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Timbuktu Institute- Avril 2019
Avec les récents évènements au Mali et les risques d’extension du champ des conflits intercommunautaires vers le Burkina Faso et le Niger, notamment, dans la région de Tillabéry, il est urgent que la protection des populations soient renforcée surtout les couches les plus vulnérables y compris les femmes. Elles demeurent un maillon essentiel de l’activité sylvopastorale tout en étant injustement désavantagées dans le cadre de la gestion et de la distribution foncières. Si l’on sait que la plupart de ces conflits découlent, à l’origine, des velléités autour du contrôle des ressources (pâturages, terres agricoles, vol de bétail), il faudra forcément prendre en considération les risques qui pèsent sur les femmes, en même temps, exposées par leur intense activité et fragilisées par les systèmes de répartition notamment foncière.
Mais au-delà de « simples » victimes, les femmes, par leurs différentes formes de mobilisation, pourraient constituer un premier pilier important dans la recherche de solutions endogènes, notamment, en termes de dialogue intercommunautaire, de sensibilisation et de médiation.
Pour ce faire, faudrait-il d’abord que leur rôle soit reconnu et renforcé par les Etas mais aussi tous les autres acteurs intervenant dans la région au-delà des simples effets d’annonce et d’une approche genre parfois superficielle. En d’autres termes, la résolution 1325 et ses dispositions et recommandations essentielles doivent être urgemment suivies d’effet surtout avec la recrudescence des crises intercommunautaires qui commence à déborder du Mali.
Il est vrai qu’avec la complexité progressive de la situation sous régionale, un certain nombre d’initiatives (conférences internationales, tables rondes, opérations militaires, etc.) ont été prises aux plans régional et international. Dans cet ordre d’idées, ONUFEMMES, pleinement inscrite dans la dynamique impulsée par la Résolution 1325, via la déclaration de Bamako, a tenté d’alerter les décideurs et la communauté internationale pour plus d’actions. Mais celles-ci ont été jusqu’ici timides au regard du grand enjeu que représente l’autonomisation des femmes mais surtout leur implication dans les questions de paix et de sécurité. Le G5 Sahel a pu aussi donner plus d’importance à cet aspect avec, notamment, une experte dédiée aux questions de genre au niveau du Secrétariat permanent, à Nouakchott.
Mais, depuis ces dernières décennies, les foyers de tensions se multiplient en Afrique de l’Ouest y compris dans des pays où, jusqu’à une période relativement récente, on était loin d’imaginer qu’ils seraient un jour le théâtre de conflits, aujourd’hui, les plus inquiétants. L’exemple typique est le cas malien, territoire jadis paisible, mais dont le Nord est aujourd’hui pris d’assaut par des groupes armés se réclamant tantôt de la nébuleuse terroriste, tantôt de la mouvance irrédentiste[1]. Le mal septentrional a contaminé le Centre, notamment la région de Mopti où sévissent des tensions interethniques parfois meurtrières. Bien que le Mali en soit l’épicentre, ce type de conflits s’est déjà signalé au Burkina Faso dans le département de Dori (province du Séno, région du Sahel), dans le Soum et sur quelques points déjà chauds de l’Oudalan.
À ces conflits intercommunautaires sur fond de lutte contre le terrorisme, se greffent toujours d’autres velléités telles que celles opposant traditionnellement éleveurs et agriculteurs[2]. Il est à noter que dans ce type de conflit, la gestion du foncier qui lèse souvent les femmes malgré leur dynamisme dans les activités agropastorales, demeure l’épine dorsale d’une problématique complexe et sensible. Cette situation préoccupante a provoqué d’importants déplacements de populations, n’épargnant pas les femmes vers d’autres pays ou près de la capitale notamment à Sénou, a seulement quelques kilomètres du Centre-ville de la capitale, Bamako. Ce conflit malien persistant a fini par déborder sur la quasi-totalité de la bande sahélo-saharienne dans une situation de forte vulnérabilité.
Sortir du paradigme simpliste de la victimisation
On présente les femmes de manière générale, comme de « simples » victimes des conflits notamment communautaires mais aussi dans le cadre de la recrudescence d’actes terroristes. De ce fait, leur implication en tant qu’actrices soit comme parties prenantes ou médiatrices reste négligée et reléguée au second plan dans l’analyse des conflits.
