Sahel : les civils, victimes collatérales de la lutte contre le terrorisme Spécial

Les données fiables sur le nombre de victimes dans la zone des trois frontières (Mali, Burkina Faso, Niger) restent difficiles à trouver. Cependant, on peut noter qu’entre 2019 et 2020, des centaines de personnes ont été tuées et des milliers de déplacés forcés. Selon le rapport de la Minusma, mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, durant les trois derniers mois de 2020, 182 civils ont été tués, 175 blessés et 149 enlèvements au Mali et durant le trimestre précédent, 375 civils sont décédés, 450 blessés et 49 enlèvements. Enfin, les données du site ACLED rapportent non seulement que l’année 2020 a été la plus meurtrière depuis le début des conflits au Sahel avec 2400 victimes au Burkina Faso, au Mali et au Niger, mais aussi que les violences des combats auraient causé le déplacement forcé de 2 millions de personnes surtout au Burkina Faso. 

Mais le constat fait et qui est scandaleux selon certains observateurs, est que pour l’année 2020, la majorité des civils et suspects non armés ont été tués par les forces de sécurité. Les organisations de la société civile au Sahel et les représentants de la FIDH affirment que ce soit au Burkina Faso, au Mali et au Niger, « des soldats sèment la terreur et commettent des tueries dans des villages sous couvert d'opérations antiterroristes ». Les violences djihadistes mêlées à des conflits intercommunautaires font des dégâts collatéraux chez les populations.

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Lors de la préparation du sommet du G5 Sahel de N’Djamena 2021, le président français Emmanuel Macron s’était félicité des succès obtenus avec la force Barkhane en ces termes « les résultats sont là ». La stratégie de la France et des pays du G5 d’intensifier les opérations militaires contre les terroristes ont eu des conséquences sur les civils. D’où la question : les forces de défense et de sécurité sont-elles une menace pour les populations du Sahel ?

Après le constat fait des violences perpétrées par les groupes djihadistes et les groupes d’autodéfense dans la partie dite des « trois frontières », les forces de défense et de sécurité, dans leurs opérations militaires et la traque des présumés suspects, ont commis des violences causant la mort de centaines de civils selon plusieurs organisations de défense des droits de l’homme. La division des droits de l’homme de la MINUSMA dans une note trimestrielle en 2020, a relevé une « multiplication des exécutions extrajudiciaires (101 victimes) » qui sont « imputables » à l’armée malienne. En outre, « 32 cas de disparitions forcées », « 32 cas de torture ou traitement cruel inhumain ou dégradant », ainsi que « 115 arrestations arbitraires », tous « imputables » aux forces de sécurité maliennes, ont été recensés par l’ONU. Toujours selon la MINUSMA, les forces armées nigériennes sont accusées d’avoir commis une trentaine d’exécutions extrajudiciaires sur le territoire malien en début 2020. Face à ces accusations souvent documentées, les autorités du Niger, du Mali et du Burkina Faso ont décidé de diligenter des enquêtes. Les ministres de la défense ont demandé l’ouverture d’enquêtes judiciaires pour faire la lumière sur ces accusations et situer les responsabilités de part et d’autre. Ceci est une condition essentielle pour le rétablissement de la confiance entre les populations et ceux qui les dirigent et amener la stabilité dans la région.

Au cas contraire, ces graves agissements de certaines forces de défense et de sécurité risquent de jeter le discrédit sur l’ensemble des forces militaires présentes au Sahel, remettant en cause leur légitimité. Aussi, cela pourrait amener une défiance chez les populations vis-à-vis des autorités, en ce sens que les crimes restés impunis peuvent attiser les tensions entre communautés, alimenter davantage le cycle de la violence et favoriser le recrutement des groupes armés qui exploitent les frustrations.  Lors du sommet de N’Djamena en 2021, les États du G5 Sahel ont réaffirmé la nécessité de placer la protection des populations civiles, les droits humains et la lutte contre l’impunité au cœur d’une stratégie renouvelée pour le Sahel.