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Par Wilfrid AHOUANSOU*
L’acte fondamental n°001/CNSP du 24 aout 2020 publié au Journal officiel, constitue sans aucun doute le véritable entracte de la crise politique au Mali, née à l’issue de la démission volontaire ou contrainte de l’ancien Président Ibrahim Boubacar Keita (IBK). Sans avoir besoin de le qualifier ainsi dans son intitulé, les membres du CNSP posent un geste fondamental, qui donne le ton sur ce que sera la suite de la transition politique.
Cet acte fondamental n’est pas pour autant commun dans les processus de transition démocratique, à l’issue d’un événement majeur : coup d’Etat, révolution populaire, conflit armé, etc. Il est inédit parce qu’il ne rentre pas aisément dans le prisme des instruments juridiques habituellement observés et qui encadre un processus de transition.
Un objet juridique difficile à identifier ?
Les processus de transition démocratique observables sur le continent africain sont pour l’essentiel gouvernés par un acte juridique fort, dont l’objectif est, soit de rassembler les différents acteurs dans une logique de consensualisme, soit de créer les bases pour la définition du futur contrat social au niveau national. Le but final de ce texte qui met en berne la constitution précédente, est quand même de créer les conditions pour un retour à l’ordre constitutionnel. C’est pour cela que la constitution est considérée comme la loi fondamentale, puisque même lorsqu’elle est mise en mal à un moment donné de l’histoire politique d’un pays, le choix ou la qualité du régime démocratique visé, justifie que l’on veuille y faire participer une grande représentation des courants politiques, idéologiques et sociales de la nation. On distingue ainsi dans ces périodes, les chartes de la transition, petites constitutions, constitutions transitoires, etc.
Les rapports entre ces normes ad’hoc et la constitution peuvent être conflictuels, au point où le Professeur Frédéric Joël AÏVO évoque un triomphe du conventionnalisme constitutionnel, pour désigner l’idée que la recherche d’un accord politique de règlement de la crise amène à mettre sous le boisseau, la constitution précédente.
Après la compétition entre la constitution et l’accord politique de transition, survient à nouveau l’ordre constitutionnel marquée par l’adoption d’une nouvelle constitution ou l’intégration des dispositions de la charte transitoire dans un processus de révision de la constitution précédente. Le Professeur Paterne MAMBO parle alors de cohabitation pacifique entre les deux types de normes, qui vise in fine à enrichir le processus démocratique et à consacrer l’hégémonie constitutionnelle.
Ces bases et échanges entre normes juridiques fondamentales sont communs aux différents processus de transition identifiés par le Professeur Mahaman Tidjani ALOU comme des moments où des acteurs politiques essaient de tirer le drap de leurs côtés en participant au mécanisme de négociation de la norme fondamentale, afin de garantir pour eux-mêmes, des conditions propices d’accession au pouvoir suprême.
C’est le but de la démocratie et l’essence même du consensualisme que les intérêts individuels des uns et des autres soient confrontés à l’intérêt général afin que se dégage un terrain commun d’entente.
Sur ces prolégomènes, peut-on identifier la place à accorder à l’acte fondamental n°001/CNSP du 24 aout 2020 ?
Il est rédigé comme son nom l’indique comme un instrument à portée générale pour gouverner la période au cours de laquelle le CSNP assumera les plus hautes fonctions de l’Etat. D’ailleurs le Président de cet organe auto-formé s’y déclare Chef de l’Etat. L’article 33 de l’acte indique qu’il « incarne l’unité nationale. Il est garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respect des traités et accords internationaux auxquels le Mali est partie. Il veille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi qu’à la continuité de l’Etat ».
Il faut noter que l’acte fondamental du 24 aout 2020 fait référence dans son préambule à la Constitution du Mali du 25 février 1992, qu’il considère donc comme étant toujours en vigueur. Il indique également toujours dans ce préambule, la position déjà défendue par le CNSP, qu’il n’y aurait pas eu de coup d’Etat, et que ce seraient les soulèvements populaires du 18 aout 2020, qui auraient mené à la démission du Président IBK. D’autres considérants de ce préambule évoquent l’attachement aux principes démocratiques de la Charte africaine de la Démocratie, des élections et de la Gouvernance du 30 janvier 2007 et du Protocole A/SP1/1201 du 21 décembre 2001 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance.
Ces références à des textes fondateurs prônant le respect des normes démocratiques et l’existence des titres I (portant sur les droits et devoirs de la personne humaine) et II (portant sur l’Etat et la souveraineté) n’enlèvent toutefois rien au caractère antinomique du but visé par l’action du CNSP, qui serait la consolidation de la démocratie.
