L’arrivée d’Africa Corps a-t-elle atténué l’insécurité au Mali ? Spécial

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Timbuktu Institute, septembre 2025

La recrudescence des attaques est loin de connaître un épilogue sur le territoire malien. En effet, les Forces Armées Maliennes (FAMa) font l’objet, depuis plusieurs semaines, d’attaques enchaînées des groupes séparatistes et terroristes dans les différentes régions du pays, pérpétrées notamment par le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM), affilié à Al-Qaïda et le Front de Libération de l’Azawad (FLA). De la province de Boulikessi située dans le centre du pays, à Tombouctou, en passant par le sud, à Mahou (Sikasso), ou encore dans le Nord, le nombre d'attaques et de victimes ne cesse de croître. Face à cette situation de métastase du péril terroriste, d’enlisement de la situation sécuritaire et au regard des attaques quasi simultanées perpétrées aux quatre coins du Mali, se pose légitimement la question de l'efficacité du déploiement d’Africa Corps après le départ de Wagner du pays. Si certains affirment un statu quo depuis le remplacement de Wagner par Africa Corps en termes de dérives et de violations des droits humains, d’autres plus optimistes soutiennent une amélioration de la situation sur le long terme. Pendant ce temps, le débordement des épicentres fait craindre aux pays limitrophes un effet domino avec des conséquences inquiétantes sur le Sénégal et la Mauritanie voisins. Ainsi, au nom de la lutte anti-terroriste, comment interpréter l’avancée des groupes extrémistes dans la région pendant que le Mali noue des partenariats censés contenir un fléau qui n’a que trop duré ?

L’efficacité du déploiement russe au Mali de plus en plus remise en cause

En mai 2025, le Timbuktu Institute, à travers un rapport publié sur le thème « Menace du JNIM dans la zone des trois frontières du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal », alertait déjà sur  l’avancée de ce groupe vers les pays voisins du Mali, notamment le Sénégal et la Mauritanie,  sa volonté d’éloigner l’armée malienne des zones proches de Bamako, ainsi que la multiplication des attaques à Kayes près de la frontière avec le Sénégal et de la Mauritanie. De récentes attaques ont été commises dans le sud du pays, non loin  des  frontières sénégalaise et mauritanienne où les combattants du JNIM ont mené sept attaques simultanées précisément à Kayes ville, Nioro du Sahel, en plus de Niono et auraient pris le contrôle de trois casernes et des dizaines de points militaires. Ces combattants du JNIM revendiquent également le bombardement de la caserne de Molodo. 

Pendant ce temps, à Diboli, village malien situé à quelques kilomètres de Bakel située dans la région de Tambacounda du Sénégal, les terroristes ont visé des postes de police et de douane à travers une opération coordonnée avec des véhicules et des Motos incendiées ; de quoi faire peur les transporteurs routiers du Sénégal qui empruntent régulièrement ces routes. D’ailleurs à titre préventif, les armées sénégalaise, malienne et mauritanienne ont mené au mois de mai 2025, une opération conjointe dénommée offensive régionale contre la menace terroriste grandissante. Dans ce contexte assez alarmant, la recrudescence de ces attaques pose la question de l'efficacité des troupes paramilitaires russes déployées au Mali.

En effet, depuis qu’un pouvoir militaire sous la houlette du Général Assimi Goïta dirige le Mali, des critiques étaient constamment formulées sur la présence française. Le désormais président du Mali a, dès son arrivée, décidé de rompre ses relations avec les troupes françaises présentes sur le territoire depuis 2013 dans le cadre des opérations Serval puis de Barkhane. Par conséquent, les relations entre le Mali et la France se sont dégradées au point que l’armée française a quitté le Mali en 2022, mettant ainsi fin à une coopération jusque-là en “bons termes”. “La coopération avec la France ne répondait pas aux aspirations du peuple malien, raison pour laquelle elle a été interrompue.”, déclarait alors Abdoulaye Diop, alors ministre des Affaires Étrangères pour justifier le retrait de la France

