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Une quarantaine de pays africains parmi les plus pauvres au monde vont bénéficier d’une suspension de leur dette pendant 12 mois, une mesure d’urgence décidée par le G20 pour aider des économies déjà vulnérables pétrifiées par le ralentissement mondial lié au coronavirus.
A leur indépendance, dans les années 1960, plusieurs pays africains ont hérité de dettes issues de la colonisation et se sont également endettés auprès de la communauté internationale pour bâtir leurs nouveaux Etats.
« C’était très abordable car les taux d’intérêt étaient proches de zéro. Mais le drame c’est que les Etats africains se sont endettés à des taux d’intérêt variables », explique l’économiste togolais Kako Nubukpo.
Or, à la fin des années 1970, après les chocs pétroliers, les taux montent en flèche.
« Les pays africains se sont retrouvés à rembourser à des taux très élevés une dette qu’ils avaient contractée à des taux très faibles. Le côté insoutenable de la dette africaine est né à ce moment-là », décrypte Nubukpo.
C’est à cette période que les politiques d’ajustement structurel voient le jour avec des prêts de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international en échange de réformes pour libéraliser l’économie.
Un troisième vague d’endettement intervient dans les années 2000 avec l’arrivée de la Chine, qui devient rapidement le premier créancier du continent.
« C’est un cycle où nous sommes sortis du colonialisme pour tout de suite entrer sous le joug de l’endettement », déplore pour l’AFP le philosophe camerounais Achille Mbembe.
Mercredi, plusieurs créanciers publics, ont accepté la suspension pour douze mois de la dette des pays les plus pauvres, dont font partie 40 Etats africains.
Un report, à défaut d’une annulation, qui ne devrait représenter qu’une petite partie de l’endettement total du continent estimé à 365 milliards de dollars, dont environ un tiers est dû à la seule Chine.
« Contrairement à ce que l’on a connu dans les années 80 où ce n’était que de l’endettement auprès d’Etats souverains, la dette africaine est aussi détenue désormais par des investisseurs privés, comme des fonds d’investissement », pointe Nubukpo.
Car outre les prêts accordés, souvent à des taux très bas, par certains Etats ou organisations internationales, les pays africains ont émis de la dette sur les marchés financiers internationaux.
« Le fait d’annoncer un moratoire sur la dette et a fortiori une annulation de la dette ne semble pas aussi simple qu’il y a 20 ou 30 ans », craint à ce titre Kako Nubukpo.
Plusieurs pays africains ont connu des allègements de dette ces dernières années, au titre de l’initiative de la Banque mondiale et du FMI en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE).
Mais le cercle vertueux escompté ne s’est pas enclenché: le Congo-Brazzaville par exemple, dont la dette a été divisée par trois en 2005, est à nouveau endetté à plus de 100% de son PIB.
« Il ne faut pas perdre de vue la question de la malgouvernance et de la corruption qui gangrènent certains régimes sur le continent. On parle d’un cycle infernal de l’endettement pour le financement d’un développement qui n’est toujours pas là », explique Bakary Sambé, directeur du Timbuktu Institute basé à Dakar.
Un avis partagé par Kako Nubukpo qui rappelle également que « beaucoup d’économies africaines exportent des matières premières sans les transformer et se privent donc des possibilités de création de valeurs, d’emplois, de revenus et d’impôts », poursuit-il.
Achille Mbembe pointe, lui, « le système de la dette ».
« On vous enlève une petite partie de la dette et en échange on vous rajoute un autre prêt. Cela créé un cercle infernal », critique t-il.
« La Chine a mis en place une économie de captation avec des dettes pratiquement irremboursables pour, en échange, mettre la main sur un ensemble de ressources naturelles rares », explique Mbembe.
« Nous devons instaurer un moratoire immédiat sur le paiement de toutes les dettes bilatérales et multilatérales (…). Nous demandons aussi à tous les partenaires du développement de l’Afrique d’allouer leurs budgets », ont demandé des chefs d’Etat et de gouvernement africains mais aussi européens comme Emmanuel Macron ou Angela Merkel dans une tribune au Financial Times.
« Il faut annuler une bonne fois pour toutes le paiement des intérêts sur la dette dont les montants dépassent souvent de loin l’emprunt originel », plaide Achille Mbembe.
Le philosophe préconise aussi des conditions draconiennes aux nouveaux emprunts, en les soumettant aux « délibérations démocratiques » directement des populations concernées.
« Il est criminel que les générations d’aujourd’hui, au lieu de laisser un patrimoine aux générations futures, leur laissent des dettes irremboursables », conclut-il.
Source: https://www.h24info.ma/