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Timbuktu Institute – Janvier 2024
Au Sahel, l’actualité politico-sécuritaire est marquée par la circulation à grande vitesse de fake news ou  fausses nouvelles en plus d’informations non vérifiées distillées sur les réseaux sociaux et partagées surtout, par des jeunes hyperconnectés. Alors que les effets pernicieux de la démocratisation de la diffusion et de l’accès à l’information à l’heure du numérique n’ont pas encore fini d’être apprivoisés, d’autres paramètres non moins problématiques, viennent s’ajouter à l’équation. Au nombre de celles-ci, on pourrait évoquer : le poids grandissant des influenceurs sur l’opinion publique, la course au scoop, au sensationnel et au buzz, l’instrumentalisation des conflits intercommunautaires ou à caractère identitaire dans certains pays en transition etc.
Paradoxalement, la démocratisation de l’accès au savoir et à l’information à profusion n’a pas forcément créé un environnement favorable au débat public sain et à l’échange en dehors des plateformes et réseaux sociaux qui exposent aux risques liés à la désinformation, entre autres. Il y a aussi, la circulation de diverses théories et idées reçues allant à l’encontre de l’esprit citoyen et fragilisant davantage les acquis, le débat démocratique et les valeurs fondant la cohésion sociale. Ces idées circulent davantage dans des contextes en crise ou post-conflits même de basse intensité pour profiter d’une tension latente malgré les efforts de réconciliation et de consolidation de la paix.
La désinformation, lit de l’instabilité politique ?
Dans un contexte d’insécurité et d’instabilité politique ponctuées de transitions à l’évolution et l’issue incertaines, le phénomène de la désinformation revêt plusieurs formes et se cache derrière des campagnes de communication bien ciblées dont les États peinent à avoir le monopole ou même le contrôle. Les pays du Sahel, en plus de l’absence de cadres normatifs adéquats ou de régulation, font ainsi difficilement face à ce flux d’informations et à sa manipulation par divers acteurs ; tout cela dans un contexte d’incertitudes, de tensions politiques internes, de menaces sécuritaires mais aussi d’escalades sur une scène diplomatique sahélienne devenu le nouveau « terrain de jeu » et d’influence des puissances classiques mais aussi émergentes.
Au même moment, les réseaux sociaux deviennent la principale source d’information et le phénomène de désinformation est devenu récurrent voire accentué dans un contexte de manipulation de l'information à divers desseins, des stratégies d’influences étrangères, de la promotion des narratifs extrémistes et violents en ligne. Pendant que la lutte contre le terrorisme mobilise les énergies des États et de leurs partenaires, les opinions publiques sont amenées à se mouvoir dans une atmosphère de plus en plus souverainiste.
Un Observatoire des réseaux sociaux au Sahel et en Afrique de l’Ouest à l’oeuvre
C’est dans ce sillage que s’inscrit l’idée de l’Observatoire des Réseaux Sociaux du Timbuktu Institute en partenariat avec des plateformes, comme Meta, soucieuses de la nécessité d’agir face à la désinformation et à ses méfaits sur le vivre-ensemble et la stabilité régionale. L’objectif principal de cet outil réfléchir et d’agir efficacement sur lesÂ
« Enjeux de la Désinformation et défis de la cohésion sociale et de la démocratie au Sahel ».
La vocation de cet Observatoire étant, est de documenter ces phénomènes par une étude approfondie des vecteurs de la désinformation et l’analyse des contenus et narratifs à l'œuvre sur les réseaux sociaux comme Facebook et qui mettent en cause la stabilité des pays africains.
C’est à propos qu’un webinaire régional a été organisé le 18 janvier 2024 sur le thème :
« Réseaux sociaux et prévention des conflits des conflits intercommunautaires au Sahel ».
Ce cadre interactif d’échanges et de discussions a été l’occasion d’approfondir la réflexion à travers divers axes et problématiques dont les suivants : les contenus susceptibles d’attiser les conflits communautaires, les expériences concrètes de résolution de conflits grâce aux réseaux sociaux et les possibilités de penser la régulation des réseaux sociaux.
