Sécurité, défense et politique étrangère : angle mort des programmes des candidats à la présidentielle  Spécial

Au Sénégal, le début de la campagne pour la présidentielle est allé de pair avec le dévoilement des programmes des candidats en lice. Un tour d’horizon de ces projets de société a fait vite apparaître un parent pauvre : les questions de défense, sécurité et politique étrangère. En effet, les problématiques semblent manifestement peu intéresser la grande majorité des candidats, malgré la place stratégique du pays dans une sous-région en proie à l’instabilité. C’est partant de ce constat que Timbuktu Institute, parmi les think tanks leaders sur ces questions, a organisé le 19 mars 2024, une rencontre virtuelle des experts sur le thème : « Sécurité, défense et politique étrangère : que proposent les candidats ? ». Modérés par le directeur général d’E-Media, Alassane Samba Diop, les échanges des panélistes ont convenu de la réflexion lacunaire des programmes sur ces projets. Ce qui est loin d’être bénéfique pour le Sénégal, de plus en plus au cœur d’un jeu régional et international en constantes mutations. 

D’emblée, sur les raisons de la tenue de ce panel, Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute, donne le ton et s’étonne que ces questions soient « l’angle mort » des programmes politiques.  Pour lui, « il faudra absolument que les prétendants au leadership politique soient de plus en plus sensibilisés sur les enjeux sécuritaires. Ils semblent, quelques fois, ne pas avoir la conscience des enjeux et des défis. Le Sénégal de l’après-2024 sera celui d’un pays qui change de statut géostratégique avec tous les enjeux autour des ressources énergétiques mais aussi de l’incidences inévitable des développements géopolitiques dans la région en pleine guerre froide et informationnelle avec le nouveau grand jeu sahélien qui bat déjà son plein au milieu de multiples convoitises et d’agendas compétitifs. »

Le Général (er) Babacar Faye va dans le même sens en déplorant : « Sur les dix-sept des dix-neuf candidats en compétition, les sujets liés à la sécurité, la défense et la politique étrangère ont été en majorité traités de manière superficielle et générique, se concentrant principalement sur la sécurisation des frontières, l’amélioration des conditions de vie et de travail des forces de sécurité, l’émigration clandestine, la lutte contre le trafic de drogue, etc », constate le général El Hadji Babacar Faye (er). Pour lui, cette légèreté est d’autant plus surprenante que la sous-région est en proie à des soubresauts socio-politiques qui ont des répercussions globales. « Nos citoyens doivent être éclairés sur la cohabitation du Sénégal avec les pays voisins », affirme-t-il.

Senior Fellow au Timbuktu Institute, Babacar Ndiaye dresse le pareil constat de « la faiblesse générale des propositions » en remarquant au prime abord une confusion usuelle entre la diplomatie et la politique étrangère dans le monde francophone. Selon lui, la politique étrangère recouvre vise quatre objectifs essentiels : la maximisation des intérêts sécuritaires, la prospérité et le développement économique, la défense des valeurs socio-culturelles ainsi que le prestige international.  Depuis Senghor rappelle-t-il, « la politique étrangère sénégalaise s’est basée sur la théorie d'intégration régionale par cercles concentriques qui s’appuyait sur l’idée que l’alliance et la coopération sécuritaire, ainsi que l’intégration africaine était source de progrès économique ». Si l’essentiel des candidats vont dans ce sens, le chercheur Babacar Ndiaye pointe le cas du candidat Bassirou Diomaye Faye, qui prône une rupture. « Il remet en cause l’UEMOA qui est le cœur de la prospérité du Sénégal, il faut garder à l’esprit que cela a des implications énormes sur l’intégration régionale du pays », note-t-il. Toujours sur le plan de la politique étrangère, Babacar Ndiaye observe que le candidat Khalifa Sall a posé « le problème de la politisation du service diplomatique sénégalais, qui tout en allant vers sa dépolitisation doit aussi s’adapter à de nouvelles questions comme la transition énergétique et le positionnement dans l’actuel ordre mondial. » 

« Ils ont effleuré les questions de sécurité et défense »

