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Timbuktu Institue - Juillet 2025
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Le déploiement d’Africa Corps marque une évolution stratégique de l’influence militaire et géopolitique de la Russie en Afrique, en particulier au Sahel, en tant que successeur du groupe Wagner. Après le retrait de Wagner du Mali le 6 juin 2025, Africa Corps, une entité paramilitaire contrôlée directement par l’État sous l’égide du ministère russe de la Défense et liée au GRU (l'agence de renseignement militaire russe), a formalisé et élargi la présence de Moscou sur le continent. Cette transition reflète la volonté du Kremlin d’institutionnaliser ses opérations, abandonnant le déni d’antan entretenu par le statut flou et semi-indépendant de Wagner pour adopter une approche et une stratégie directement pilotées par l’État. Ce repositionnement consolide l’influence russe au Sahel, s’inscrivant, désormais, dans des objectifs stratégiques plus larges dans un contexte de tensions géopolitiques mondiales et de conflit prolongé avec l’Ukraine.
Africa Corps s’offre ainsi, un cadre opérationnel permettant son intégration effective aux structures de sécurité des États sahéliens, notamment au Mali, où il opère aux côtés des forces nationales, cogère des postes de commandement et dispense des formations et entraînements sur le maniement des armes, le renseignement et la discipline opérationnelle. Avec des bases russes rénovées près de Bamako et des équipements militaires avancés tels que des véhicules blindés BTR-82A, des obusiers Msta-B et des bombardiers Su-24M, Africa Corps renforce son empreinte opérationnelle. La structure russe assure également la protection des dirigeants militaires au pouvoir et des infrastructures-clés, consolidant le soutien politique aux régimes militaires sans conditions liées à la démocratie, encore moins, aux droits humains.
Pour ce qui est du recrutement des éléments d’Africa Corps et de la continuité de sa présence et de ses opérations, environ 70 à 80 % du personnel est composé d’anciens combattants de Wagner. Cette approche lui garantit une continuité dans l’expertise et les tactiques. Ainsi, les efforts de recrutement se sont intensifiés depuis février 2025, ciblant des régions russes économiquement défavorisées ou périphériques, y compris certaines zones du Tatarstan, avec des primes attractives (jusqu’à 2,5 millions de roubles). Ces efforts répondent aux défis de recrutement de la Russie en pleine quatrième année de guerre en Ukraine tout en renforçant la présence d’Africa Corps au Sahel.
Il y a en effet, une véritable stratégie motivée par une claire visée sur l’ensemble du Sahel. Cette stratégie russe au Sahel via Africa Corps repose sur quatre piliers : protéger les régimes militaires, sécuriser l’accès aux ressources naturelles (comme la raffinerie d’or près de Bamako), établir des partenariats à long terme dans les infrastructures et l’énergie, et saper l’influence occidentale, notamment celle de la France, historiquement dominante. Les accords signés en juin 2025 entre la Russie et le Mali, portant sur la coopération nucléaire et les infrastructures, illustrent cette approche. En se positionnant comme un champion dans la promotion et l’appui à la « souveraineté régionale », la Russie vise aussi à contrer les efforts diplomatiques occidentaux et ukrainiens, notamment l’expansion de la présence ukrainienne via de nouvelles ambassades et une aide humanitaire.
Toutefois, malgré le changement de forme, l’intervention d’Africa Corps continue d’être un risque réel pour les Droits humains (massacres, exactions contre certaines communautés) et s’inscrit pleinement dans la même logique de guerre de l’information.
En réalité, Africa Corps hérite du passif de Wagner en matière de violations des droits humains, notamment des exécutions extrajudiciaires et des actes de torture, comme lors du massacre de Moura en 2022. Ces abus, souvent commis en toute impunité, alimentent le mécontentement de certaines communautés et le recrutement djihadiste instrumentalisant divers griefs. Parallèlement, les opérations d’influence russes, orchestrées par des plateformes comme African Initiative, amplifient les récits anti-occidentaux et dénigrant la démocratie via les médias locaux, des événements culturels et des campagnes de désinformation. Ces efforts présentent la Russie comme une force stabilisatrice tout en accusant les puissances occidentales de développer des stratégies pour déstabiliser la région.
Les implications géopolitiques d’une telle stratégie de mue et de continuité de l’influence russe à travers Africa Corps sont importantes. Africa Corps renforce la capacité de la Russie à projeter sa puissance dans une région en pleine reconfiguration géopolitique. En soutenant les régimes issus de coups d’État et en contrant l’influence occidentale, la stratégie russe entraînera forcément, ne serait-ce que par une logique de riposte, une intensification future des confrontations indirectes impliquant des acteurs tels que l’OTAN et l’Ukraine au Sahel ou leurs alliés.
La présence russe s’inscrivant dans une durabilité visible et formalisée à travers Africa Corps, combinée à une guerre informationnelle sophistiquée, positionne Moscou comme un acteur clé dans l’évolution du rapport de force, défiant toute idée de « domination » occidentale, tout en sécurisant durablement un levier économique et diplomatique en Afrique.