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Timbuktu Institute – Janvier 2024
Dans le cadre de l’Observatoire des Réseaux Sociaux mise sur pied en partenariat avec des plateformes comme Meta, pour réfléchir à la nécessité d’agir face à la désinformation et ses méfaits sur la cohésion sociale et la stabilité régionale, le Timbuktu Institute continue d’initier des échanges et discussions participatives. C’est à ce propos que s’est tenu un webinaire régional sur le thème : “Lutter contre la désinformation : quelle éthique d’utilisation des réseaux sociaux ?”. Modérés par l’enseignante-chercheure au CESTI (Centre d’étude des sciences et techniques de l’information) Dr. Yacine Diagne, les échanges ont été animés par Ignace Sossou (journaliste - Bénin), Issifou Habsatou (enseignante-chercheur - Niger), Massiré Diop (Journaliste - Mali) et Ziller Djerambété (journaliste - Tchad).
La désinformation sur les réseaux sociaux est devenue un mal, telle qu’elle appelle désormais, des grands remèdes. Et tous les acteurs, journalistes ou public, doivent être impliqués dans la réflexion. “Il est important de mettre l’accent sur la question de l’alphabétisation numérique, permet de chercher l’info, l’approcher de manière critique et de l’utiliser à des fins utiles. Ceci aussi dans le souhait de bâtir des communautés fortes, dans une atmosphère sûre”, affirme Olivia Tchamba, Public Policy Manager chez Meta. C’est pour cela que, poursuit-elle, “Meta tient à associer divers acteurs dans la lutte contre la désinformation qui est un réel défi, ceci pour avoir des solutions collectives parce nous ne sommes pas des juges de vérité.”
A une ère où les réseaux sociaux se sont définitivement imposés comme des plateformes de communication centrales, de nombreux questionnements concernant les nouvelles pratiques journalistiques, émergent. Dans un monde hyperconnecté où l’information circule à une vitesse exponentielle, les circuits traditionnels de transit de l’information sont confrontés à une certaine crise. « Avant les journalistes et agences de presse étaient les principaux pourvoyeurs d’informations. Mais aujourd’hui, non seulement les journalistes s’informent sur les réseaux sociaux, mais aussi les influenceurs sont parfois mieux appréciés », regrette la modératrice Yacine Diagne.
Le journaliste tchadien, Ziller Djérambété abonde dans le même sens. “Qu’un journaliste utilise les réseaux sociaux comme principale source d’informations, c’est grave” martèle-t-il. Avant de poursuivre : “Tout le monde s’érige en journaliste et ne respecte pas les règles élémentaires du traitement journalistique. A l’ère du désordre informationnel avec le triptyque Désinformation-Mésinformation-Malinformation, les professionnels de l’info doivent avoir le réflexe du recul critique et de la responsabilité face aux informations.”
D’autres panélistes, à l’instar du journaliste béninois Ignace Sossou, observent une position plus nuancée. “Je pense que le vrai débat, ce n’est pas tant les réseaux sociaux en tant que tels, mais plus la qualité et le traitement du travail du journaliste qui doit faire preuve d’intégrité et chercher la véracité de l’information. Les réseaux sociaux peuvent bel et bien être utiles pour le journalistique, en ce sens qu’ils peuvent par exemple être le point de départ d’enquêtes”, explique-t-il. Le journaliste malien Massiré Diop garde une ouverture plus ou moins similaire. Selon lui, “ce n’est pas très éthique. Les réseaux sociaux peuvent être une source d’informations pour le journaliste, mais ils ne sauraient être la principale. Le plus important est de rester professionnel.” Quant à la juriste Issifou Habsatou, elle insiste pour mettre un point d’honneur à ce que “la question de l’éthique, entendue comme ensemble de règles devant être respectées par rapport à l’exercice d’une mission ou d’une profession, est capitale.”
Entre les médias traditionnels et le public, une crise de confiance ?
La démocratisation des réseaux sociaux a conduit à un éclatement des sources d’informations. Désormais, chaque internaute est un potentiel émetteur d’informations, ce qui a logiquement tendance à fissurer la légitimité du journaliste. Selon Ziller Djérambété, “il faut faire la différence entre la communication et le journalisme, n’est pas la même tâche. La communication est le propre de l’influenceur qui est mu par l’instantanéité, ce qui n’est pas le cas du traitement journalistique”. Pis, regrette le journaliste béninois Ignace Sossou, “ il y a des influenceurs qui sont plus écoutés que les médias. Le journaliste va au-delà de plaquer les faits, il peut aussi creuser, comprendre et situer les responsabilités. Malheureusement, beaucoup de médias actuellement se comportent comme des communicateurs, en reprenant de manière non critique le discours officiel.” Pour la juriste Issifou Habsatou, il serait toutefois intéressant de voir comment introduire une démarcation productive entre les communicants et les journalistes. “Les populations sont analphabètes. Il faut penser à une complémentarité entre les réseaux sociaux et les médias traditionnels. Il ne faut pas purement et simplement opposer les activistes aux journalistes. Par ailleurs, au Niger, depuis le coup d’état, il y a un vrai problème de la régulation de la parole sur les réseaux sociaux”, affirme-t-elle.