Le passage en revue des programmes des candidats à la présidentielle sénégalaise laisse déceler que « les dix-sept qui ont abordé ces sujets les ont dédiés au plus sur un quart de page. En fait, ils l’ont effleuré en omettant l’aspect important du concept de sécurité collaborative, inclusive et participative, sachant que le tout-militaire a déjà montré ses limites », déplore Aïdara Ndiaye Adajaratou, directrice exécutive à Partners West Africa Sénégal. Ce qui fait que les questions liées à « la sécurité aérienne, la sécurité routière qui coûte 2 à 3% du PIB, les défis sécuritaires liés aux fake news avec l’apparition de l’intelligence artificielle dans un contexte de guerre informationnelle, la sécurité maritime avec l’exploitation du pétrole/gaz, la prévention et la prospective de l’extrémisme violent n’ont été que survolées, sinon pas abordées. » Parlant de politique étrangère, ajoute-t-elle, « les relations Sud-Sud ne sont pas une priorité, les relations bilatérales et multilatérales n’étant pas traitées alors que le pays se meut dans un climat de fièvre anti-impérialiste où l’avenir de la CEDEAO ou les BRICS sont des questions actuelles. A ce propos, seul le candidat Pape Djibril Fall a évoqué la géostratégie. »

Par ailleurs, il importe aussi de notifier selon Babacar Ndiaye, que les partis politiques ne se focalisent que sur les questions électorales et les règles du jeu démocratique. « Sur des questions aussi essentielles que la paix et la sécurité qui pourraient permettre aux électeurs de se positionner en connaissance de cause, il y a peu de débat. Je pense aussi que les logiques électoralistes ne sont pas étrangères à la minimisation de ces questions », développe Babacar Ndiaye. 

Pour le consultant international Tidiane Dioh par ailleurs ancien diplomate, prendre en compte les « problématiques liées au cyberespace est capital dans la mesure où nous vivons dans une ère de guerre informationnelle où les processus électoraux peuvent être perturbés même jusqu’au jour du scrutin. » Il soutient que les candidats auraient gagné à mettre l’accent sur « la diplomatie militaire étant donné que le Sénégal exporte beaucoup d’officiers dans les troupes internationales (Koweït, Libéria), ainsi que la diplomatie étrangère sachant que le pays n'a pas que des relations cordiales avec ses voisins immédiats, sans oublier que la question casamançaise ne saurait être enterrée. » 

Un déni des questions sécuritaires ? 

« Nos candidats à l’instar de nombre de citoyens sont victimes du déni communicationnel et parfois politique sur les questions de menaces sécuritaires, dû à un angélisme ou nihilisme qui projette l’image d’un Sénégal définitivement en paix », estime Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute. Raison pour laquelle, poursuit-il, « nous parlons essentiellement de sécurisation des frontières, comme si la menace terroriste ne pouvait venir que de l’étranger. Cela participe aussi d’un certain populisme. » Pour Dr Sambe, il faut se faire à l’idée que « le Sénégal de 2024 n’est plus celui de 2012. C’est-à-dire qu’il se situe de plus en plus à la confluence d’intérêts entre grandes puissances (Chine, France, Qatar), dont les candidats peinent à prendre la pleine mesure, en raison du hiatus entre leur conscience des enjeux et la diplomatie militaire. » Il préconise que l’expertise locale de la diplomatie, des généraux, des think thank soit mise à profit, afin de ne plus uniquement subir les politiques internationales des autres.

Cette position est toutefois un peu contrebalancée par Dr. Aïdara Ndiaye qui remarque justement que « les Sénégalais semblent plus être directement affectés par la crise institutionnelle avec les problématiques de la réforme de la justice, la démocratie, l’Etat de droit, l’éducation, l’accès au logement, la santé, l’agriculture, etc. » Dans ce contexte, nuance-t-elle, il apparaît compréhensible que « les questions de sécurité, défense et politique étrangère ne soient pas directement perçues comme les plus vitales. » Pour mieux intéresser les citoyens à ces problématiques, juge Tidiane Dioh, « il faut réformer le contrat social sénégalais. » Cela pourrait passer, suggère-t-il, par « la mise en relief du concept sénégalais d’armée-nation tout en formant la jeunesse à la citoyenneté d’une part. Sans oublier de penser la sécurité du pays dans une perspective globale, ce même si possible depuis la zone des trois frontières. » 

Son de cloche similaire chez Dr. Aïdara Ndiaye, qui estime que le déni évoqué fleurit aussi sur « l’absence du sentiment d’appartenance social et civique et civique alors que le Sénégal dispose de mécanismes culturels de résilience à l’instar du cousinage à plaisanterie, du kersa, du soutoura, des badiénou gokh », explique-t-elle. Toutefois, pour sa part, le général Babacar Faye se veut optimiste. « Il y a certains éléments classés secret défense dont l’ensemble des candidats ne peut pas disposer, afin de donner un avis suffisamment informé. Avec l’autorité des accords internationaux importants pour s’imprégner de la réalité, les prochains gouvernants auront assez tôt des briefings sur la situation actuelle et la réalité de nos capacités, par les techniciens de la défense et la sécurité », rassure-t-il.

 

Préparé par Ken Akpo, Cellule Veille & Analyse - Timbuktu Institute