L'Observatoire des radicalismes et conflits religieux (ORCRA) consacre un numéro Hors-Série à la situation sécuritaire du Nigeria sous Buhari. Il a été confié au chercheur Alioune Ndiaye, enseignant à l'Université de Sherbrooke, spécialiste du Nigeria et des questions de sécurité au Sahel de manière générale, chercheur invité au Timbuktu Institute. Alioune Ndiaye, va au-delà des identités et des idéologies, pour revisiter les multiples dynamiques de l'insécurité au Nigeria et analyser la stratégie du gouvernement de Buhari.
En effet, les multiples défis à la sécurité qui se posent au Nigeria ont presque fini de constituer l’identité remarquable du pays. La tendance à les lier à la question ethnique est aussi très forte chez les auteurs qui travaillent sur le pays, de sorte que, souvent, on en oublie les autres facteurs. Il est vrai que l’ethnicité constitue un facteur important aussi bien dans les causes, la mobilisation et les dynamiques de la violence politique au Nigeria, et ce, depuis les indépendances.
Pour comprendre l’insécurité qui découle de cette pratique répandue de la violence, il convient de concevoir celle-ci aussi bien comme étant le fruit de la stratégie de certains acteurs, que le produit des conditions sociopolitiques et économiques. En effet, la violence est un outil incontournable dans le système politique nigérian. Il peut s’agir, pour certains groupes ethniques, d’une « violence de représentation » qui leur permet d’exprimer leur défiance au projet fédéral et garder ainsi un avantage dans sa renégociation permanente. D’autre part, la violence peut aussi être un moyen d’accéder aux ressources dans une société inégalitaire où la redistribution n’est pas toujours garantie. La violence électorale est aussi à ranger dans cette catégorie de violence instrumentale, en ce sens qu’elle vient avec l’entretien des réseaux clientélistes et la mobilisation des identités ethnoreligieuses compléter la stratégie des acteurs politiques pour l’accès au pouvoir. Les politiciens locaux entretiennent ces réseaux de violence qui sont très importants en période électorale (Kendhammer, 2015).
En période non électorale, ils peuvent s’adonner à une violence d’extorsion souvent assurés d’une impunité en raison de leurs liens avec les dirigeants. Certains auteurs ont, sur ce plan, montré combien le développement de Boko Haram a été favorisé par les réseaux de violence entretenus par certains politiciens locaux (Alozieuwa, 2016; Abosede et al, 2016). En perspective des élections de 2013, les politiciens qui s'affrontaient dans les élections au poste de gouverneurs dans les États du Nord-Est sont largement accusés d'avoir fourni aux jeunes appartenant au mouvement Yusufiyya, entre autres dans le Borno, des armes sophistiquées, dans un dessein de manipuler les résultats en leur faveur.
Cela a constitué une des principales raisons du virage du mouvement pacifiste Yusufiyya vers la violente organisation qu’est Boko Haram. (Abosede et al, 2016). L’insécurité est aussi le produit de certaines conditions qui peuvent être à la fois d’ordre sociopolitique et économique. Dans le cas du Nigeria, la question des inégalités horizontales est un facteur primordial de la pratique de la violence politique et de l’insécurité qui en découle (Langer, Mustapha et Stewart, 2007). Les inégalités horizontales sont des inégalités entre les groupes qui sont perçues sous le prisme des identités sociales. Ces identités peuvent être construites sur une base ethnique, religieuse, raciale ou d'appartenance régionale (Cederman et al, 2011). L’importance des inégalités horizontales comme facteur de conflit s’explique par le 2 fait qu’elles rendent plus probables la mobilisation violente du groupe et les heurts ethniques. Elles viennent donc renforcer le sentiment collectif d’une mise à l’écart du groupe et générer, ainsi, la formulation de griefs qui constituent la base de la mobilisation contre l’État.
La persistance de l’irrédentisme igbo, ainsi que les contestations du projet fédéral qui ont cours dans la région du Delta s’expliquent par les perceptions des inégalités sous un prisme ethnique. Le narratif d’une ethnie marginalisée depuis la période coloniale, ayant subi les affres de la guerre civile et qui, jusque-là, n’a produit aucun président de la République constitue le terreau sur lequel poussent des entreprises de violence productrices d’insécurité. L’insurrection de Boko Haram dans le Nord-Est se nourrit aussi des inégalités horizontales qui font de cette région l’une des plus pauvres au Nigeria.
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