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Pour Bakary Sambe, directeur de l’Observatoire des radicalismes et des conflits religieux en Afrique, une chose est sûre : « On n’a jamais vaincu une idéologie avec un code pénal ou une kalachnikov. » Jeune Afrique s’est entretenue avec lui en marge d’une conférence sur la lutte contre la radicalisation des jeunes sur internet, qui se tenait à Québec (Canada) en début de semaine
Jeune Afrique : En 2016, l’Afrique de l’Ouest, qu’on croyait relativement à l’abri de la menace jihadiste, a payé un lourd tribut…
Bakary Sambe : [Il coupe] On fait comme si la région venait de découvrir ce que tout le monde appelle la « radicalisation », alors que ce phénomène est le fruit d’un processus remontant aux années 70 ! C’est à ce moment que cette bataille a commencé, pas maintenant comme on l’entend souvent. Et nous sommes en passe de la perdre pour l’instant.
Pourquoi datez-vous les débuts de la radicalisation en Afrique aux années 70 ?
À l’époque, la sécheresse a durement frappé les États de la bande sahélienne qui ont alors reçu le soutien financier des pétromonarchies. Ces dernières ont donné pour la construction de mosquées, pour les activités de nombreuses ONG religieuses. Puis dans les années 80/90, après la sécheresse, ce sont les politiques d’ajustement structurel menées par la Banque Mondiale et le FMI qui ont contribué à déstructurer les politiques sociales, de santé et d’éducation. Nos Etats se sont retrouvés à genoux.
Quelles en ont été les conséquences ?
C’est là véritablement que sont apparues les ONG religieuses, qui ont finalement remplacé les États auprès de certaines couches de population, et ce toutes confessions confondues. On a tendance à parler des associations islamistes en premier lieu, mais il ne faut pas oublier les structures pentecôtistes par exemple. Toujours est-il qu’au message des États s’est substitué un message religieux, qui plus est en contradiction avec celui délivré par l’Islam local. On a alors commencé à assister à un choc des systèmes religieux : l’Islam d’obédience soufie enraciné en Afrique s’est retrouvé confronté au wahabbisme salafiste. Les États africains n’ont pas intégré la dimension sécuritaire du phénomène.
Pourquoi un tel retard à l’allumage ?
Parce qu’on s’est trompé dans notre rapport au Sahara. On le considère souvent à tort comme une barrière, alors que c’est une mer intérieure, une terre d’interactions millénaire dont on a ignoré la porosité. Lorsque Aqmi est apparu au Maghreb, il fallait s’attendre à ce que sa sphère d’influence s’étende au Sahel. Dès 1998, j’ai contesté la distinction islam noir/islam maghrébin.
Aujourd’hui, pourquoi l’extrémisme remporte-t-il un tel succès ?
Les États africains doivent d’abord répondre à la quête de sens de leur jeunesse. Si je schématise, l’Islam est devenu le nouveau syndicat des damnés de la terre, un vecteur de contestation des hégémonies et des injustices. J’ai discuté avec de nombreux chefs religieux pour définir les causes de ce qu’on appelle la radicalisation. Le grand mufti du Nigeria me disait qu’elle venait de la combinaison de l’arrogance des injustices et de l’ignorance de ceux qui se considèrent comme des victimes. Le salafisme sait construire du sens, il faut que l’Islam traditionnel africain emploie lui aussi les canaux de la communication moderne.
Donc les principales causes de radicalisation restent la paupérisation et la marginalisation ?
D’après une étude que j’ai menée dans la banlieue de Dakar, 45% des jeunes estiment que c’est la pauvreté qui pousse à s’engager dans l’extrémisme. Ils ne sont que 19% à évoquer des motifs religieux !
Quelles peuvent-être ces motivations ?
Le jeune de Boko Haram de Maïduguri est dans la logique du rejet de l’État, le shebab somalien dans une logique de survie économique, le Peul du Macina dans une recherche de protection et de sécurité et le jeune Sénégalais médecin qui part en Libye est dans une logique de contestation, de quête de sens. Tout dépend du contexte et des trajectoires.
Quelles réponses peuvent apporter les États africains aujourd’hui ?
Comme les pouvoirs publics ont été surpris par la montée de l’extrémisme, ils se sont trouvés dans une situation d’urgence sécuritaire. Aujourd’hui, il faut investir dans la prévention, on commence seulement à comprendre que le militaire ne répond jamais entièrement au problème. On n’a jamais vaincu une idéologie avec un code pénal ou une kalachnikov.
Comment organiser cette prévention ? Quels sont les ressources de l’Afrique en la matière ?
Nous avons une chance, c’est de pouvoir compter sur des communautés et sur leur résilience. Nos sociétés sont moins individualistes qu’en Europe par exemple. Ces communautés offrent des cadres de sociabilisation pour une auto-réhabilitation des jeunes. J’utilise ce terme car je n’affectionne pas celui de « déradicalisation ». Par là, j’entends qu’il faut partir des jeunes, les valoriser, leur donner un cadre où ils puissent trouver une utilité sociale. C’est en partant de ces micro-initiatives que la dynamique pourra s’inverser un jour.