Modérés par le directeur régional du Timbuktu Institute Dr Bakary Sambe, les échanges de ce webinaire ont été principalement animés par : Cendrine Nama (militante, directrice Exécutive de CORTEX - Burkina Faso), Ibrahima Harane Diallo (Journaliste-politologue – Associé au Timbuktu Institute -Mali), Pr Abdourahamane Dicko (Sociologue à l’Université de Zinder  au Niger) et Nodjiwameen Doumdanem (Journaliste Multimédia, juriste – Tchad). Ce webinaire était le premier d’une série de débats devant aborder différents aspects de la désinformation.
Nécessité et urgence d’agir face à la désinformation et ses effets néfastes
Les intervenants ont convenu de l’urgence et de la nécessité d’agir face à une prolifération inquiétante non seulement de fakes news, mais aussi de discours haineux sur les réseaux sociaux dans les différents pays du Sahel. Ce qui n’est sûrement pas rassurant dans le contexte actuel où la situation politique au Sahel est instable et incertaine. Selon le Pr Abdourahmane Dicko, « les réseaux sociaux participent à la fragmentation de l’unité nationale, en renforçant les positionnements politiques des citoyens sur des bases ethnolinguistiques ». C’est pour éviter ces dangereux écueils que la militante burkinabé Cendrine Nama, directrice exécutive de CORTEX, propose d’adopter une tolérance zéro avec plus de rigueur dans la régulation notamment pour ce qui est des appels à la haine, la ségrégation et la stigmatisation : « Toute parole de ségrégation, d’exclusion et de stigmatisation ne saurait passer sous les radars de liberté d’expression. Il faut être intransigeant et ce même dans les propos dits humoristiques, parce que la discrimination part souvent de là  », préconise-t-elle.
Néanmoins, prudence doit être de mise dans la mesure où les « réseaux sociaux sont à double tranchant, le principal défi reste de concilier la régulation de la parole et la liberté d’expression », avertit la journaliste tchadienne Nodjiwameen Doumdanem. C’est pour toutes ces raisons que la prévention des conflits doit fondamentalement se baser sur une « une promotion de la culture de la paix », suggère Ibrahima Harane Diallo mettant en avant le principe de prévention.
Désinformation et dangers de la radicalisation des discours politiques
Pour Dr. Bakary Sambe qui a facilité ce débat pour lequel plus de 500 acteurs de la société civile, du monde des ONG et des décideurs s’étaient inscrits,
« nous sommes dans un contexte assez particulier et ses paradoxes à prendre en compte, entre la liberté d’informer et la responsabilité de sauvegarder la paix et la cohésion sociales ».
Pour lui, des actions de grande envergure doivent être menées notamment auprès des jeunes.
« Les jeunes sont de plus en plus informés et intéressés par le débat public sans, parfois, y trouver réellement leur place et il se développe un phénomène d’auto-isolement qui enferme cette catégorie majoritaire de la population loin de l’expression publique des idées et des opinions »
note Bakary Sambe. Le Directeur régional du Timbuktu Institute s’est aussi appesanti sur les expériences de mobilisation communautaire menées avec les jeunes du Togo et du Bénin dans la cadre du Programme Régional d’Appui aux Pays côtiers (PRAPC) appuyé par USAID-OTI, pour expliquer qu’une
« responsabilisation de la jeunesse et le renforcement de leurs capacités pourraient donner des résultats encourageants »
Mais au-delà des signaux actuels d’amplification des conflits intercommunautaires via les réseaux sociaux, Bakary Sambe a appelé à une réelle réflexion sur les phénomènes de radicalisation du discours politique dans certains pays, notamment sur les réseaux sociaux. Comme il le rappelle, en alertant sur ce phénomène devenu préoccupantÂ
« il se creuse ainsi un important fossé entre ce public jeune, hyperconnecté et friand d’informations et le discours institutionnel des États et des leaders politiques qui ne prend pas en compte ses spécificités et aspirations ».
Source : Timbuktu Institute