Pendant que la coopération franco-malienne est dénoncée, la Russie vient alors comme pour prendre le relais à travers une nouvelle forme de coopération économique, diplomatique, mais également militaire qui serait plus favorable pour le Mali. Grâce à ses positions idéologiques et économiques qui recoupent celles des pays de l’AES -et qui lui valent leur soutien, la Russie réussit à asseoir son ancrage dans nombre de pays de la sous-région avec lesquels elle entretient des relations de coopération.  Pour rappel, le Mali reconnaissait déjà en 1992 la Fédération de la Russie comme héritier de l’Union Soviétique. C’est ainsi qu’après le renversement d’Ibrahim Boubacar Keïta par les militaires qui ont souhaité le départ de la France, que le Mali a enclenché le processus de rapprochement   avec la Russie au point d’en faire son allié qui présente un atout majeur : elle prône des valeurs contraires au “néocolonialisme occidental” assez défendues au Mali. Cette appréciation de la Russie n’aurait pas pu se faire sans l’aide des médias implantés dédiés au relai d’influence et de propagande pro-russe comme l’African Initiative, entre autres.

Les deux pays deviennent partenaires à travers le déploiement des mercenaires du Groupes Wagner en 2021 pour répondre à la menace  croissante des indépendantistes au Nord, à travers le Front de Libération de l’Azawad (FLA) mais aussi avec le JNIM qui continuent à perpétrer des attaques qui s’étendent désormais jusqu’aux zones frontalières du Sénégal et de Mauritanie. Après près de quatre années de présence sur le terrain qui n’ont pas résolu voire réduit les attaques au Mali, l’efficacité de Wagner qui était plébiscité au départ, est de plus en plus remise en cause. La défaite subie à Tinzawatène à la fin du mois de juillet 2024, coûtant la vie à 84 mercenaires de Wagner a largement contribué à cette dynamique. Ainsi, Avec les lourdes pertes enregistrées face aux groupes armées touaregs et terroristes durant ces dernières années de collaboration entre l’Armée malienne et la société privée de sécurité russe, cette dernière a annoncé le 6 juin 2024 la fin de cette collaboration sur son compte Télégram. Pour la Russie qui assure d’un suivi plus strict, un renouvellement s’impose : le groupe paramilitaire Africa Corps remplace Wagner auprès de l’armée malienne. Toutefois, cette nouvelle collaboration est de plus en plus critiquée notamment avec la multiplication des attaques un peu partout au Mali avec les pertes enregistrées du côté des FAMa.

L’Africa Corps a déjà connu des revers face aux groupes armés. Le 13 juin 2025, lors d’un accrochage avec les forces du FLA près de Kidal, un hélicoptère a été touché et contraint de se replier, plusieurs véhicules détruits ou endommagés et plusieurs combattants russes auraient été tués, selon le FLA. La veille, un camion de l’Africa Corps avait déjà été détruit par un engin explosif improvisé.

D’autre part, au-delà des difficultés rencontrées par les combattants russes dans la confrontation directe avec les groupes armés, des évènements interrogent quant à la qualité des hommes envoyés par Moscou. Ainsi, le 14 juin, moins de deux mois après son déploiement au Mali, un Su-24M, bombardier tactique russe, s’écrase près de la base militaire de Gao. Cette perte s’ajoute à d’autres précédents. En octobre 2022, un crash de Su-25 à Gao avait coûté la vie à l’équipage, sans que les autorités ne fournissent plus de détails. Plus récemment, le 01 août 2025, l’Africa Corps aurait perdu plusieurs soldats au cours d’une embuscade menée par le JNIM à Tenenkou, près de Mopti. La récurrence de ces incidents pose la question du niveau de formation des pilotes envoyés au Mali, alors que Moscou concentre ses efforts sur le front ukrainien.

