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Aujourd’hui, en Afrique de l’Ouest et, particulièrement, au Sahel, les pays se trouvent dans différentes situations sécuritaires qui relèvent soit de leurs spécificités internes ou de leur position géographique par rapport à l’épicentre de la menace transnationale la plus en vue : le terrorisme. Il serait difficile de les classifier selon un cadre politico-sécuritaire reflétant une réalité fixe et faisant sens. L’évolution de la situation sécuritaire, les aléas et l’imprévisibilité d’un phénomène multiforme et insaisissable ne facilite point une classification objective. Sans s’aventurer dans la fixation d’une grille constante d’analyse de la situation sécuritaire au Sahel, on pourrait, tout de même, concevoir une typologie mouvante allant des Etats qui sont déjà rudement frappés par le terrorisme (Mali, Nigéria) à ceux qui offrent encore la possibilité d’une approche préventive et prospective (Sénégal et pays côtiers). Selon la même typologie d’autres pays comme le Niger et le Tchad pourraient être parmi ceux qui sont sous haute pression sécuritaire. Dans cette configuration où l’impensable se produit tous les jours tellement certains pays se croyaient loin de l’épicentre du djihadisme, la prévision comme outil de gouvernance sécuritaire est même tombée dans le domaine de l’absurde avec Grand Bassam qui sonna comme un avertissement à l’Afrique côtière.
La coopération militaire a été l’une des premières trouvailles pour repousser l’assaut des djihadistes comme en témoigne l’opération Serval dès le début de la crise malienne. Mais, très vite, au rythme des attaques et de la propagation des zones de conflit, ce qui semblait être une solution temporaire s’inscrivit dans la durée sans qu’une communication adéquate accompagnât les actions et les initiatives. Il s’est alors installé un sentiment d’incompréhension pouvant aller jusqu’au rejet annihilant ainsi les efforts de la communauté internationale tout en posant de sérieux problèmes politiques internes aux les Etats qu’elle était sensée soutenir et renforcer. Ainsi, la lutte contre le terrorisme qui avait créé, pour un temps, une convergence de vues entre Etats sahéliens et partenaires internationaux commence à diviser et faire ressurgir de vieux démons tels que la suspicion d’ « impérialisme » et une vision négative des interventions militaires. Il se pose, aujourd’hui, un véritable débat au sein de la classe politique et de l’intelligentsia africaines qui se nourrit des contradictions et incohérences de tous bords. D’un côté, les puissances occidentales perdurent dans l’option du tout-militaire qui n’arrive pas à bout du terrorisme pendant que, de l’autre, les Etats africains s’interrogent à propos de la primauté instituée du sécuritaire sur le développement qui semble moins mobiliser. On parle de plus en plus d’une inversion de l’agenda africain face à une vision internationale « imposée » et orientée.
Cette contribution voudrait, à partir d’une analyse des perceptions croisées entre acteurs internationaux et locaux, revenir sur cette incompréhension qui rend peu lisible, aux yeux des populations, la coopération sécuritaire pourtant saluée par les pouvoirs publics de part et d’autre de la Méditerranée. De même, elle vise à analyser le « nouveau dilemme » sahélien entre impératifs de sécurité, gestion des urgences et nécessité d’un changement de paradigmes devant le relatif insuccès de l’option du tout-militaire.
Sahel : de la guerre des priorités à la concurrence des agendas
Les effets collatéraux d’une lutte contre le terrorisme qui s’annonce longue et sans issue ont, rudement frappé et affaibli les économies locales tout en affectant les équilibres sociopolitiques dans la région. Ainsi, la question resurgit du destin d’un continent et surtout de sa capacité à assurer sa propre sécurité. Au sein des élites politiques et intellectuelles, le vieux débat sur l’intégration économique et politique se pose au quotidien, à l’Afrique, sous la forme d’un dilemme : subir tel un maillon faible, les aléas et désidérata des échanges mondiaux et de la politique internationale qui la marginalisent et la dominent ou s’imposer en tant qu’ensemble géopolitique sensé et intégré avec son identité propre et ses priorités en bandoulière.
Dans la nouvelle géopolitique imposée par cette situation inattendue qui fait que la priorité du développement est supplantée par les impératifs de sécurité, les pays africains doivent, de plus en plus, faire face à de nouveaux défis tels que les impacts directs de l’extrémisme violent et du terrorisme ainsi que la propagation continue des zones de conflits. Pour comprendre comment la sécurité en tant que domaine prioritaire d’action est souvent vue comme un fardeau ralentissant la marche du continent vers le développement par une meilleure intégration des économies, il faudra prendre en compte les perceptions locales de la crise sahélienne qui, souvent, tranchent d’avec la vision et l’approche internationales.
En fait, au moment où les initiatives d’intégration et de construction de stratégies communautaires étaient en très bonne voie sur le continent, l’insécurité grandissante accentuée par le terrorisme a subitement durci les contrôles dus aux risques transnationaux avec un impact certain sur les échanges économiques et le développement du commerce. Devenues aujourd’hui le symbole de la criminalité et de la transnationalité des menaces, les zones frontalières ont toujours été celles d’une dense activité économique. A titre d’exemple, la menace Boko Haram a transformé le Bassin du Lac Tchad en zone d’instabilité de même qu’elle soulève la question des nécessaires stratégies interrégionales (MNJTF). Par le passé, Diffa, Bosso, Chétimari, Nguigmi, au Niger étaient économiquement liés à Garoua et Maroua au Cameroun ainsi qu’aux îles du Lac Tchad comme Mitérié où le Naira nigérian circulait plus que le franc CFA. Aujourd’hui, l’impératif de sécurité l’emporte largement sur la valorisation de ces zones d’échanges où l’activité économique est freinée par des fermetures de marchés et le bannissement de certaines exportations.
Mais, en réalité, cette question cruciale qui s’impose de plus en plus dans le débat inter-africain sur la crise sahélienne au sein même de l’intellgentsia n’est pas nouvelle. Au lendemain des applaudissements internationaux suite à l’opération Serval, certains comme le sénégalais Boubacar Boris Diop et l’ancienne ministre malienne de la culture parlaient déjà de « gloire des imposteurs » arguant que la lutte contre le terrorisme était devenu le nouvel artifice d’un soft-impérialisme revenu par la fenêtre du sécuritaire.
Au même moment, l’autocritique prend toute sa place dans le débat africain fortement secoué par la notion d’inversion des priorités et l’absence d’un agenda continental. Pour ceux qui continuent de penser que l’Afrique est en train de mener une guerre qui ne serait pas la sienne, en lieu et place des dispositifs régionaux de promotion des échanges, naissent et se multiplient d’autres initiatives à motivation purement sécuritaire reléguant l’économie et le développement au second plan. D’autres, optant pour la formule d’une sécurité africaine par les Africains, déplorent l’absence de cadres de coopération régionale pour harmoniser les politiques sécuritaires qui font parfois défaut malgré les initiatives de l’Union Africaine et les efforts du Conseil de paix et de Sécurité.
Dans les perceptions de cette dernière catégorie, la multiplication d’initiatives sous-régionales parcellaires comme le G5 Sahel auraient pour objectif non avoué d’affaiblir une entité communautaire comme la CEDEAO avec des agendas flous, du moins incompris. D’un autre côté, la redondance des stratégies et autres « plans » des partenaires internationaux sans coordination entre-elles, dispersent les efforts africains et freinent la mise en place de cadres endogènes à vocation continentale pour parachever l’architecture de paix et de sécurité du continent.
(A Suivre)