Les enjeux de la démondialisation sécuritaire au Sahel : Vers un « G3 » Sahel ? Spécial

 

 

 

 

 Par Hervé Briand

Expert-Associé au Timbuktu Institute

Suite aux crises successives de la covid 19 et de la guerre russo-ukrainienne, force est de constater que la "globalisation" et la mondialisation à outrance sont
des concepts aujourd'hui fortement critiqués, dénoncés, écologiquement non durables, et finalement dépassés...

En matière sécuritaire, il en va de même : des stratégies militaires globalisantes, conceptuelles souvent "hors-sol", ont montré leurs insuffisances et leurs limites,
notamment au Proche et Moyen-Orient, mais aussi et surtout en Afrique, particulièrement en Afrique de l'Ouest et plus précisément au Sahel...

 

En effet, si les conflits en Afghanistan, en Syrie, voire au Yémen sont de nature et de causes très différentes, et leurs acteurs ethniques totalement distincts, il en est de même pour les divers conflits africains, qui sont de causes très diverses : le conflit en Somalie avec les AL SHEBABS n'est pas de même nature que le conflit armé régionaliste au nord de l'Ethiopie, et encore moins que le conflit "larvé" et de nature plus "clanique" actuellement sous-jacent en Libye. De même, en Afrique de l'Ouest, les problématiques politiques générés par le FRONT POLISSARIO au Sahara Occidental et au Maghreb, ne sont pas de même nature que les conflits terroristes (EIGS, JNIM -AQMI/FLM/ANSAR DINE) présents au Mali, au Burkina Faso ou au Niger, qui eux-mêmes n'ont pas la même genèse que le conflit sectaro-terroriste au Nigeria perpétré par les combatants de BOKO HARAM (EIAO/ISWAP). Précisons toutefois que si les rébellions politiques tchadiennes sont de nature très différentes, le Niger pâtit, quant à lui, essentiellement d'incursions et de conflits terroristes frontaliers ("zone des trois frontières") avec le Mali (région de Tilabéry) et le Burkina Faso (secteur de Torodi), mais aussi avec le Nigéria (département de Diffa).

Par ailleurs, les conflits armés "internes" dans le monde, notamment en Afrique et plus particulièrement au sein des trois pays "frères", à savoir le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ne sont pas tous d'ordre terroriste ou jihadiste. En effet, ces pays tribaux sont confrontés depuis toujours à d'autres types de conflits intérieurs, tels que :

Des conflits ethniques locaux, des disputes inter-tribales, des conflits pastoraux souvent très meurtriers, mais aussi des "guérillas" incessantes de narco-trafics, dont des guerres de territoires avec droits de passage exorbitants, avec malheureusement aussi des représailles et autres règlements de compte vis à vis des populations locales, et bien sûr des conflits migratoires et leurs criminalités associées, des délits, des crimes et des violences de droit commun.

De temps à autres, des mouvements sociaux, des soulèvements populaires, mais aussi des rébellions politiques historiques (touarègues...), éclatent sporadiquement et se confrontent avec violence aux gouvernances locales...

Mais, ce qui retient surtout l'attention médiatique internationale, ce sont les luttes jihadistes fratricides, claniques et les attaques terroristes parfois savamment orchestrées, très médiatisées, visant par surprise des villageois locaux ou des cibles et des intérêts occidentaux...

Or, tous ces conflits ne devraient pas se traiter de la même façon selon leur origine, leur nature (cf. supra), l'environnement où ils se déroulent (pays, région, zones sahélo-sahariennes arides ou non...), mais aussi et surtout, selon les clans et les ethnies des acteurs et instigateurs de ces conflits aux origines très diverses.

Cependant, certaines stratégies militaires ou sécuritaires trop globales et trop conceptuelles peuvent parfois laisser à penser (à tort) qu'elles pourraient régler, à elles seules, tous ces divers types de conflits sahélo-sahariens, quelles que soient leurs natures, le profil de leurs acteurs et l'environnement où ils se déroulent... Leurs résultats plutôt décevants sur le long terme devrait pourtant inciter à reconsidérer l'efficience de certaines formations sécuritaires, voire le fonctionnement et les réels objectifs de certaines structures internationales sécuritaires (mais aussi certaines ONG ou autres structures diplomatiques...), jugées par certains comme des "mastodontes occidentaux essoufflés", de type "usines à gaz" aujourd'hui inadaptées aux réalités actuelles du terrain africain, au pragmatisme et à l'urgence des populations locales, voire inconsidérées par une partie d'entre elles...

Il est souvent perçu par certains locaux que des conceptions européennes (UE) parfois figées, mal adaptées aux réalités locales et souvent déjà trop complexifiées au sein de l'Europe et pour les Européens eux-mêmes, l'étaient bien évidemment encore davantage en terrain difficile qu'est la zone sahélo-saharienne et surtout auprès de ses populations et ses acteurs sécuritaires aux besoins plus immédiats et pragmatiques.

Parallèlement, des convois militaires de tous ordres (MINUSMA, BARKHANE..) ont pu également, au fil du temps (souvent ingrat), apparaître injustement aux yeux d'une minorité grandissante (manipulée ou non par les nombreuses officines de propagande...), comme des troupes d'occupation ou des forces impérialistes manoeuvrant parfois en plein désert, tels des contingents de "Fort Saganne"...

