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Par Fatima Lahnait – Senior Associate
Fellow Timbuktu Institute
Cet article de Fatima Lahnait, Senior Associate Fellow du Timbuktu Institute, est au cœur de la problématique du linkage et de l’interdépendance des économies autour d’un destin collectif devant amener à mieux penser les formes et le sens de la coopération. Elle revient dans ce papier sur l’analyse d’une situation géopolitique et économique inédite due à la pandémie affectant en même temps l’Europe et l’Afrique. Dans une démarche alliant le souci du factuel et profondeur des interrogations socioéconomiques liées à une conjoncture internationale aggravant les difficultés internes, Fatima Lahnait ouvre une voie pour une recherche plus ciblée sur cette problématique d’un grand intérêt aussi bien pour les dirigeants africains et leurs partenaires internationaux.
Surnommée par certains la ‘maladie des riches’, car ‘importée’ par des étrangers et/oupar les ressortissants qui ont voyagé ou qui vivent dans des zones dites ‘à risque’ (Europe ou Asie), le Covid-19 est la première crise sanitaire véritablement mondiale. Elle affecte le continent africain depuis février 2020.
I –Faire face à une situation inédite
La pandémie se propage dans un contexte économique mondial bouleversé par l’effondrement des cours du pétrole, la perturbation des échanges commerciaux et des flux financiers.
Elle va avoir des répercussions importantes sur les économies du continent en raison de son impact sur le commerce mondial. Selon les estimations de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED), la croissance du produit intérieur brut (PIB) de l’Afrique en 2020 pourrait passer de 3,2% à 1,8%, voire moins si la situation s’aggravait davantage[1].
Les faibles moyens de dépistage et de protection dont disposent les pays africains, à l’instar il faut bien le dire, des pays occidentaux, ne permettent pas d’avoir des estimations probantes du nombre de personnes infectées, mais le nombre de cas confirmés augmente.
Les Etats africains se sont adaptés en fonction des contextes locaux. Ils ont progressivement pris des mesures plus ou moins drastiques pour freinerla propagation du virus, n’hésitant pas suspendre les vols internationaux, malgré l’importance du tourisme pour les économies locales, et à restreindre la circulation. Il est cependant difficile de fermer de manière étanche les frontières terrestres.
La fermeture des écoles et des commerces non essentiels et l’interdiction des événements sportifs, religieux (alors même que de nombreux croyants s’en remettent ‘à la grâce de Dieu’ pour être protégés), politiques, mariages, funérailles ont progressivement été instaurées.
Qu’il soit volontaire ou imposé, partiel ou total le confinement fait dorénavant partie du quotidien sur le continent. Il est pourtant difficile de généraliser des confinements, notamment dans les quartiers populaires densément peuplés, au risque de provoquer la panique des populations qui craignent pour leur subsistance au quotidien. Le Covid19 exacerbe en effet les disparités économiques et paralyse le secteur vital de l’économie informelle, parfois seule activité génératrice de revenus dans les foyers.
Selon les chiffres publiés par l’Organisation Internationale du Travail, en 2018, le taux d’emploi informel s’élève, sur le continent, à près de 85,80%[2]. Comment dès lors atténuer les conséquences économiques et sociales de la pandémie auprès des plus vulnérables ?Quelles ressources mobiliser pour soutenir les travailleurs du secteur informel ? Si l’intervention des Etats est indispensable, la coopération et la solidarité internationale s’impose également.
II - L’Afrique peut compter sur ses diasporas.
Les diasporas sont des acteurs majeurs du développement économique de leurs pays d’accueil et d’origine et des soutiens sans faille à leurs familles et communautés. Les transferts de fonds effectués par la diaspora vers leurs pays d’origine entretiennent la perception de ‘réussite’ de ses membres aux yeux de ceux qui sont restés dans leurs pays d’origine et alimentent les mouvements migratoires.
Malgré un contexte difficile et une certaine morosité dans les pays d’accueil, les membres des diasporas ne dérogent pas aux règles de générosité et de partage qui prévalent sur le continent. La solidarité avec les pays d’origine est de rigueur.
[1]https://news.un.org/fr/story/2020/03/1065072
[2]https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_627201/lang--fr/index.htm
Les transferts monétaires sont affectés au soutien familial, pour compléter des revenus faibles et/ou irréguliers, à des investissements personnels et des opportunités de placement, et servent aussi souvent à pallier les carences de l’investissement public dans les pays d’origine (domaines de l’eau, de l’électricité, de l’éducation, la santé). La concurrence dans le secteur a fait légèrement baisser le coût des transferts, mais ceux-ci restent élevés, aggravés encore par les taux de change appliqués.
En moyenne, le coût d’un transfert représente environ 6% de la somme envoyée, soit près du double de l’objectif de développement durable (ODD 10.c) de 3 %, fixé par les Nations Unies, à atteindre d’ici 2030.
III - Les transferts d’argent : pierre angulaire de l’économie de nombreux pays
Ces transferts, en hausse, contribuent au développement économique et social du continent. Ils se révèlent cruciaux en cette période de crise sanitaire, tout en étant cependant peu organisés et sous-productifs.
Les transferts vers l’Afrique sub-saharienne étaient estimés à environ 49 milliards de dollars pour 2019, avec une prévision de 51 milliards de dollars pour 2020. La zone Moyen Orient Afrique du Nord cumulant 59 milliards de dollars pour 2019, avec une prévision de 61 milliards pour 2020, cela sans inclure les transferts informels.
En 2018, l’Egypte, avec 28,9 milliards de dollars, et le Nigéria avec 24,3 milliards de dollars, ont été les pays du continent ayant reçu le plus de transferts.
Ces transferts constituent une manne financière indispensable pour de nombreux pays et représentent souvent la 1ère source de devises étrangères. D’autant plus importante qu’actuellement les investissements directs étrangers et les activités touristiques sont quasiment interrompus. Ce qui implique de s’interroger sur leur continuité.
Certes, pendant le confinement, les revenus d’une partie de ces diasporas continuent d’être assurés, soit parce qu’ils travaillent dans des secteurs dont la poursuite de l’activité est indispensable, soit parce les pays où elles se trouvent ont pris des mesures garantissant leurs revenus (chômage partiel, aides financières aux indépendants…). Ce qui leur permet de poursuivre leur soutien financier vers leurs pays d’origine.
Mais cela concerne essentiellement les revenus salariaux. Or nombre des membres des diasporas travaillent sans statut officiel et/ou légal, soit pour compléter leurs revenus, soit parce qu’ils se trouvent en situation irrégulière, soit encore parce qu’ils vivent dans des pays sans protection sociale spécifique à cette crise sanitaire.
Il est donc à craindre que dans ce contexte, le montant ou la régularité des transferts d’argent ne viennent à chuter, ce qui ne pourra qu’ajouter une pression supplémentaire sur les fragiles économies des Etats africains.