Sacré-Coeur 3 – BP 15177 CP 10700 Dakar Fann – SENEGAL.
+221 33 827 34 91 / +221 77 637 73 15
contact@timbuktu-institute.org
Timbuktu Institute – Novembre 2024
C'est l'armée Nigériane, par la voix de son Chef d'État-Major, le Général Oluyede, qui a déclaré faire face à un nouveau mouvement armé, nommé Lukurawa . Le mouvement qui prend racine dans le Nord-Ouest du pays et décrit comme « très équipé » a déjà mené des incursions dans les États de Sokoto et de Kebbi, frontaliers du Niger voisin. D'ailleurs, dans le cadre de la stratégie pour lutter contre ce groupe, le chef d'État-major de l'armée de terre a visité cette semaine les localités d'Illela et Tangaza, villes frontalières avec le Niger à partir desquelles le nouveau groupe fonctionne depuis quelque temps.
Le groupe Lakurawa est décrit comme une organisation terroriste qui s'est signalée dans les gouvernements locaux de Gudu et de Tangaza à Sokoto depuis l'autre côté de la frontière en République du Niger vers octobre 2018, avec environ 200 djihadistes. Avec, pour l'heure un flou total sur le leadership du mouvement, on pense qu'ils sont affiliés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) bien qu'il n'y ait pas de revendication explicite. Après plusieurs récupérations, le nom du groupe Lakurawa est, probablement, une adaptation en haoussa du terme français « les recrues », selon certains habitants du Nord-Ouest.
Arrière-plan idéologique ?
D'après la perception des communautés musulmanes du Nord du Nigeria, Lukurawa adhérerait à des idéologies extrémistes se rapprochant des « Khawârij » exprimant l'idée d'une dissidence par rapport à l'ordre politico-religieux. Cette perception fait, idéologiquement référence aux révoltes et dissidences consécutives à la bataille de Siffîn (657 ap.JC) lors de laquelle une sorte de « troisième voie » s'était dessinée pour donner naissance à une secte ne se réclamant, par la suite, ni du sunnisme dominant ni du chiisme. Il devrait être prudent sur cette qualification de « Khawârij » qui est aussi, parfois, subjectivement collée à tout mouvement s'opposant à l'ordre politique dominant dans différents pays.
En effet, il y a six ans , les habitants de certaines régions de l'État de Sokoto avaient suscité des inquiétudes au sujet d'activités suspectes d'un groupe de bergers venus du Mali et du Niger, qui opéraient dans les forêts environnantes. . Lakurawa serait affilié aux djihadistes du Sahel et certains médias font état d'un rapprochement entre le groupe et l'État islamique (Daesh) et certains analystes évoquent, sans données probantes, des ramifications jusqu'au Mali.
Stratégie de recrutement et d'ancrage
Une polémique persistante est née sur les possibilités d'ancrage voire de connivence entre les éléments de Lukurawa et les populations locales dans un contexte de suspicion sur le rôle des gouvernements locaux et de certaines communautés du Nord-Ouest. Des témoignages font état d'un usage systématique des langues locales dans les prédications. Par ailleurs, le groupe commence à imposer des règles et des taxes aux communautés sous leur influence, prétextant des services de protection accordés à ces populations face à la lutte contre d'autres groupes armés ou terroristes opérant sur le territoire. Les premiers éléments de Lakurawa identifiés par les sources faisaient état de moins de 50 membres.
Présentement le groupe compte entre 200 à 300 membres, des hommes âgés entre 18 et 35 ans originaires du Mali, du Tchad, de la Libye, du Niger et du Burkina Faso. Le groupe a également lancé un processus de recrutement local parmi les jeunes de la région de Sokoto en utilisant des moyens financiers incitatifs, jusqu'à 1 million de Naira pour les attirer en plus de l'influence idéologique.
Premiers assauts signalés
Ce 8 novembre 2024, Lakurawa a lancé son premier assaut dans l'État de Kebbi, nord-ouest du Nigéria, dans la zone gouvernementale d'Augie, contre des populations civiles en tentant de saisir leurs bétails. Les populations semblent avoir résisté, ce qui a entraîné des accrochaghes faisant plusieurs morts. Ces affrontements entre Lakurawa et les membres de la communauté locale ont fait, au moins 15 morts avec des victimes dans les rangs de l'entité djihadiste.
Signe de l'échec de la lutte contre les groupes terroristes ?
L'émergence et le développement de ce nouveau groupe mettent en évidence les déficits de la gestion sécuritaire au Nigéria de même que les réponses du gouvernement et des partenaires dans la lutte contre l'extrémisme violent, notamment dans les zones rurales et frontales. Ils mettent également en exergue la perte de confiance des populations locales dans la capacité de l'État à protéger la vie des populations ainsi que leurs biens. Au sein des experts de la sécurité et même de l'armée, un débat houeux est déjà soulevé sur le fait qu'un mouvement puisse opérer depuis, au moins, six ans dans cette partie du Nigeria sans que ses exactions soient dûment combattues ou rendues publiques. Ce débat s'installe au moment où les gouvernements locaux sont pointés du doigt de même que des « dysfonctionnements » dénoncés des services de renseignement.