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La Croix Africa : Tout comme le Mali et le Burkina Faso maintenant dirigés par des juntes militaires, le Niger est touché par un coup d’Etat. Faut-il faire un lien entre le djihadisme et l’installation de régimes militaires dans ces pays Sahéliens ?
Bakary Sambe : Le cas du Niger est spécifique car il y avait beaucoup d’espoir sur la stabilisation du pays. Le Niger a, en effet connu une expérience d’alternance politique démocratique avec la fin du mandat de Mahamadou Issoufou et le début celui de Mohamed Bazoum en 2022. Cette élection de Bazoum avait été considérée comme une avancée non-négligeable au niveau démocratique.
Les observateurs sont surpris que la junte au pouvoir évoque la question sécuritaire comme cause du coup d’État parce que le Niger avait réussi tant soit peu à stabiliser la situation. Le succès de la stratégie nigérienne était notamment dû à l’approche mixte : militaire, communautaire avec un dialogue au sein des communautés où se recrutaient les djihadistes.
Nous sommes dans une situation régionale globale où l’instabilité prend de plus en plus de l’ampleur. Elle est notamment aggravée par la prise du pouvoir par les militaires après des décennies où l’on commençait à croire que l’ère des coups d’État était révolue. En plus, le coup d’État touche un pays qui était considéré comme le dernier bastion de la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme mais également un pays pivot au cœur des réalités géopolitiques.
L’instauration de ces régimes militaires peut-elle être un rempart contre le terrorisme ou au contraire, facilite-t-elle son installation ?
Bakary Sambe : Les seuls vrais gagnants de la situation de chaos et d’instabilité, ce sont les groupes terroristes qui pourront continuer à mener leurs activités dans des zones comme celle des trois frontières (Niger, Burkina Faso, Mali) du Liptako Gourma. Mais aussi en face de régimes militaires qui, malgré les discours populistes sur des victoires contre des groupes terroristes peinent à stabiliser la situation. Je prends l’exemple du Mali où la situation sécuritaire n’est pas stabilisée dans le nord. Pire, le centre du Mali continue d’être un épicentre du djihadisme.
Malgré le discours triomphaliste du régime d’Assimi Goïta, la Katiba Macina, un groupe djihadiste, a réussi à frapper le camp militaire de Kati, qui est le cœur stratégique du régime actuel. Ce n’est guère mieux au Burkina Faso où les experts sont unanimes. Le coup d’État a été perpétré au nom de la lutte contre l’insécurité mais le pouvoir actuel n’arrive même pas à contrôler 40 % du territoire avec l’explosion des attaques terroristes qui sont désormais quasi quotidiennes.
Une constante après ces coups d’État est que le sentiment antifrançais est très perceptible. Comment analysez-vous cela ?
Bakary Sambe : La grande difficulté pour la France au Sahel, c’est qu’elle est contrainte de gérer l’urgence et l’histoire en même temps. L’urgence sécuritaire, c’est la coopération militaire qui n’a pas fonctionné, avec ses insuffisances et qui n’a pas réussi à vaincre les groupes terroristes. L’opération Serval a eu un relatif succès, mais Barkhane a été critiquée à cause de ses échecs répétitifs. En outre, la France a une position assez délicate dans cette région du Sahel où elle, un passé colonial. En même temps, l’on assiste à la montée d’une nouvelle génération qui rejette, justement, toute forme de domination.
Mais il faut voir la situation de manière plus globale : il y a une prise de conscience d’un moment où l’Afrique devient un centre névralgique qui peut faire basculer la nature des rapports de force au plan international. Nous sommes dans un monde où les alignements sont à la fois multiples et diffus, un monde où la distribution de la puissance est fragmentée avec, l’effet de puissances classiques comme la France qui décline et des puissances émergentes comme la Chine, la Turquie, la Russie qui cherchent à s’imposer.
Nous sommes également dans une région où, sous l’effet d’une élite plus décomplexée et d’une population plus exigeante, des États cherchent un nouveau type de relations internationales plus égalitaires. S’y ajoute le fait que les questions sécuritaires ne sont plus l’apanage des États, les sociétés civiles montantes avec les jeunes et les réseaux sociaux s’en sont approprié pour en faire un débat public. Nous sommes enfin dans un contexte de conflit russo-ukrainien où la Russie essaie d’accroître son influence en Afrique.
Comment faire pour que l’instabilité ne contamine pas tous le pays ouest-africains ?
Bakary Sambe : Il faudrait déjà revoir le monde de coopération sécuritaire qui, jusqu’ici, n’a pas donné les résultats escomptés. Aujourd’hui, si on laisse prospérer ces régimes militaires dans la sous-région, la contagion est inéluctable. Il faut aussi une réflexion sur les incohérences de la gouvernance dans nos pays. Il y a tout de même un paradoxe à constater que la jeunesse africaine qui luttait pour démocratie dans les années 1990-2000, applaudit les coups d’État maintenant. Il faut repenser la démocratie dans la manière dont elle s’exerce dans nos pays. D’autant plus que des modèles concurrents, aujourd’hui opposent démocratie et développement en promouvant des régimes plus autocratiques mais qui font des progrès économiques. Il faudra aussi traiter une contradiction visible avec une jeunesse qui représente 75 % de la population mais qui reste exclue du champ des décisions politiques.
Propos recueillis par Lucie Sarr
(1) Centre de recherche-action privilégiant des approches transdisciplinaires sur des questions liées à la paix et à la sécurité régionale.