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Dr. Bakary Sambe, Directeur du Timbuktu Institute- African Center for PeaceStudies (Dakar), est le coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique. Auteur de « Boko Haram, du problème nigérian à la menace régionale » (2015), il est désigné comme un des meilleurs experts de l’extrémisme violent et des réseaux transnationaux dans le Sahel. Timbuktu Institute, en collaboration avec la Fondation Rosa Luxemburg, vient de boucler une étude sur les facteurs de radicalisation et la perception du terrorisme chez les jeunes de la banlieue de Dakar.
Quelles sont les rivalités entre Al Qaeda et l’Etat islamique au Nord Mali et leur influence sur les groupes armés ?
L’arrivée du groupe Etat islamique sur le terrain africain, notamment à Syrte, a introduit une nouvelle dynamique dans la nébuleuse djihadiste. La modernité des outils de propagande de Daech, le fait qu’il soit doté d’une certaine capacité financière avec le business du pétrole, en a fait un réseau plus attrayant au niveau des jeunes par la magie des nouvelles technologies et la sophistication de sa propagande. Une rivalité féroce s’est, ainsi, installée entre Daech et Al-Qaïda qui commençait à être vue comme une mouvance has been. C’est pourquoi Al-Qaïda a accentué ses attaques au début de l’année 2016, en enchaînant les attentats à Bamako, Ouagadougou et Grand Bassam, tout en multipliant les incursions dans le Nord Mali pour donner signe de vie à chaque fois que l’action de Daech commençait à trop occuper les médias et les esprits. Une manière de refuser l’oubli et de réaffirmer sa vitalité. L’émiettement des forces djihadistes dans le Sahel, suite à la contestation de l’hégémonie algérienne au sein d’Aqmi qui a donné naissance au MUJAO et à la fusion de certains groupes ayant abouti à l’émergence d’Almourabitoune, avaient fini par faire perdre à Al-Qaïda de sa force de frappe, surtout en termes de coordination d’actions de grande envergure. Néanmoins Al-Qaïda continue de mener la danse au Nord Mali, région où Daech n’a pas encore une véritable base sociologique. La composante touarègue, ainsi que la mainmise des Ifoghas sur le Djihadisme malien, n’y laissent pas beaucoup de place à la rhétorique internationaliste de Daech et surtout son tempérament originellement moyen-oriental.
Quels sont leurs liens avec les trafiquants ?
Les actions d’Al-Qaïda et des mouvements qui lui sont connexes dans le Sahel, le Sahara et le sud algérien, sont liées à une économie criminelle sur laquelle les logiques tribales ont un fort impact. A titre d’exemple, l’influence des Ag Intalla est incontestable dans la région de Kidal. Une certaine économie politique du Djihadisme laisse apparaître l’étroite relation entre terrorisme et trafic en tous genres. C’est cela qui explique le perpétuel besoin de créer des zones d’instabilité favorables à la circulation des armes et de la drogue. La cartographie des routes de la drogue dessine en même temps l’itinéraire des mouvements terroristes et des trafics de migrants malheureusement.
Quels sont le nombre et la nature des groupes armés et leurs modes de financement ?
Les groupes sont assez composites aujourd’hui et une bonne compréhension de leur mode de fonctionnement exigerait que l’on revoie constamment la cartographie qui en est souvent établie. Les 200 hommes d’Al Mourabitoune, sous l’égide de Mokhtar Belmokhtar, les 170 activistes d’Amadou Koufa du Front de Libération du Macina, et les 2000 à 3000 hommes d’Abu Al-Moughira al-Qahtani positionnés en Libye, partie intégrante de l’Etat islamique auquel les 7000 hommes de Boko Haram ont fait allégeance en 2014 sous l’égide d’Abou BakrShekau, hantent le sommeil de tous les Etats-majors militaires devant faire face à une nouvelle forme de guerre dite asymétrique. Une nouvelle forme de guerre sans front délimité, sans armées conventionnelles, avec un ennemi diffus, insaisissable et parfois, déjà à l’intérieur. Les mutations en cours au sein de Boko Haram, notamment pour ce qui est du leadership contesté de Shekau, posent de nouveaux problèmes. On s’achemine vers une situation confuse avec des factions de Boko Haram qui sembleraient cernées, autour de Sambissa, par l’offensive militaire du Nigeria et de ses alliés et d’autres groupes qui s’en détachent, dans le bassin du lac Tchad, en élargissant le front de plus en plus vers l’Afrique centrale. Les nouvelles filières d’armements à partir du Soudan changent la donne et exposent l’Afrique centrale à une résurgence des conflits ethnico-confessionnels très prisés par les mouvements djihadistes. Ils facilitent leur ancrage et servent leur développement en termes de recrutements et de création de nouvelles zones d’instabilité et de circulation d’armes. Les dernières études au Nord Mali montrent que la motivation religieuse est de loin derrière d’autres facteurs surtout socio-économiques. Les modes de financement du terrorisme ont beaucoup évolué. Les pressions américaines et de la communauté internationale sur les institutions financières, les pays et les organisations religieuses ont eu comme effet l’accentuation du blanchiment d’argent et une plus forte connexion entre crime organisé et terrorisme. On s’achemine, de plus en plus, vers une démonétarisation du financement du terrorisme que les officines de contrôle auront plus de mal à traquer. Cela passera par le commerce aux apparences légales, la circulation de biens de consommation, notamment par la voie maritime. La principale difficulté de la lutte contre le terrorisme est que ce dernier est une longue chaîne dont chaque maillon, pris individuellement, peut ne pas être punissable. Il faut varier les approches, sortir du tout militaire et investir dans la prévention et la résilience des communautés.
Propos recueillis par Assane Samb