus du tiers des habitants de la région remarquent la présence accrue des Force de Défense et de Sécurité (FDS) dans la région. Cependant, même avec la présence de la gendarmerie, la police, l’armée et la douane, seulement 43% des personnes interrogées à Matam et 35% à Tambacounda estiment que les frontières sont protégées, 50% se sentant plus ou moins en sécurité par rapport aux frontières. Ce sentiment de crainte peut s’expliquer par une majorité des habitants de Matam (64%) qui ignorent l’existence de mesures prises par les FDS pour lutter contre la menace, cependant il est pertinent qu’à Tambacounda 56% des personnes interrogées ont remarqué ces mesures. Alors, si les habitants remarquent la présence des autorités mais ne sentent pas encore pleinement protégés cela devrait encourager le gouvernement à renforcer la sécurité dans cette zone.

Par ailleurs, le sentiment de sécurité des populations locales semble pouvoir s'accroître avec la coopération européenne au travers des opérations telles que Serval, Barkhane ou encore Takuba qui, sur le terrain, sont inégalement appréciée mais considérées comme étant un facteur de sécurité par la population de la zone étudiée (87% à Matam et 81% à Tambacounda).

Concernant la connaissance du GARSI au Sahel 92% des habitants de Matam ignorent son existence, à contrario 77% des habitants de Tambacounda en ont entendu parler.

In fine, la région frontalière est une des régions les plus exposées à la menace terroriste, si des forces sont déployées dans la zone étudiée le rapport recommande de sécuriser davantage en renforçant les forces de défenses et de sécurité. De surcroît, il recommande d’appuyer la douane qui apparaît comme un acteur majeur dans la lutte antiterroriste, ayant pour objectif de régulariser les flux, surveiller les produits passant la frontière pouvant être détourné par les groupes armés.

Attitudes par rapport à la menace terroriste et lutte contre le terrorisme

Si en raison de sa position géographique, la région étudiée est en proie à la menace terroriste et notamment au danger du recrutement des jeunes, en sachant que la marginalisation, le chômage et la pauvreté sont des facteurs propices à la radicalisation et qu’il a été remarqué dans ce rapport que les trois facteurs sont relevant dans la région, la zone étudiée est alors d’autant plus en proie à la menace et l’apport de soutien à des groupes terroristes peut être à craindre. A ce sujet, seulement 55% des habitants de Tambacounda et 65% de Matam affirment clairement qu’ils ne connaissent pas d’individus susceptibles de soutenir des terroristes et plus du tiers disent ne pas savoir. Ensuite, la population soutient que les problèmes socio-économiques auxquels font face les habitants, notamment les jeunes habitants de la région, sont des facteurs de risques.

« Si les terroristes venaient ici ils n’auraient pas le soutien de tout Bakel, mais ils recruteront beaucoup de monde avec l’argent. L’islam est la religion de Dieu mais celui qui peut délaisser sa confrérie à cause de l’argent, il peut aussi devenir un terroriste pour la même raison. » Jeune conducteur de moto « Jakarta » à Bakel

Dans le cadre de la lutte antiterroriste, le gouvernement a lancé le Cadre d’intervention et de coordination interministériel des opérations de lutte anti-terroriste (CICO) en 2016, cadre qui se réunit régulièrement afin de discuter de la situation sécuritaire nationale et dans les régions en rapport à la menace terroriste. En la matière la population considère que l’Etat est l’acteur le plus efficace pour lutter contre le terrorisme à 88%, se plaçant devant les partenaires internationaux et le G5 Sahel, désormais G4 Sahel. L’Etat constitue aussi l’entité de confiance concernant la prise en charge de la prévention de la radicalisation auprès des jeunes (67%), suivi des chefs religieux, des autorités locales et chefs traditionnels. Cependant, l’Etat fait face à de vive contestation de l’opposition en la matière notamment lorsqu’une loi a été votée à l’Assemblée nationale ayant pour objectif de mieux lutter contre le terrorisme.

Ainsi, la menace terroriste étant active dans la région et l’Etat apparaissant comme l’entité la plus apte à agir d’après la population, le rapport recommande à celui-ci de mener des actions de sensibilisation contre l’extrémisme violent ainsi que contre le terrorisme et de créer une collaboration plus étroite entre les populations et les forces de sécurité et de défense en matière de renseignement.

 

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