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Timbuktu Institute, 11/12/2023
La COP 28 battait son plein à Dubaï alors que, pour les pays africains, persiste un paradoxe assimilé à une certaine « injustice climatique ». L’Afrique est le continent qui pollue le moins mais qui subit le plus les effets du changement climatique à travers les sécheresses, les inondations, les canicules plus fréquentes et plus longues. Certains hauts responsables africains parlent même d’une forme de double peine énergétique. La question, aujourd’hui, est de savoir comment l’Afrique pourrait s’arrimer sur les conditions actuelles de la transition énergétique. Pour les responsables africains, c’est comme si l’on ne prenait pas en compte la spécificité du continent, comme cela a été longtemps débattu lors du dernier sommet de Rotterdam rappelant qu’en Afrique, plus de 600 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité basique. C’est dans ce contexte et suite au Sommet de Nairobi, que les délégations africaines ont plaidé pour une meilleure considération des contraintes du continent, surtout pour ce qui concerne le financement de cette transition énergétique. Premier pays du Golfe à avoir accueilli une COP, les Émirats Arabes Unis pourraient-ils appuyer ces positions africaines ou du moins soutenir ces pays du continent avec des financements innovants à défaut de porter la cause africaine ? Dans cette interview, Dr Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute, répond aux questions de Sana Yassari de Medi1TV sur les enjeux de la COP28 et surtout les fortes attentes africaines
Dr. Bakary Sambe, vous suivez depuis la rencontre de Copenhague tous les débats sur le plaidoyer africain sur la justice climatique, dans le cadre des différents accords sur le climat. Cette COP 28 qui vient de se clôturer a-t-elle vraiment fait avancer la cause africaine sur cet enjeu majeur ?
B S : C’est vrai que les pays africains sont encore une fois fortement mobilisés depuis la déclaration de Nairobi. On voit que les 54 États africains qui étaient réunis pour un premier sommet africain au Kenya veulent encore afficher l’unité. Mais rappelons, tout de même, la déclaration du président kenyan Otto lors de son discours d’ouverture du sommet de Nairobi. Il disait, en substance, que l’Afrique détient la clé pour accélérer la décarbonisation de l’économie mondiale. Comme le réitère un autre haut responsable ghanéen. Sinon, je crois que pour ce sommet, le principal « cadeau » si on peut l’appeler ainsi, a été l’annonce faite par le président des Émirats Arabes Unis, Mohamed Bin Zayed, qui parlait de ce fonds privé pouvant accueillir d’autres investissements dont l’Afrique pourrait grandement bénéficier. Mais une chose est claire, cette annonce d’accompagnement des pays africains est en débat aujourd’hui, notamment avec l’ouverture prochaine d’un Global Climate Change Institute à Abu Dhabi, ainsi que d’autres mesures qui ont été prises. Comme l’a toujours soutenu le président sénégalais Macky Sall, il y a urgence à agir en faveur d’une « justice climatique » notamment envers le continent africain. Dans tous les cas, l’Afrique continue de s’interroger sur son avenir.
Mais, Dr. Sambe, avant Dubaï, il y a eu Paris et Charm el-Cheikh en Egypte. Pensez-vous que la voix de l’Afrique est vraiment audible pour que les exigences du continent soient réellement prises en compte sur la question climatique ?
B S : Il est clair que l’Afrique essaie de parler d’une seule voix dans les négociations climatiques mondiales et le continent possède à la fois le potentiel et l’ambition d’être un élément essentiel de solution à ce propos. Mais je crois qu’aujourd’hui, l’ambition d’avancer unis semble intacte avec la COP 28, en ce qui concerne le volet sur le financement des énergies renouvelables, les engagements pris par les pays, etc. Je pense que l’engagement pris par le continent africain, qui ne contribue qu’à 2-3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, a martelé ces derniers mois le besoin du continent de voir des réformes abouties sur le plan international, afin d’alléger le poids financier de la lutte contre le réchauffement climatique sur ces pays-là. Sachant que les autres continents ont amorcé leur industrialisation et que l’Afrique aussi a besoin d’accéder à l’industrialisation, tout en respectant les contraintes climatiques.
Les Emirats Arabes Unis sont le premier pays du Golfe à accueillir une COP. Dans quelles mesures ce pays qui investit beaucoup sur le continent pourrait accompagner les pays africains dans leur transition énergétique ?
B S : Il semble y avoir une volonté émiratie à cela. Parce que les Émirats Arabes Unis avaient, déjà, annoncé lors du sommet de Nairobi en août dernier, un investissement de 4,5 milliards de dollars dans les énergies propres en Afrique. De plus, le pays hôte de la COP 28 s’engage à verser près de 100 millions d’euros dans le fonds « pertes et dommages ». Et, immédiatement après cette annonce, d’autres pays se sont engagés dans le même sens, notamment l’Allemagne et le Royaume Uni. Ce qui fait qu’il y avait un effet entraînant avec cette dynamique impulsée par les Émirats arabes Unis. Maintenant, je crois qu’on pourrait espérer, malgré le débat sur l’exploitation des forêts africaines, que les Émirats Arabes Unis puissent donner une nouvelle impulsion à cet engagement en faveur de l’Afrique, surtout par la prise de conscience de la place capitale du continent dans le débat. Ce qui avait peut-être amené à justifier le discours du Sultan al-Jaber, également ministre de l’industrie des technologies des Émirats, qui rappelait à la communauté internationale que « si l’Afrique perd, nous perdons tous ».