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L'Islam a toujours été un levier diplomatique dans le sens où il a été constamment présent sur la scène internationale comme facteur important dont les Etats et autres acteurs se sont servis de différentes manières. Les confréries comme les mouvements islamiques ont été au coeur des interactions entre les pays africains et le monde arabe par exemple. C'est le cas de la Tijaniyya dans les rapports avec le Maroc mais aussi d'autres confréries. Le mouridisme par son expansion à travers la diaspora sénégalaise en Europe et aux Etats-Unis en est même arrivé à une "institutionnalisation" progressive d'une diplomatie religieuse. Serigne Mourtada Mbacké qui sillonnait le monde afin de vulgariser les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba était même considéré comme "l'Ambassadeur du mouridisme". Des mouvements comme Hizbut Tarqiyyah sous l'égide de Serigne Atou Diagne ont une influence telle que les diplomates étrangers visitant Touba font de la visite de leur "daara" une étape incontournable. De même le leader du Dahira Mouqtafina, Serigne Moustapha Sy fils du défunt Khalife Al-Amine de Tivaouane, descendant de Cheikh El Hadji Malick Sy a été parmi les premiers acteurs religieux a prendre part au programme américain des Visiteurs internationaux (IVLP) mais aussi "Egide" son équivalent français.
La nouveauté est que les puissances occidentales se sont saisi de cet outil ou levier diplomatique qu'est l'islam pour en user pleinement dans un contexte sahélien plein d'incertitudes, tel que je le développe dans mon nouvel ouvrage : Contestations islamisées: le Sénégal, entre diplomatie d'influence et islam politique (Octobre 2018)
Il est vrai que depuis plusieurs années maintenant, au Sahel, les logiques d'influence religieuse sont venues mitiger les logiques de puissance traditionnelle, n'en déplaise à ceux qui pensaient que leur supériorité militaire leur garantirait une hégémonie.
Ce constat n'est pas véritablement nouveau. Bien avant l’intensification de la crise sahélienne, à partir de 2012, l’implication des monarchies pétrolières dans le financement des ONG islamiques avait déjà alerté sur l’expansion d’un islam radical et sur les risques induits. Depuis, l’influence de l’Arabie Saoudite et du Qatar ne s’est jamais démentie, même au plus fort de la crise malienne. N'a-t-il pas fallu l’intervention du Croissant rouge qatari pour que les convois humanitaires soient autorisés par les djihadistes à accéder à Tombouctou ?
Aujourd'hui, cette influence saoudienne sur les systèmes éducatifs des pays du Sahel, avec des bourses d’étude et l’implantation des universités de Saï au Niger et du Sahel à Bamako, nuit à la cohésion sociale. Craignant une radicalisation rampante, le Maroc propose son offre de formation des imams maliens, nigériens et tchadiens, promouvant un islam tolérant au Sahel. Alger, qui dispose de plusieurs cartes dans les affaires nord-maliennes, a eu tôt fait de riposter en mettant sur pied une « Ligue des Oulémas du Sahel » recrutant de Dakar à N'Djamena, en passant Nouakchott, Niamey et jusqu’au Nigéria. L'une ou l'autre de ces initiatives a-t-elle permis de contrer l'influence de Riyad ? Difficile à dire. Mais au Sénégal, dans la ville nouvelle de Diamniadio si chère au président Macky Sall, sept hectares de terrain viennent d’être octroyés pour la construction d'une université régionale sous influence saoudienne par l’entremise du mouvement wahhabite, Dârul Istiqâmah.
Au Sahel désormais, le facteur islamique est devenu un levier de politique étrangère et même les puissances occidentales ont fini par se « convertir » à la diplomatie religieuse. Paris l’a bien compris : en 2017, le président français Emmanuel Macron a « réhabilité » l’Arabie Saoudite sur le terrain sahélien en lui demandant son soutien financier pour le G5 Sahel (Riyad avait alors promis de contribuer à hauteur de 100 millions d'euros). La laïcité en bandoulière, les ambassades de France dans la région organisent désormais des cérémonies de rupture du jeûne du ramadan, pendant que le Quai d’Orsay offre des bourses de théologie aux étudiants accueillies dans les universités françaises.
L’Allemagne, qui a fini par sortir sa timidité sahélienne en déployant plus de 650 soldats sous la bannière de la Minusma, a fait venir des chefs religieux au Bundestag pour parler de paix et de stabilité dès 2013. A Dakar, la mediasphère commente encore cette photo de l’ambassadeur des Etats-Unis et de son « mouton de l’Aïd » à l’approche de la Tabaski. Quant au programme des Visiteurs internationaux du département d’Etat américain (IVLP), il s’ouvre de plus en plus aux responsables islamiques de la région, toutes tendances confondues. Même Israël, afin de contourner l’islamisation du conflit qui l'oppose à la Palestine et au monde arabe, approche des imams et marabouts de la région, et les invite à Jérusalem pour promouvoir le dialogue interreligeux et la paix.
Le cadre sahélien est ainsi marqué par les mutations d’un monde où circulent, sans frontières, des offres culturelles et spirituelles prenant leur revanche sur une sécularisation qui n’a pas affecté de la même manière les peuples du Sud et ceux du Nord. Les migrations et la volatilité des intérêts et des enjeux ont réussi à repositionner le religieux au centre des stratégies et des compétitions dans une région en crise où, en pleine angoisse existentielle, une jeunesse sans horizons est en quête de chance et sens. L’Occident est-il en train d’intégrer ce nouveau paradigme pour relativiser une modernité qui n’est pas forcément synonyme de sortie de la religion ?
Bakary Sambe, Directeur de Timbuktu Institute (Dakar)
Enseignant-Chercheur au Centre d'étude des religions ,Auteur de : Contestations islamisées: le Sénégal, entre diplomatie d'influence et islam politique (Octobre 2018)