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Le 24 octobre dernier, s’est ouverte l’édition 2023 du Forum de Vienne sur le thème : « Contrer la ségrégation et l’extrémisme en contexte d’intégration » (Countering Segregation and Extremism in the Context of Integration) avec la participation d’officiels et d’experts venus de toute l’Europe. Cette édition a enregistré la participation de diverses personnalités comme Davor Božinović, ministre de l'Intérieur de Croatie, Kaare Dybvad Bek, ministre de l'immigration et de l'intégration du Danemark, Ana Catarina Mendes, ministre des affaires parlementaires du Portugal. En ouvrant les travaux, Mme Susanne Raab, ministre des femmes, de la famille, de l'intégration et des médias d’Autriche est revenue sur la nécessité de synergie entre les différents acteurs. Avec la présence de Bart Somers, vice-ministre-président du gouvernement flamand de Belgique, Sofia Voultepsi, vice-ministre de la migration et de l'asile, de la Grèce et d’Etienne Apaire, Secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation en France, les échanges ont tourné autour des expériences des différents pays en matière de gestion du religieux mais aussi des politiques mises en place dans le cadre de l’intégration des minorités religieuses notamment musulmanes.
Cette édition avait accueilli l’éminent universitaire et expert sénégalais, fondateur de l’Observatoire des Radicalismes et conflits religieux en Afrique et Directeur du Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies, Dr. Bakary Sambe. Il a été invité par le gouvernement autrichien à prendre part à cet évènement annuel sur proposition de Son Excellence Ursula Fahringer, Ambassadrice d’Autriche au Sénégal dans le cadre de la promotion des échanges entre son pays et le Sénégal.
Pour sa chronique hebdomadaire sur Medi1TV consacrée cette semaine à cet évènement, il répond, ici aux questions du journaliste Pape Cheikh Diouf sur les enjeux de sa participation en tant qu’expert africain ainsi que les enseignements de ce Forum de Vienne.
Dr. Bakary Sambe, vous venez de prendre part au Forum de Vienne organisé par la Federal Chancellery du gouvernement autrichien sur le thème « Ségrégation et extrémisme violent dans un contexte d’intégration ». Quel était le sens d’une telle thématique dans le contexte européen actuel ?
La réflexion portait sur les enjeux de la prévention des conflits surtout suite aux récentes émeutes et des attaques terroristes dans de nombreux pays européens où les acteurs principaux étaient plus souvent des mineurs issus de l'immigration et nés en Europe. Il fallait aussi réfléchir sur d’éventuelles stratégies pouvant servir à relever le défi de la gestion de la liberté personnelle de religion et d'expression, des libertés scientifiques et académiques face à l’émergence des idéologies extrémistes. Participation de nombreux ministres de la Croatie, du Danemark, du Portugal. En ouvrant les travaux, Mme Susanne Raab, ministre des femmes, de la famille, de l'intégration et des médias d’Autriche est revenue sur la nécessité de synergie entre les différents acteurs. Il fallait insister et clairement sur le fait que l’islam dans ses enseignements n’est pas la source de la radicalisation et de l’extrémisme mais plutôt « la manipulation des symboles religieux pour des motifs politiques, idéologiques etc ».
En tant qu’expert africain, fondateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique depuis 2012. Quel pouvait être votre apport à une telle rencontre se déroulant pourtant en Europe surtout pour croiser les analyses avec les experts européens ?
J’ai pu échanger avec de nombreux responsables européens comme Mme Lisa Fellhofer, directrice du Centre autrichien de documentation sur l'islam politique, Kenneth Schmidt-Hansen, directeur du Centre danois de documentation et de lutte contre l'extrémisme, Paul Doran, conseiller du FCDO en matière de lutte contre le terrorisme du Royaume-Uni. Mais, il était important, pour moi, d’attirer l’attention sur certaines formes d'extrémisme à motivation religieuse qui n’ont pas encore fait l'objet de recherches approfondies et dépassionnées pour appuyer la lutte contre les discriminations et le racisme générateurs de frustrations et de radicalisation dans certains pays européens et au-delà. Vous savez, très souvent, en Europe la classe politique traite de cette question sous le prisme migratoire. À travers la question cruciale des migrations et de la transnationalité progressive des acteurs religieux profitant de la mobilité accrue, nous avons pu examiner dans le cadre d’un débat contradictoire les tendances de la radicalisation en Afrique ainsi que la manière dont elle devrait être analysée de manière globale et surtout en prenant en compte les nouveaux enjeux des rapports entre l’Europe et le continent africain.
Dr. Bakary Sambe, ce Forum s'est tenu dans un climat assez délétère en Europe avec l'actualité au Moyen-Orient mais aussi la perception d'un islam qui serait essentiellement radical. Ceci n'avait-il pas trop pesé sur les échanges et quelle a été votre position en tant qu'africain musulman en plus de l'expert international que vous êtes et qui avait été invité par les autorités autrichiennes ?
Le climat était difficile mais il fallait rappeler aux interlocuteurs européens que sur la question du Proche-Orient, l’Afrique pourrait aider à dépassionner la crise actuelle. L’Afrique n’a pas eu les mêmes rapports avec Israël et des pays africains sont très engagés en faveur d’une solution juste et durable comme le Maroc avec l’appel pour une « alliance mondiale » lancée par le Roi Mohammed VI présidant le comité Al-Quds mais aussi le Sénégal à la tête du Comité onusien pour la défense des droits inaliénables du peuples palestinien depuis 1975. Il est temps que l’on donne sa chance au camp du dialogue, étouffé ces dernières décennies par les extrémistes des deux bords. Sur la perception de l’islam en Europe, je le pense profondément et je l’ai dit à Vienne : l’Europe devrait, de plus en plus intégrer l’évolution selon laquelle l’islam fait désormais partie de son paysage et que ces minorités musulmanes des différents pays sont des citoyens européens à part entière. Et je crois qu’il serait plus profitable, pour les pays européens, de considérer ces communautés comme une chance pour le dialogue dans un vieux continent devant assumer davantage son statut historique de creuset de civilisations loin de la vision essentialiste qui ne fera que l’affaire des extrémistes de toutes parts.