Tribune | Maroc-Sénégal : transformer une amitié historique en moteur de l’intégration africaine Spécial

Par Nasrallah Belkhayate, président du Centre de recherche sur l’Africanité

Le 60e anniversaire de la Convention d’établissement entre le Maroc et le Sénégal, célébré à Rabat en avril 2025, a offert un moment solennel de reconnaissance des liens d’exception qui unissent les deux pays. Placée sous le Haut Patronage de Sa Majesté Mohammed VI et du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, la cérémonie a réuni un large éventail de personnalités politiques, économiques et académiques. Une manière d’affirmer, une fois encore, la singularité du partenariat Rabat-Dakar dans le paysage diplomatique africain.

Pourtant, à l’heure où le continent est confronté à des défis sans précédent – démographiques, climatiques, numériques et géopolitiques – une telle rencontre ne saurait se limiter à un exercice de mémoire ou de solennité. Si l’amitié maroco-sénégalaise est réelle, il est temps qu’elle s’incarne aussi dans des réalisations tangibles.

Car derrière les discours fraternels, plusieurs interrogations demeurent : la Convention de 1964 garantit l’égalité de traitement pour les ressortissants de chaque pays. Mais qu’en est-il de l’application effective de ces droits dans les domaines de la mobilité, de l’emploi, de l’accès aux services publics ou de la reconnaissance des qualifications professionnelles ? Combien de citoyens marocains ou sénégalais peuvent dire, aujourd’hui, qu’ils bénéficient réellement de ces dispositions dans leur vie quotidienne ?

L’absence d’un bilan critique, documenté, partagé, constitue en soi une faiblesse. De même, si les partenariats universitaires ont été évoqués avec enthousiasme, la rencontre a peu mis en avant les productions concrètes issues de ces échanges : travaux de recherche conjoints, double-diplômes, réseaux de chercheurs africains.

Autre point d’attention : la jeunesse africaine, pourtant placée au cœur des discours, n’a pas été suffisamment représentée parmi les intervenants. Or, avec une population étudiante appelée à tripler d’ici 2030, ce sont bien les jeunes qui incarneront demain la réalité des liens entre le Maroc et le Sénégal. C’est à eux que revient la tâche de transformer l’héritage diplomatique en une force motrice pour l’intégration africaine.

Enfin, si le numérique et l’intelligence artificielle ont été évoqués comme domaines prioritaires de coopération, l’événement n’a débouché sur aucune feuille de route concrète ni sur l’annonce de programmes conjoints. À l’heure où les puissances mondiales imposent leurs régulations technologiques, une initiative Rabat-Dakar pour la souveraineté numérique africaine serait pourtant stratégique.

Le 60e anniversaire de la Convention d’établissement aurait pu être l’occasion de lancer une nouvelle dynamique, fondée sur des engagements mesurables, ouverts à la société civile, à la jeunesse, aux entrepreneurs, et aux diasporas. Ce rendez-vous diplomatique mérite d’être salué. Mais il ne peut rester un rituel de prestige. Il doit devenir un laboratoire de coopération innovante, une vitrine du panafricanisme pragmatique.

Car plus que jamais, l’Afrique a besoin d’alliances fondées sur les actes. Et le lien entre le Maroc et le Sénégal peut, s’il s’en donne les moyens, devenir un modèle de diplomatie africaine tournée vers l’avenir.
Car plus que jamais, l’Afrique a besoin d’alliances fondées sur les actes. Et le lien entre le Maroc et le Sénégal peut, s’il s’en donne les moyens, devenir un modèle de diplomatie africaine tournée vers l’avenir.

Souhaitons que Bakary Sambe, en tant qu’intellectuel engagé et organisateur de ce type de rencontres, puisse en tenir compte lors du prochain anniversaire. Non pas pour remettre en question l’histoire, mais pour l’inscrire résolument dans les exigences du présent et les promesses de l’avenir.