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Timbuktu Institute – Janvier 2025
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Ce rapport a été élaboré à partir de données quantitatives et qualitatives collectées entre le 23 mai et le 24 juin 2023. Après l’épisode de Barkhane au Mali, l’exigence du départ précipité des forces françaises, puis américaines du Niger suite au coup d’État du 26 juillet 2023, a remis à l’ordre du jour le débat sur les coopérations sécuritaires. Mais, au-delà des aléas de la géopolitique et des accords entre États, les perceptions de ces coopérations par les populations locales ont pesé sur leur évolution dans un contexte sahélien où les sociétés civiles se sont approprié le débat sécuritaire qui n’est plus l’apanage des élites politiques, encore moins des gouvernants. Pour dire que la question posée aujourd’hui du démantèlement des bases militaires françaises de pays comme le Tchad, la Côte d’Ivoire et le Sénégal n’est que l’aboutissement d’un long processus enclenché depuis quelques décennies, bien qu’il faille lier une telle situation à un contexte de montée globale et inédite des souverainismes qui n’a pas épargné l’Afrique.
Considérée, dans les perceptions entretenues par un discours politique et militant comme une relique de la colonisation, la présence militaire française, par exemple, a, depuis plus de trente ans, fait l’objet de débats et de controverses nourris, sous bien des aspects, par les « inconséquences » de la politique africaine de la France, finalement schématisée par l’expression « Françafrique ».
Mais, ce processus a connu différents tournants pendant la dernière décennie particulièrement marquée par la lutte contre le terrorisme au Sahel. La recrudescence du phénomène terroriste au Sahel a poussé les États de la région à développer la coopération militaire avec la France et d’autres puissances, en tant que trouvaille pour une réponse immédiate face au péril sécuritaire. Après l’opération Serval qui avait symbolisé, en son temps, un certain succès assez temporaire de ce type de coopération et d’intervention d’une force étrangère sur la demande d’un pays sahélien, la mise en place de l’opération Barkhane allait inaugurer une nouvelle ère de pérennisation d’une présence contenant en elle-même les germes de sa propre contestation.
Très vite, les « héros » libérateurs vont être perçus comme des « occupants » dans un contexte marqué par des échecs successifs, des bavures réelles ou présumées mais aussi une montée en puissance de sentiments souverainistes. En fait, le contexte de la guerre informationnelle au Sahel auquel on impute la montée d’un certain « sentiment anti-français », ne fut qu’un facteur aggravant d’une situation qui était déjà rendue complexe par un « conflit de perception du conflit » entre les conceptions internationales et les perceptions locales.
Il est vrai que le contexte délétère créé par la guerre informationnelle durablement installée au Sahel et accentuée par le conflit en Ukraine, de même que le repositionnement de la Russie dans la région, a dû peser sur de telles perceptions. Elles trouvaient déjà leurs racines profondes dans la contestation des politiques sécuritaires défaillantes des États sahéliens eux-mêmes face au terrorisme gagnant du terrain. Il s’y ajoute que des théories « complotistes » pour certains, nourries par la « désinformation », entretenaient l’idée d’une connivence entre terroristes et certaines puissances étrangères. Ainsi, les coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger, ne semblent avoir été que des accélérateurs d’un processus de « désamour » qui a ensuite surfé sur des facteurs, des imaginaires et des perceptions qu’il était nécessaire de sonder.
La coopération militaire a été l’une des premières solutions conçues et développées pour repousser l’assaut des groupes terroristes que ce soit en Afghanistan ou encore au Sahel. Dans cette dernière région, l’opération Serval, au début de la crise malienne, s’inscrivit, alors, dans le contexte d’une coopération militaire en situation d’urgence qui a finalement été inscrite dans la durée. Mais, très vite, au rythme des attaques et de la propagation des zones de conflit, ce qui semblait être une solution temporaire s’inscrivit dans la durée sans qu’une communication adéquate accompagnât les actions et les initiatives. Il s’est, depuis, installé un sentiment d’incompréhension pouvant aller jusqu’au rejet par les populations locales tout en posant d’importants problèmes politiques internes aux États qu’elle était censée soutenir et renforcer. Ainsi, la lutte contre le terrorisme qui avait créé, pour un temps, une convergence de vues entre États sahéliens et partenaires internationaux, a finalement contribué à diviser et faire ressurgir de vieux démons, tels que la suspicion d’un « impérialisme » occidental et une vision encore plus négative des interventions militaires extérieures.