Cette image de « victimes » qui a dominé les perceptions s’est encore plus ravivée en Avril 2014, lorsque 276 lycéennes nigérianes sont enlevées à Chibok par les éléments de Boko Haram déclenchant, ainsi, l’indignation de toute la communauté internationale. Malgré une riposte lancée par le Tchad, le Niger et le Cameroun pour affaiblir les djihadistes nigérians, ces exactions continuent d’alimenter l’actualité régionale.
Cette vague d’enlèvement de filles et de femmes se poursuit, encore aujourd’hui, d’une part pour contraindre certaines à se marier, de plus en plus entraînées à prendre part aux attaques armées. Mais au-delà de cette brutalité qui a pu être médiatisée au regard de l’ampleur et du caractère spectaculaire du phénomène, il y a une réalité encore plus complexe et un processus qu’il serait intéressant de revisiter.
On oublie souvent que durant les deux décennies écoulées, les femmes ont marqué les différentes étapes de la lutte contre l’extrémisme religieux avent que celui-ci ne devienne un enjeu politico-sécuritaire. Bien avant le Nigéria, sans attirer l’attention de la communauté internationale, le Mali aussi fut le théâtre d’un long débat parfois houleux entre les franges islamistes et les organisations féminines. Cette situation faisait suite au vote massif d’un nouveau code de la famille avec des mesures consolidantes en faveur du droit des femmes en 2009. Dans cette configuration, les femmes sont toujours considérées comme les premières victimes de l’extrémisme religieux. En même temps elles ont été à l’avant-garde des luttes contre ce phénomène de la radicalisation du discours et des attitudes religieux. Les hommes politiques ont imprudemment attendu que l’extrémisme devienne un enjeu sécuritaire pour s’en préoccuper.
Mais l’apparition du phénomène surprenant de femmes kamikazes lors des attentats au Nigeria et dans le bassin du Lac Tchad a remis à l’ordre du jour le rapport entre les femmes et processus de radicalisation violente. Il s’est alors lancé un débat loin d’être tranché et de plus en plus tranché sur l’identité des femmes kamikazes de Boko Haram dont le premier attentat suicide au nom du groupe djihadiste remonte au 8 juin 2014, dans l’Etat de Gombe, au Nigeria. Dans la foulée, il y a eu la multiplication des attaques menées par des kamikazes de sexe féminin depuis le 22 février 2015 : une fillette de 7 ans tue sept personnes en se faisant exploser dans la localité de Potiskum. Dans les jours qui suivent, une autre kamikaze femme actionna une ceinture explosive à la gare routière de Damaturu au Nigeria avec un bilan aussi lourd. Cette nouvelle donne soulève nombre d’interrogations sans réponses pour l’heure ; le phénomène étant nouveau et intervenu de manière inattendue dans l’espace sahélien. Cela pourrait être dû à une globalisation des modes opératoires des mouvements radicaux qui n’aurait pas épargné le Sahel et renverrait à une standardisation des attaques terroristes au-delà de la diversité des contextes socioculturels.
De « victimes » à détentrices de solutions : les initiatives féminines au service d’une approche endogène et inclusive
Etrangement, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et les initiatives de paix on omet souvent de signaler le rôle très important joué par les femmes notamment en termes de résilience communautaire comme lors de l’occupation djihadiste à Tombouctou et à Gao. La marche peu médiatisée des femmes et leur résistance ont, façonné, par la suite la résilience des populations suite à un choc inédit en termes de prise en charge et de réconciliation.
Du côté du Nigeria le rôle de leaders féminins comme une pasteur de Jos, capitale de l’Etat du plateau, qui organise des rencontres inter-religieuses dans un climat de grande méfiance. Elle arrive à fédérer autour de messages de paix et de conciliation malgré les velléités et la persistance d’une croyance en un pays contrasté comme le Nigeria notamment entre certains Etats du Nord et du Sud. Rappelons que dans cet Etat, les heurs inter-communautaires entre agriculteurs et bergers Fulani causent des tueries loin d’être motivées par une quelconque idéologie mais provoquées par des divergences de même nature que dans le Macina, en région du Centre malien.
