Cameroun : Entre tractations politiques et défis sécuritaires Spécial

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Source : Météo Sahel Juin 2025

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Après une période de flottement, le président de 92 ans a finalement levé le doute ce samedi 28 juin en annonçant sa candidature aux élections présidentielles d’octobre 2025. Alors que les élections camerounaises approchent à grands pas, l’actuel président Paul Biya semblait se préparer pour un nouveau mandat depuis un bout de temps. Le mardi 24 juin, le président en poste depuis 1982 avait déclaré : « Faisons ensemble du Cameroun une terre de grandes opportunités de développement économique et social, dans la paix et l’unité ».

En outre, des questionnements sur sa capacité à diriger le pays ont été soulevés par plusieurs acteurs de la société civile. Sont remis en question non seulement sa capacité du fait de son âge avancé, mais aussi sa légitimité juridique à candidater.

En effet, ce 18 juin, Léon Theiller Onana, militant et conseiller municipal du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), a déclaré avoir entamé les procédures pour demander la tenue d’un congrès du parti au pouvoir avant le scrutin d’octobre. Il estime que la candidature du président serait « juridiquement irrecevable », allant même jusqu’à démontrer que « toute candidature émanant du rang du RDPC serait entachée de vice », en raison de l’irrégularité statutaire du parti. En effet, le dernier congrès du parti au pouvoir remonte à 2011, ce qui empêcherait, selon la loi, sa participation aux élections.

De l’autre côté, le candidat de l’opposition Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) Maurice Kamto met en garde sur les signes avant-coureurs d’un refus de l’alternance démocratique. Dans un communiqué alarmiste publié sur Facebook le 17 juin, il dénonce un « projet de coup d’État militaire annoncé » par l’actuel gouvernement. Il estime que le refus de la publication des listes électorales par l’ELECAM, l’organisme indépendant chargé de l'organisation, de la gestion et de la supervision de l'ensemble du processus électoral, est la première preuve d’un manquement démocratique. De surcroît, il va jusqu’à mettre en garde la France et l’ONU dans leur position. Selon lui, le choix de soutenir l’actuel gouvernement pourrait les mettre en cause en cas d’un maintien forcé au pouvoir. 

Les masques tombent : deux ministres démissionnent et annoncent leur candidature aux élections présidentielles

Coup de théâtre par Issa Tchiroma Bakary qui, moins de 24 heures après avoir quitté son poste de ministre de l’Emploi et rompu avec le président Paul Biya, crée la surprise en se lançant dans la course à la présidentielle. C’est à travers une « Lettre aux Camerounais » qu’il a choisi de dessiner les principaux volets de son futur programme politique. Ensuite, c’est au tour du ministre du Tourisme et des Loisirs, Bello Bouba Maïgari. Sans avoir déclaré sa démission, le ministre et président de l'Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP) rompt ses 30 ans d’alliance avec le parti de Paul Biya (RDPC) à travers l’annonce de sa candidature. Cette décision intervient après de multiples pressions de la part des sympathisants de l’UNDP. Ils souhaitent la présentation par le parti d’un candidat à la présidentielle, tout en dénonçant la « mal-gouvernance » et la « corruption » qu’ils imputent à l’actuel gouvernement. Une volonté de changement semble souffler sur le Cameroun.

Drones kamikazes et conflits séparatistes : preuves d’une insécurité persistante ?

En parallèle du climat de tensions politiques qui s’installe à Yaoundé, la situation sécuritaire du pays demeure instable, principalement dans les régions de l’Extrême-Nord, du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Le 9 juin a eu lieu une attaque par drone kamikaze du groupe terroriste Boko Haram contre un camp militaire camerounais. Ce mode opératoire est utilisé pour la troisième fois consécutive par le groupe terroriste depuis fin mars 2025. Aucun bilan humain n’a été communiqué par les autorités pour cette dernière attaque. En parallèle, les 24 et 25 juin ont été incendiés une brigade et un centre de santé à Sagmé, à l’Extrême-Nord du pays. Cette attaque a été perpétrée par des présumés terroristes de Boko Haram et n’a enregistré aucun mort. Par ailleurs, le conflit meurtrier entre les groupes anglophones séparatistes et les forces de l’ordre continue de sévir gravement depuis 2016, et laisse la population dans un climat de peur. Depuis le début de la crise, 6 000 personnes auraient perdu la vie et des centaines de milliers ont dû fuir leur foyer.

Cette insécurité s’additionne au contexte socio-économique fragile : jusqu’à 74 % des jeunes sont touchés par le chômage, selon le président de la commission de l’Éducation à l’Assemblée nationale.

De plus, l’insécurité est à la base des déplacements massifs de populations qui, selon un nouveau rapport du Conseil Norvégien pour les Réfugiés (NRC), sont d’une importance largement sous-estimée au Cameroun. En effet, le pays arrive en tête dans le classement des crises ayant enregistré des déplacements importants les plus négligées de la planète. En 2023, on a dénombré 1,1 millions déplacés à l’intérieur du pays, en plus des centaines de réfugiés venus de Centre Afrique. Cette instabilité pourrait avoir des répercussions non négligeables sur les votes et inscription aux listes électorales.

Le Cameroun vit aujourd’hui un moment clef de son histoire. L’heure du changement politique semble sonner pour le président Paul Byia, face à une population désireuse de faire jouer son droit de vote. L’agitation pré-électorale ne saurait effacer les enjeux sociaux, économiques et sécuritaires qui restent avant toute chose au coeur des préoccupations des camerounais et camerounaises.  Les prochaines semaines seront fatidiques pour garantir le déroulement sans embûches et sans ingérances du processus électoral démocratique.