Ce phénomène d’une appréciation négative des coopérations sécuritaires s’est amplifié avec l’effet des réseaux sociaux et, pour certains, des campagnes de désinformation, alimentant l’incompréhension et parfois le rejet de l’action des puissances occidentales, notamment de la France dans la région sahélienne. A partir de 2015, commence à se poser un véritable débat au sein de la classe politique, de l’intelligentsia et des sociétés civiles africaines qui se nourrit des contradictions et incohérences de tous bords. D’un côté, jusqu’aux derniers ajustements paradigmatiques vers un nexus sécurité-développement avec la mise en place d’initiatives comme l’Alliance Sahel, les puissances occidentales étaient perçues comme principalement focalisées sur l’option du tout-militaire. De l’autre, cette stratégie du « nexus » peine, encore aujourd’hui, à arriver à bout du terrorisme alors que la menace sécuritaire persiste.
Cependant, dans le cadre de la mitigation des stratégies à dominante sécuritaire, il a été de plus en plus défendu l’idée d’agir aussi sur le développement et d’accentuer la coopération pour une approche dite holistique de l’insécurité qui était aussi due à des problèmes dits de développement.
Pendant ce temps, les États africains se trouvent devant la difficulté de devoir communiquer sur la question sécuritaire qui relevait, jadis, de « domaines réservés » face à des sociétés civiles qui se sont progressivement appropriées les questions sécuritaires. Dans les opinions africaines, il s’est imposé une perception selon laquelle, la coopération internationale semble instaurer une primauté de la sécurité sur le développement. Cette perception avait conduit à une autre : l’impression d’une inversion de l’agenda africain de développement qui semblerait favoriser l’approche sécuritaire. Bien que découlant d’une initiative d’États de la région, même l’action du G5 Sahel fut assimilée, au sein des opinions publiques y compris des élites, à un suivisme stratégique voire un programme préconçu de l’extérieur..
Il y avait, aussi, la perception dominante selon laquelle, la promotion appuyée du G5 Sahel par l’Europe et surtout la France, était une manière de déposséder la CEDEAO de la question sécuritaire au profit de pays dans le « giron français » évitant ainsi une hostilité ou une éventuelle méfiance du Nigeria et du Ghana anglophones.
Tous ces paramètres et facteurs combinés, font qu’il était nécessaire de sonder les perceptions et d’interroger les acteurs sahéliens et ouest-africains sur la pertinence, la portée et leur propre appréciation des coopérations sécuritaires et de développement.
L’idée d’éviction des dépenses dites de « développement » par celles de « sécurité » continue aussi d’animer les débats entre experts et décideurs de la région. En effet, selon une étude de Chaire Sahel – non publiée - qui propose une analyse comparée de l’évolution des dépenses publiques, des dépenses militaires et des dépenses de santé et d’éducation - dans les pays du G5 Sahel, il existerait un lien établi entre les évolutions des dépenses militaires d’un côté, de santé et d’éducation de l’autre[1]. Il en ressort qu’au Burkina Faso, par exemple, « la hausse des dépenses publiques observées tendanciellement jusqu’en 2009 puis qui s’est accélérée ensuite a bénéficié aux trois types de dépenses étudiées. La part relative de chacune s’est à peu près maintenue jusqu’en 2016, année après laquelle on observe une hausse de la part des dépenses militaires sans qu’il soit possible de comparer avec la part des dépenses d’éducation et de santé, faute de données disponibles.[2] ». Ce constat qui semble durablement marquer une opinion publique ouest-africaine dubitative sur l’efficience des coopérations sécuritaires, a tout son poids sur les perceptions que ce rapport a tenté d’étudier, bien avant le débat et l’actualité sur les présences militaires et la fermeture des bases étrangères.
Il est à noter que la présente étude est une initiative-pilote qui n’a pu couvrir ni tous les pays, encore moins toutes les catégories d’acteurs pertinents. Cette limite s’explique par la difficulté de mobiliser toutes les capacités et ressources nécessaires, en plus du contexte politico-sécuritaire qui a fait que, par exemple, les chercheurs au Burkina Faso n’ont pas pu dérouler le questionnaire et effectuer les entretiens qualitatifs. Pour l’analyse des perceptions sur les coopérations au développement, il subsiste aussi la difficulté matérielle de cibler des personnes disposant des capacités suffisantes pour s’exprimer sur leur pertinence.