Une récente étude de l’OIM établit un lien potentiel entre ces faits combinés et une possible influence des groupes extrémistes sur le bassin du Lac Tchad au regard de la proximité géographique, des échanges commerciaux, des liens linguistiques avec le Nigéria. D’ailleurs, une des couches sociales considérées parmi les plus vulnérables, en l’occurrence les femmes, a subi très tôt les exactions des groupes extrémistes parfois violents. Rappelons qu’en 1993, le siège de l’Association des femmes du Niger sise à Zinder a été incendié par des assaillants islamistes sous prétexte de défendre les « valeurs de l’islam » et purifier les « pratiques et mœurs »[3]. Aussi, il a été constaté lors d’une récente étude sur la violence des jeunes dans la ville de Zinder et la menace terroriste, que la quasi-totalité des femmes interrogées au niveau des ménages identifiées refusaient purement et simplement de s’exprimer en l’absence du chef de famille[4]. Ceci pose un vrai problème d’expression des femmes dans l’espace public et donc d’autonomisation en vue d’un meilleur exercice de leurs droits malgré leurs capacités souvent démontrées de trouver des consensus même dans des zones propices à nombres de conflictualités.
Au Tchad, pays développant une certaine résilience malgré la pression sécuritaire, se développe aujourd’hui une rare expérience de résiliences communautaires s’appuyant sur l’apport inestimable des femmes. Très actives dans le cadre de la plateforme interconfessionnelle dans un pays à composition religieuse assez diverse, les femmes prédicatrices (preeching women), aux côtés des autres leaders religieux, arrivent à développer de nombreuses initiatives surtout dans la province du Lac Tchad considéré comme un continuum naturel de la crise sécuritaire qui frappe le Nord du Nigeria.
Dans la même logique, les caravanes de sensibilisation dans la province du Kompienga (Région Est) au Burkina Faso, sont l’œuvre de femmes actives dans la consolidation de la paix et la prévention des conflits, arrivant encore à maintenir un lien social indispensable pour la médiation et la résolution des conflits.
Malgré la crise multidimensionnelle qui perdue dans ce pays, plus d’une trentaine de femmes leaders maliennes se sont auto-organisées en comptant sur leur capacité de plaidoyer autour d’un groupe informel dénommé « femmes et consolidation de la paix ». Elles mènent aujourd’hui une réelle réflexion concertée sur la partition des femmes dans la recherche de solution aux conflits inter-communautaires et la réconciliation nationale à un moment où les hommes politiques sont constamment rattrapés par leurs contradictions et leur difficulté à créer des synergies au-delà des logiques partisanes dans un pays faisant face à une multiplication des foyers de tension.
C’est à ce niveau, d’une implication citoyenne des femmes libérée des pressions et contraintes socioreligieuses, que la Déclaration de Bamako suite à l’importante réunion d’ONUFEMMES dans la capitale malienne mériterait d’être opérationnalisée comme y a appelé Yague Samb[5], en charge de la résolution des conflits à Timbuktu Institute. A cet effet, cet institut qui travaille beaucoup sur la construction des résiliences communautaires par le dialogue inclusif, avait soutenu et apprécié positivement les recommandations de cette déclaration notamment :
– La mise en place au niveau national et régional des cadres de concertation entre les organisations des femmes et les organisations religieuses
– L’intégration de modules relatifs à la radicalisation et l’extrémisme violent dans les programmes scolaires et universitaires.
Dans le cadre de son Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA) et des activités qu’il mène à travers son Programme « Educating for Peace » au sein des établissements scolaires (Mothers for Peace), Timbuktu Institute participe activement à « la sensibilisation, des femmes, des jeunes, des leaders d’opinion (religieux et chefs coutumiers), la communauté et les médias sur les effets et les conséquences de l’extrémisme violent », conformément à la recommandation numéro 5 de la déclaration de Bamako portée par un bel esprit auquel il urge de donner corps.
Un véritable travail de recherche approfondie s’impose pour mieux documenter cette implication non négligeable des femmes dans la prévention et résolution des conflits à un moment où la complexité des crises notamment intercommunautaires exige une approche donnant plus de place aux stratégies endogènes et non forcément militaires ou sécuritaires.
Par Dr. Bakary Sambe