En outre, une autre raison qui pourrait expliquer le manque d’efficacité des mercenaires russes peut être le manque d’effectifs dû au déploiement russe dans le conflit russo-ukrainien avec comme conséquence immédiate une diminution des effectifs déployés au Mali. A cela, s’ajoute le refus du Gouvernement malien d’entamer une quelconque négociation avec les groupes séparatistes et terroristes comme ce fut le cas en 2015.

Une guerre communicationnelle avant-coureur d’un possible « équilibre de la terreur »

Du côté de l’armée malienne, tout comme chez les terroristes, chacun communique sur une éventuelle victoire sur l’autre, alors que les forces armées maliennes, dans une perspective de faire reculer l’adversaire, développent avec la Russie une nouvelle forme de coopération notamment avec l’arrivée des forces paramilitaires russes Africa Corps. D’ailleurs, ces forces paramilitaires russes qui ont remplacé le groupe Wagner, n’hésitent pas à publier dans leurs chaînes des images de terroristes tués, ainsi que des armes saisies dans le cadre de leurs opérations. Pendant ce temps, certains observateurs restent convaincus que l’arrivée d’Africa Corps ne fera qu’empirer la situation sécuritaire au Mali, d’autant plus que cela n’a pas empêché, jusqu’à tout récemment, les récentes attaques aux mois de juin et juillet 2025. S’agissant des terroristes, l’armée malienne à travers la chaîne de télévision nationale, l’ORTM, annonce également en avoir neutralisé au moins 80, sans précisions sur les localités.

Pendant ce temps, alors que l’armée malienne affirme que la situation est sous contrôle, le porte-parole du FLA Mohamed Elmaouloud annonçait : « nos troupes ont mené ce vendredi une action ciblée contre une patrouille de Africa Corps. Nous avons infligé d'importants dégâts matériels et des pertes humaines dans les rangs des ennemis ». Cette déclaration fait suite aux récentes attaques d’une caserne au centre-ville de Tombouctou. Il semble donc que, selon certains parmi les médias qui relayent les informations, l’armée malienne est mise en difficulté surtout ces dernières semaines où les attaques sont quasi hebdomadaires : attaque d’un poste de sécurité des FAMA à Kouakourou, attaque au mortier de l’aéroport militaire de Gao. Ainsi, l’armée malienne qui, selon certains médias (occidentaux) ne réagit pas à ces accusations qui la déshonorent, assure avoir « vigoureusement réagi à cette attaque perpétrée dans le centre du Mali avant de se replier ».

La quasi simultanéité de ces attaques dans les différentes parties du pays n’est pas fortuite, d’autant plus, que dans les pays de l’AES, les attaques terroristes se multiplient surtout depuis leur retrait de la CEDEAO et le départ des troupes françaises. La similitude de la recrudescence de la situation sécuritaire du Mali par rapport aux autres membres de l’AES a fait naître une pléthore de spéculations que certains ne manquent pas de lier aux choix diplomatiques de ces pays. Toujours dans le registre diplomatique, plus tôt en 2024, sans donner plus de détails, la Direction générale du renseignement ukrainien (GUR), affirmait avoir aidé les Touaregs du nord Mali dans une embuscade qui les opposait aux FAMa et les mercenaires du Groupe Wagner. Le cas échéant, le Sahel et les pays de l’AES seraient-ils le nouveau foyer de confrontation de la rivalité russo-ukrainienne ? En tout état de cause, les indépendantistes, à travers les drapeaux ukrainiens postés sur les réseaux sociaux, sont dans une logique de « guerre existentielle contre la Russie » alliée de l’État central malien. D’ailleurs, les pays de l’AES ont saisi le Conseil de Sécurité des Nations Unies pour dénoncer l’ingérence de l’Ukraine dans leurs affaires internes. De plus, il se dessine une remise en cause, par les observateurs, de la collaboration entre les FAMa et les forces paramilitaires russes dont l’efficacité reste discutable vu la recrudescence des attaques au Mali.