En effet, apparaît comme un cheveu sur la soupe dans le préambule de l’acte fondamental du 24 aout 2020, la déclaration de constitution du CNSP du 19 aout 2020. Le titre III de l’acte traite également du CNSP sans s’étendre sur la qualité de ses membres et leurs attributions à part celles du Président, qui est remplacé en cas d’empêchement par un Vice-Président, suivant l’ordre de préséance déterminé par le même Comité.
L’acte fondamental n’est pas très disert sur les objectifs poursuivis par le CNSP, à part « la nécessité de fixer l’organisation provisoire des pouvoirs publics et de jeter les bases d’un Etat de droit respectueux de l’ensemble des droits et libertés de l’Homme et du Citoyen malien » et « l’urgence de doter le Mali d’organes de transition pour la conduite des affaires publiques ».
Pourtant, comme présenté plus haut, la suspension de l’ordre constitutionnel par l’ouverture de la période transitoire en raison de la démission du Président IBK dans les circonstances désormais connues, n’empêche pas un certain encadrement de la gestion de ce temps par des règles.
Des références opportunes aux textes régionaux ?
Les références aux textes régionaux sont fort à-propos en effet, notamment la Déclaration sur le cadre pour une réaction de l’OUA face aux changements anticonstitutionnels de gouvernement, héritée par l’Union Africaine (UA) et pris en considération par la CEDEAO dans son Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance. Si son omission par le CNSP peut se justifier par le fait qu’il se défend d’avoir effectué un coup d’Etat, le texte de la CEDEAO référencé est tout de même en porte-à-faux par rapport à certaines dispositions de l’acte fondamental.
Son article 1er indique l’interdiction de tout changement anticonstitutionnel de gouvernement, de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir. De même, il poursuit en stipulant que « l’armée est apolitique et soumise à l’autorité politique régulièrement établie ; tout militaire en activité ne peut prétendre à un mandat politique électif ».
Même en arguant du fait que le Président IBK aurait démissionné par le fait de l’action populaire, le fait pour le Président du CNSP de se proclamer Chef de l’Etat, qui est un mandat électif, est en contradiction avec les textes de l’institution régionale. A fortiori, le signataire de l’acte fondamental est toujours un militaire en activité, le Colonel Assimi GOITA, Président du CNSP, ce qui d’emblée l’exclurait selon la CEDEAO à prétendre occuper cette fonction.
Au demeurant, le porte-parole du CNSP insistesur le fait que les conditions de la transition politique au Mali seront déterminés par les maliens. A moins de résumer les membres du CNSP, dont le nombre n’est pas défini par l’acte fondamental, au peuple malien, il est difficile d’appréhender l’idée que ce texte puisse constituer un instrument à vocation constitutionnelle, comme le prétend son titre VIII qui traite des dispositions finales.
Tout ou presque tout fait penser le contraire, notamment le manque de consensualisme dans l’adoption du texte, sa portée trop générale alors qu’il n’y a aucune mention de la durée de l’exercice du pouvoir par le CNSP (dont le Président se donne entre autres le droit d’accréditer des diplomates maliens et de recevoir les accréditations des diplomates étrangers), ou encore sa nature contradictoire avec des textes régionaux.
Au regard de ce qui précède, on peut dire que l’acte fondamental du 24 aout 2020 est un objet juridique non identifiable, d’abord en raison de la nature non constitutionnelle de son auteur, le CNSP n’étant prévu nul part parmi les institutions de la République pouvant prendre un texte à publier au Journal officiel. Il est également difficile d’inscrire cet acte dans la nomenclature générale des normes juridiques internes à un pays. Il n’est ni un décret, ni une loi constitutionnelle, même si le sens voulu par le CNSP est qu’il se substitue à certaines dispositions de la Constitution de 1992. Au demeurant, on peut le qualifier sans plus d’acte unilatéral, qui engage le CNSP dans la mission qu’il s’est lui-même confié au sommet de l’Etat malien.
Le CNSP, qui se réclame une certaine légitimité parce que soutenu par une partie du peuple malien, ne rêve-t-il pas trop de pouvoir comme l’accusent déjà certains de ses détracteurs ?
L’absence de référence dans cet acte fondamental à l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali signé à Alger en 2015 ne contribue-t-elle pas à consacrer déjà une exclusion d’une frange de la population malienne représentée par certains signataires de ce précédent texte ?
Ce sont autant de questions pour lesquelles, il faut espérer une réponse dans les rebondissements futurs de la crise malienne de 2020.
Wilfrid AHOUANSOU* est Docteur en droit public de l’Université d’Abomey-Calavi