Dans un discours de vérité, il est parfois fait état du "malaise", de l'incompréhension ou de la frustration de certains Touaregs admettant plus difficilement aujourd'hui qu'un Américain ou qu'un Européen puisse encore occuper leur espace saharien, ce après plusieurs années de présence occidentale sur leur sol qu'ils jugent malheureusement infructueuse. Certains "nomades" locaux ajoutent sur le ton de la boutade, que face à des "Nordiques" européens, "descendants des Vikings leur expliquant la paix dans LEUR désert" (selon leurs termes - sic), ils ne verraient pas "des Touaregs discuter de la fonte des glaces au Pôle Nord dans un comité de pilotage européen" ! Si ces "piques" locales acerbes et très exagérées prêtent évidemment à sourire, sachant que les forces armées occidentales en question remplissent avant tout une tâche (ingrate) de sécurisation et de protection des populations locales et ce, à la demande initiale des États concernés, il n'en reste pas moins que ces réflexions sont symptomatiques d'une population ouest-africaine qui se veut aujourd'hui plus indépendante que jamais...

Mais, les incompréhensions ou des "frustrations" de certains Sahélo-sahariens ne sont pas toutes exclusivement formulées vis-à-vis de l'Occident (UE, USA, France...). Des interrogations s'élèvent également à l'encontre des États africains, de la "mal-gouvernance", de la corruption parfois endémique, et des structures de défense intra-africaines, jugées encore trop "lourdes", complexes et peu réactives, à l'instar du "G5 Sahel" :

Sur les cinq pays constituant l'actuel G5, seuls les trois "pays frères", que sont le Mali et le Niger (de "construction" similaire), mais aussi le Burkina Faso, ont réellement de nombreux points communs en terme de culture, d'ethnies et modes de vie, tandis que la Mauritanie et plus encore le Tchad font face à des problématiques (politiques, ou rébellions...) de natures très différentes de leurs pays voisins : alors que la Mauritanie semble, quant à elle, sortie de la spirale terroriste, le Tchad est davantage en proie aux "sous-rébellions politiques" et au conflit secto-terroriste de BOKO HARAM (EIAO/ISWAP), là encore d'une autre nature terroriste que celle du JNIM/GSIM et de l'EIGS

Aussi, bien avant le putsh militaire au Burkina Faso, puis la sortie récente du Mali du "G5 Sahel", cette "globalisation sécuritaire occidentalo-africaine" semblait déjà marquer le pas...

Les pays côtiers, tels le Bénin, le Togo ou le Ghana (connaissant il est vrai de rares infiltrations djihadistes sporadiques), ni même le Sénégal ou la Côte d'Ivoire, n'auraient pour l'heure, à mon sens, aucun intérêt à rejoindre une force éponyme de type "G7 ou G10 Sahel", qui serait alors surdimensionnée, moins efficiente, face à des groupuscules jihadistes ultra-mobiles et principalement centrés sur la zone dite des "trois frontières" (Mali, Niger et Burkina). Ce serait pour ces États, prendre le risque "d'importer" sur leurs sols la question terroriste et les problèmes qui y sont liés, alors qu'ils n'ont aujourd'hui aucune réelle implantation jihadiste durable sur leurs territoires, ni même d'idéologie radicale directement menaçante...

C'est donc, je pense, une approche moins globale, mais beaucoup plus pragmatique et locale des conflits qu'il conviendrait de privilégier aujourd'hui, à savoir une pragmatique mutation de l'actuel G5 en un "G3 SAHEL", concentrant sur un même espace seulement les trois pays "frères" : Mali, Niger et Burkina, tous en proie aux mêmes menaces ou difficultés et conflits de même nature (JNIM/GSIM, EIGS).

Bien entendu, ce "G3 SAHEL", recentré sur un espace plus réduit aux fins d'un pragmatisme et d'une efficacité optimale, devrait être soutenu par un partenariat plus "discret", sans doute moins coûteux, et finalement plus efficient de l'Occident.

En effet, afin d'être plus efficace, mieux admise et "intégrée" par les populations locales, la puissance des forces armées occidentales, notamment françaises, au Sahel pourrait se muer aujourd'hui en un strict appui discret d'ordres stratégique, technique (formation, renseignement - drones - sources techniques et humaines...), logistique et financier, mais sans les aspects strictement opérationnels, c'est à dire sans aucune présence physique régulière au sol de troupes (patrouilles) militaires occidentales.

À ce changement de statut et de mission, un changement de nom de "feu Barkhane" s'imposerait alors...

Avec cette éventuelle "mutation" de l'actuel dispositif sécuritaire sahélo-saharien, appuyé alors exclusivement "techniquement" par l'Occident, les forces armées locales de ce "G3 SAHEL" auraient la vocation d'assurer dorénavant elles-mêmes les opérations de terrain en se dotant principalement "d'unités spéciales" très mobiles, composées à la fois de combattants militaires "nomades" locaux aguerris (dont Peulhs et Touaregs...) et de commandos militaires régionaux. Commandés par des cadres militaires nationaux exclusivement issus du G3, et parfaitement "reconnus" et légitimés par les populations locales concernées, ces "unités nomades G3" pourraient également s'appuyer sur le "Renseignement Nomade" qu'il conviendrait de développer encore davantage...

Ce nouveau partenariat militaire et sécuritaire plus efficient "G3 SAHEL/OCCIDENT", à la fois discret, "technique" et financier, représenterait un soutien considérable, essentiel, et je l'espère, mieux intégré par les populations locales, ce, en faveur d'une Afrique plus souveraine et de la promotion d'une paix durable au Sahel !

Hervé BRIAND