Toutefois, la facilitatrice du débat, Dr. Yacine Diagne persiste sur le diagnostic de la crise de confiance. “Il ne faut pas se voiler la face”, alerte-t-elle, en affirmant que celui-ci pose aussi le problème de l’accès à l’information pour le journaliste. Pour Ignace Sossou, “c’est crucial mais malheureusement, il n'est pas rare que les administrations publiques cachent des informations qui sont censées être publiques. L’accès à l’information est un droit basique du citoyen, pas un privilège accordé au seul journaliste. Ceci est d’autant plus préoccupant dans les pays en transition, dirigés sur la base de principes militaires où les droits des peuples sont négligés.” A ce propos, la juriste Issifou Habsatou estime qu’au Niger, “le code d’éthique donne en principe un libre accès aux sources d’infos, donc en principe le problème ne devrait pas se poser.”
“Il faut faire un retour critique sur le métier de journaliste”
S’il importe de mettre l’accent sur l’atmosphère nocive que créent les réseaux sociaux, la pratique journalistique ne devrait pas être exempte de reproches, notent les panélistes. “ Il faut tout de même revoir la pratique et faire un retour critique sur le métier, le professionnel doit primer sur l’émotionnel”, reconnaît Yacine Diagne. Quant à Massiré Diop, il estime que la crise de confiance évoquée est entre autres due au fait qu’il existe “un manque de professionnalisme. Beaucoup de journalistes sont soit influenceurs soit activistes, qui opinent sur tout et n’importe quoi. Il y aussi un problème avec certains médias qui, pour vivre, deviennent des entreprises commerciales”, déplore-t-il. Pour sa part, Ziller Djérambété rappelle qu’un “vrai journaliste est celui qui vérifie son information avant de la diffuser. Au Tchad par exemple, ce sont les gens qui officient dans un média crédible ou qui ont une carte de presse, qui sont reconnus comme journalistes par la loi.”
Ce point appelle un autre paramètre on ne peut plus important : la viabilité économique des médias. Si tous les panélistes se rejoignent quant à la précarité du secteur des médias, qui plus est, dans un contexte de concurrence avec les réseaux sociaux. Pour sa part, Ignace Sossou préfère tempérer : “Il y a une menace du point de vue du modèle économique. Les pubs qui étaient dédiés à un média sont désormais dédiés aux influenceurs qui ont une plus grande audience. Mais d’un point de vue contenu journalistique, la question se ne pose pas.”
Le fact-checking, la panacée ?
La technique du fact-checking, s’est depuis quelques années maintenant imposée comme la manière la plus populaire de traquer les fake news. Reconnaissant l’utilité de cette pratique, Yacine Diagne s’interroge sur sa capacité à régler le problème. “Je pense que la démocratisation du fact-checking est une bonne chose mais mon avis est que sa fréquence peut participer d’une certaine banalisation, voire une légitimation des fake news dans l’espace public. Trop de fact-checking ne tuerait pas le fact-checking ?”, interpelle-t-elle.
La juriste Mme Habsatou n’en n’est pas pour autant convaincue. “Je trouve qu’il n’y a pas assez de fact-checking justement. Est-ce que les médias numériques le pratiquent réellement ? Sinon, au-delà de ça, je pense qu’il urge de renforcer la responsabilité des créateurs de contenus”, suggère-t-elle. Une idée reprise par le journaliste Ignace Sossou, également formateur en fact-checking au Burkina Faso. “ Le fact-checking est réalisé sur des faits qui ont un possible impact sur les communautés. On ne fact-checke pas tout. Les internautes ne sont pas si naïfs non plus, ils savent parfois reconnaître les fake news. Le problème est plus au niveau des fake news savamment fabriquées. D’une manière générale, il faut poursuivre et renforcer l’éducation des médias pour que le public puisse être le premier acteur de la crédibilité de l’information”, recommande-t-il.
Dans tous les cas, précise Yacine Diagne, “le travail d'éducation aux médias est primordial.” Ceci passe par une popularisation des outils de vérification des informations vers le public, suggère Ignace Sossou. “Il ne faut pas considérer le fact-checking comme la chasse gardée des journalistes. Il faut, insiste-t-il, démocratiser les outils de fact-checking pour permettre au grand public et surtout aux jeunes, première cible des fake news. Le fact-checking doit être un permanent état d’esprit critique”. Néanmoins, “l’environnement actuel est favorable aux influenceurs. Meta rémunère mieux les influenceurs que les médias” pointe-t-il. C’est pour cette raison que, estime une participante du Tchad, Nako Mamadjibé, “il faudrait des sensibilisations plus larges sur les lois qui protègent les personnes et les institutions contre un certain libertinage et une délinquance numérique.” Ce sur quoi un autre participant, Kiari Mamadou, rebondit en rappelant que “les lois qui sont adoptées à ce sujet n’ont pas fait l’objet d’une grande vulgarisation.”
La désinformation est un fléau qui constitue une réelle menace pour la stabilité régionale surtout dans ce contexte fortement marqué par une véritable « guerre de l’information » qui ne dit pas son nom. Pour Dr. Bakary Sambe, « l’impact d’une telle situation sur les médias et le travail journalistique est aujourd’hui exacerbé par l’emprise des réseaux sociaux sur la fabrique de l’opinion et les stratégies de conquête de l’espace médiatique ». A travers l’Observatoire des Réseaux Sociaux, Timbuktu Institute poursuit le travail de recherche et de veille en promouvant des alliances et des partenariats entre les gestionnaires des plateformes, les influenceurs et les médias pour parvenir à une réelle stratégie préventive et lutter efficacement contre la désinformation au Sahel et en Afrique de l’Ouest.
Timbuktu Institute – 29 Janvier 2024