Nigeria : Entre tensions diplomatiques et insécurité régionale Spécial

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Source : Météo Sahel Décembre 2024

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Depuis le coup d’État du 26 juillet 2023 qui a renversé le président Mohamed Bazoum, les relations entre le Niger et le Nigeria sont marquées par une certaine froideur. L'arrivée des militaires au pouvoir à Niamey avait suscité une réaction ferme du président nigérian Bola Tinubu, également à la tête de la CEDEAO, allant jusqu’à envisager une intervention militaire pour restaurer l'ordre constitutionnel. Malgré une reprise temporaire de la coopération militaire entre les deux voisins, les tensions récentes montrent que les relations restent marquées par la méfiance et les divergences stratégiques. 

En témoigne, le 18 décembre 2024, la convocation d’une représentante de l’ambassade du Nigeria à Niamey par le ministre des Affaires étrangères du Niger. Les autorités nigériennes accusent le Nigeria de servir de base arrière pour des tentatives de déstabilisation orchestrées avec la complicité de puissances étrangères et d’anciens dignitaires du régime de Mohamed Bazoum. Cette accusation survient dans un contexte de sabotage répété du pipeline transportant le pétrole nigérien vers le Bénin, lequel est attribué à des groupes armés qui viendraient du Nigeria.

Le Nigeria, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, a formellement démenti ces accusations, affirmant qu'aucune troupe étrangère, en particulier française, n’était présente sur son territoire pour préparer des opérations contre le Niger. Le général Christopher Musa, chef des armées nigérianes, au cours d’un déjeuner avec les militaires basés dans la région de Sokoto, a adopté une posture conciliatrice en affirmant : « Tout élément utilisant le sol nigérian pour attaquer nos voisins est un ennemi du Nigeria. Nous ne faisons qu’un avec nos voisins et nous veillerons à neutraliser de telles menaces. » Malgré ces efforts d’apaisement, la tension persiste, d’autant que le Niger a annoncé son retrait de la CEDEAO, enlisant la fracture entre les deux pays.

Les tensions diplomatiques entre le Niger et le Nigeria interviennent dans un contexte de défis sécuritaires majeurs qui affectent l’ensemble du Sahel. L’activité des groupes terroristes comme Boko Haram continue de semer la terreur. Le 14 décembre 2024, des djihadistes de Boko Haram ont assassiné 14 pêcheurs nigérians dans la région de Bosso, au Niger. Ces victimes faisaient partie des milliers de réfugiés nigérians ayant fui les violences dans le nord-est du Nigeria pour chercher asile au Niger. 

Le Nord renoue avec la violence

Dans l’État de Zamfara, situé dans le nord-ouest du Nigeria, des groupes armés appelés « bandits » continuent de terroriser les populations locales. Ces bandes mènent des raids violents, enlèvent des femmes et des enfants, et utilisent des engins explosifs pour contrôler les routes. D’ailleurs, le 10 décembre 2024, plus de 50 femmes et enfants ont été enlevés lors d’une attaque dans le village de Kakin Dawa. Malgré le déploiement des forces de sécurité supplémentaires, la population vit toujours dans la crainte et la peur.

Au-delà de ces attaques, existe aussi des conflits intercommunautaires. Le 25 Décembre 2024, jour de noël, des violences ont fait au moins quinze morts dans un district de Benue, une région frontalière avec le Cameroun marquée depuis plusieurs années par des conflits entre éleveurs et agriculteurs, causant des morts et déplacés.

Dans ce contexte, le Bureau national des statistiques du Nigeria a publié, pour la première fois, une étude sur la criminalité et la perception de la sécurité. Cette enquête, réalisée auprès de 12 000 foyers à travers le pays, révèle des chiffres alarmants : environ 2 millions de personnes auraient été kidnappées en une année. Toutefois, cette étude a suscité des critiques sur la fiabilité de sa méthodologie. En réaction, les autorités ont mis hors service le site internet du Bureau statistique et convoqué son directeur par la sécurité d’État.

A cela, s’ajoute, le 03 Décembre 2024, un an après, les attaques de drone dans le village de Tudunbiri, au nord du Nigeriaqui ont causé des dizaines de morts, principalement des civils, dont des femmes et des enfants. Initialement censée viser des positions terroristes, la frappe serait une erreur tragique, plongeant la communauté dans un deuil profond. Les habitants décrivaient des scènes d’horreur : des corps éparpillés, des maisons détruites, et un chaos total. Un an après, les habitants réclament justice et des garanties pour que de telles tragédies ne se reproduisent plus, appelant à une meilleure prise en compte des impacts humanitaires des opérations anti-terroristes.