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Timbuktu Institute – Septembre 2024
(Télécharger l’intégralité du Rapport en bas de l’article)
Les études sur la radicalisation des jeunes et l’extrémisme violent se sont multipliées ces dernières années, notamment, dans la région sahélienne avec la recrudescence du phénomène terroriste en tant que menace à la paix et la stabilité des États de la région. De phénomène perçu, à l’origine, comme l’antichambre du basculement vers la violence terroriste, les approches successives se sont enrichies de la diversité des expériences, selon les pays, qui a poussé les experts à analyser la radialisation comme la résultante d’un processus, de facteurs ou de conséquences politiques, économiques, sociales, idéologiques etc.
Cette radicalisation est, ainsi, décrite, comme se manifestant par l’usage de la violence comme moyens d’affirmation, d’expression ou de revendication les plus diverses. Mais, très vite, l’étude du phénomène de radicalisation va être victime, d’une part, de la popularité d’un « sujet parfait » pour le sensationnel médiatique, surfant sur le caractère spectaculaire des attaques terroristes qui tendent à déborder de l’épicentre sahélien vers des zones jadis insoupçonnés comme le golfe de Guinée. De l’autre, la diversité des expériences et la rapidité des mutations ont eu comme corollaire, la multiplication des angles d’approches souvent empreintes des préoccupations que des experts projettent sur le phénomène qui finit, dans la plupart des cas, par ne plus être étudié en soi. Enfin, les spécialisations d’analystes qui naguère étaient focalisés sur des sujets comme la gouvernance, la criminalité ou encore les violences urbaines ont déteint sur de nombreuses études allant, par exemple, jusqu’à dénier, délibérément, au phénomène ses dimensions idéologique ou encore intercommunautaire etc.
Ainsi, la prédominance des approches criminologiques au point d’induire des États de la région vers des approches strictement sécuritaires s’est accentuée avec des analyses s’intéressant le plus souvent aux acteurs du « second cercle » tels que les trafiquants, les convoyeurs d’assistance logistique etc. Pendant ce temps, ces études négligent les acteurs du premier et du troisième cercle. Le premier cercle est constitué des entrepreneurs idéologiques/communautaires dont le rôle est fondamental dans le recrutement, l’incitation et l’instrumentalisation des griefs. Le troisième cercle auquel les études à dominante criminologique n’ont souvent pas accès est celui des acteurs prédisposés au basculement dans la violence extrémiste ou pouvant y préparer idéologiquement. Le plus souvent, c’est dans l’univers carcéral qu’ils les interrogent ou dans des situations de « remords » où de nombreux biais viennent fausser l’analyse sur les motivations réelles ou celles de départ.
Il s’y ajoute que les outils de l’approche criminologique ne sont souvent pas adaptés pour rendre compte des subtilités du discours extrémiste avec sa charge idéologique et ses références qui nécessitent un décryptage voire une exégèse souvent hors de portée d’experts démunis des concepts-clés permettant une intelligence des symboles, des allusions et des codes langagiers.
C’est, souvent, après le passage à l’acte que beaucoup d’analystes niant la dimension idéologique accèdent aux sujets en question soit en prison ou dans une situation sur laquelle pèse lourdement l’environnement sécuritaire, la pression carcérale ou même des acteurs de la criminalité accentuant ainsi le biais criminologique malgré les efforts de documentation.
Ce biais criminologique ayant eu tout son effet sur l’approche du phénomène de la radicalisation au Sahel n’a pas épargné certaines études suite au débordement de l’épicentre de la violence extrémiste vers les pays du Golfe de Guinée. Beaucoup d’entre-elles souffrent du non renouvellement des outils conceptuels de même que l’empressement à « documenter » un phénomène multidimensionnel et souvent diffus dans des contextes où on projette un regard orienté par les réalités d’ailleurs.
De plus, face à la pression sécuritaire et politique pour l’élaboration de réponses, il a dû échapper à nombre d’analystes, le tournant paradigmatique de l’accentuation de la communautarisation de la violence extrémiste concomitante aux premières phases visibles du débordement de l’épicentre du terrorisme du Sahel central vers les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest.
C’est ainsi que, dans le cas de certains pays côtiers, les réponses politiques fortement inspirées par des conclusions issues de de l’approche criminologique semblent ne pas apprendre des erreurs du Sahel, en s’orientant naturellement vers des solutions à dominante sécuritaire, réduisant, même parfois le phénomène extrémiste à un « simple » problème criminel. Alors que la criminalité n’est pas en soit la racine du mal mais un des symptômes entre autres.
Pour le cas du Bénin, plusieurs études font état de sa proximité géographique avec les pays sahéliens victimes de l’insurrection des groupes armés terroriste, la porosité des frontières, la faible présence de l’État dans certaines régions, les conflits communautaires, le chômage des jeunes, la corruption, l’injustice, les inégalités sociales et bien d’autres facteurs. Malgré les dispositions, les efforts et les mécanismes mis en œuvre par l’État pour contrer cette avancée, la situation sécuritaire se dégrade progressivement dans les départements de l’Alibori et de l’Atacora. Ainsi, depuis la première attaque terroriste enregistré en 2019, le nombre d’incidents terroristes sur le sol béninois notamment dans le septentrion est en hausse avec un nombre de morts croissant, de blessés et de déplacés.
S’inscrivant dans une démarche compréhensive et à partir de la perception des populations locales, Timbuktu Institute a mis à profit plusieurs missions de terrains dans les départements de la Donga, de l’Alibori et de l’Atacora afin de conduire des entretiens qualitatifs auprès de 270 jeunes habitant les différentes localités et communes. En plus de ces entretiens individuels, une dizaine de focus groups ont été organisés sur site. Afin d’éviter des interviews « one shot » nous avons adopté la démarche consistant à faire de l’observation continue sur le temps long. Ainsi, pour mitiger les approches basées sur une chronologie des incidents sécuritaires ou encore enfermant une problématique aussi complexe dans le carcan criminologique, cette étude vise à sonder les facteurs et à interroger les perceptions locales dans une démarche compréhensive. Les témoignages et réponses recueillis tout au long de l’enquête et sur lesquelles se fondent les analyses de ce rapport sont issus d’un travail de terrain étendu sur la période de Mars – Mai 2023 à juin 2024[1] dirigé, sur place, par Dr. Bakary Sambe.
Cette étude, première d’une série sur le Bénin, se veut une contribution à une meilleure compréhension du phénomène à même d’aboutir à des conclusions et recommandations pouvant accompagner les initiatives et solutions mises en place aussi bien par l’État, ses partenaires mais surtout les communautés locales qui sont au cœur de cette réflexion.
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[1] - Le rapport étant construit essentiellement sur des entretiens qualitatifs individuels et divers témoignages lors des focus group avec les jeunes des trois départements, nous signalerons à chaque fois, dans le corps du texte, l’identité minimale et la zone exacte (commune, arrondissement, village) où à défaut, selon la sensibilité du témoignage, le département où habite l’interlocuteurs. Les dates se situent dans la période allant de Mars- Mai 2023 à Juin 2024.