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Frontalières du Mali et de la Mauritanie, les régions Est du Sénégal sont confrontées à des défis socio-économiques, sécuritaires et climatiques qui pourraient impacter la résilience des communautés. Ce faisant le renforcement de la résilience communautaire devient donc un enjeu stratégique non seulement eu égard pour le Sénégal mais aussi pour les pays voisins en raison des continuums socio-culturels et des enjeux partagés. C’est dans cette optique que, du 22 au 25 avril 2025, le Timbuktu Institute a conduit en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer et avec l’appui de l’Union Européenne, des sessions de dialogue dans les départements de Goudiry, Tambacounda et Koumpentoum. Ces sensibilisations et dialogues destinés aux acteurs de la société civile dans leur diversité et aux forces de sécurité et de défense (FDS) ont été l’occasion de tenir une série de dialogues impliquant FDS, Badiénou Gox, leaders associatifs…en vue de mener des actions conjointes et concertées susceptibles de renforcer la cohésion sociale et le vivre ensemble.
De ces quatre journées de session de dialogue et de réflexion collective tenues dans les départements de Goudiry, Tambacounda et Koumpentoum par Timbuktu Institute, sous la conduite de Dr. Bakary Sambe, il est possible de mettre en relief une série d’observations majeures transversales, qui projettent une fresque globale des dynamiques, défis et perspectives des communautés locales. De prime abord, dans les trois départements, les acteurs communautaires (badiene gox, enseignants, leaders associatifs et FDS) ont fait montre d’une grande implication dans la médiation, la prévention des conflits et le raffermissement du tissu social, en témoignant les discussions souvent animées et parfois passionnées. Cette participation est la preuve d’un engagement local pour la construction d’une paix et de la pérennisation de la cohésion sociale en s’appuyant sur des mécanismes locaux à l’instar de la médiation coutumière ou du cousinage à plaisanterie. Car comme le souligne un enseignant de Tambacounda, Augustin Ndecky, « la frontière n’est seulement comme un espace physique, elle est aussi un espace social. Souvent les premières frontières qui se dressent entre nous sont sociales, c’est-à-dire entre communautés, sociales, familles et ethnies ». Néanmoins, l’incompréhension mutuelle, voire les tensions entre les communautés et les FDS reste un défi commun majeur. En dépit des tentatives de collaboration, le climat de méfiance reste de mise. Cette atmosphère qui est exacerbée par le déficit d’espaces réguliers de dialogues et d’échanges des perspectives mutuelles ou encore des pratiques de sécurité que les communautés peinent à comprendre et s’approprier, limite la capacité des FDS à bénéficier d’une collaboration communautaire utile, indispensable à la prévention sécuritaire. « Nous devons nous rappeler que notre pays est un îlot de stabilité dans un océan d'instabilité, en l’occurrence la sous-région. C’est la raison pour laquelle le travail de dialogue communautaire et interculturel, d’inclusion socio-économique ainsi que la collaboration durable entre populations et FDS doit être une constante », soutient Bakary Sambe, Président du Timbuktu Institute. D’ailleurs, renchérit M. Diouf – commandant de Tambacounda -, « il n’y a pas de paix sans sécurité et il n’y a pas de sécurité sans l’implication des populations, qui doivent comprendre que nous sommes avec eux et que nous sommes tous des Sénégalais ».
De Goudiry à Koumpentoum en passant par Tambacounda, les acteurs communautaires n’ont pas cessé d’insister sur l’importance de l’éducation, en tant que levier indispensable de résilience. C’est dans cette perspective que les enseignants sont apparus comme pilier crucial, non seulement dans la formation académique, mais aussi dans la transmission des valeurs de tolérance, de citoyenneté et de paix. Aussi, nombre de participants n’ont-ils pas signalé la nécessité de réinstaurer l’éducation civique et morale dans les programmes scolaires et de mieux former les éducateurs à la prévention de l’extrémisme violent. Par ailleurs, trois piliers apparaissent comme essentiels pour fonder la cohésion sociale dans la région de Tambacounda : la restauration de la confiance entre les populations et les FDS, le renforcement de l'éducation de la jeunesse au civisme et à la citoyenneté et la prise en compte des mécanismes locaux dans les stratégies de prévention des conflits. Les dialogues communautaires menés à Goudiry, Tambacounda et Koumpentoum ont permis de mettre en lumière des communautés résilientes, porteuses de solutions mais faisant encore malheureusement face à un certain degré de marginalisation socio-économique. « « Malheureusement, quand on parle de souvent de frontières au Sénégal, la réalité est qu’on est souvent amenés à parler de vulnérabilités. Pas mal d’habitants de ces zones peinent à se sentir Sénégalais à part entière. C’est d’ailleurs pour cela que depuis quelques années en l’occurrence, l’Etat prend à bras le corps cette question dans l’édification de ses politiques publiques dans le but d’assurer l’équité territoriale », souligne Alioune Badara Mbengue, préfet de Tambacounda.
Pour une résilience co-construite
De fait, ces sessions de dialogue ont facilité la mise en exergue de deux données centrales. D’une part, une remarquable volonté locale de résilience, pourvu que l’engagement communautaire bénéficie d’appuis structurels et institutionnels et que les mécanismes endogènes soient reconnus comme dignes de perspectives de solutions durables. D’autre part, dans une région marquée par une menace transfrontalière et des fragilités continues, ces échanges déroulés sous le signe de l’écoute active, de la participation et de l’ouverture montrent qu’il est possible et nécessaire de raviver la conscience citoyenne et le sentiment d’appartenance nationale, de raffermir les liens entre populations et FDS, ainsi que d’appuyer le rôle pivot des femmes – en l’occurrence des badiene gox - , des leaders associatifs et des enseignants dans la gestion des conflits. « Même si leur travail souffre d’un manque d’appui institutionnel et d’insuffisance de moyens, les badiene gox interviennent régulièrement dans les conflits conjugaux, la lutte contre les violences basées sur le genre (VGB), les violences juvéniles, la santé communautaire etc », a rappelé Assa Sidibé, première adjointe au maire et badiene gox à Koumpentoum. Les badiene gox sont reconnues à l’unisson, comme actrices centrales de la médiation sociale.
Ainsi, ces sessions de dialogue rappellent une fois de plus, la nécessité de délaisser les approches de solutions verticales et déconnectées des réalités locales, pour véritablement laisser place à une résilience co-pensée et co-construite avec les communautés locales, dans le respect de leurs savoirs endogènes et de leur diversité culturelle. Dès lors, l’urgence et la nécessité d’un renforcement de l’appui coordonné des différents acteurs (État, collectivités, OSC, PTF) pour créer les conditions d’un développement équitable, solidaire et durable dans les régions du Sénégal oriental, est manifeste.
Kensio Akpo