Sahel : Terrorisme et stabilité à l'épreuve de la Realpolitik et du multilatéralisme dérégulé Spécial

(Extrait de La Tribune*)

L'annonce de la mort du chef de l'Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) a fait la Une des chaînes d'information en continu dans l'Hexagone. « C'est un moment de jubilation temporaire, car les réalités vont vite nous rattraper », tempère Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies et coordonnateur de l'Observatoire de radicalismes et conflits religieux en Afrique. « La mort de Ben Laden n'a pas fait miraculeusement disparaître Al-Qaïda. Ben Laden était un symbole et lorsqu'il est mort, Al-Qaïda lui a survécu. Considéré comme un martyr, il a fait de nouveaux émules. Dans la lutte contre le terrorisme, viser l'élimination des cibles ne suffit pas, car cela ne fait pas disparaître les causes structurelles du problème qui poussent des centaines, voire des milliers de jeunes gens dans la région de Liptako-Gourma vers l'EIGS ».

Franc succès militaire ou effet d'annonce ? Le timing de cette victoire militaire dans le Sahel interroge, à 48 heures des révélations de Reuters« La concomitance avec les tergiversations relatives à la présence supposée de milices étrangères vers le Mali est troublante », observe Bakary Sambe. « Depuis l'annonce précipitée du départ de Barkhane et du dispositif français, il y a eu un flou dans la communication sur le jihadisme de la part d'Emmanuel Macron lui-même qui donne aujourd'hui l'impression d'une volonté de reprise en main de la situation sahélienne », poursuit-il. La reprise en main de l'Hexagone doit néanmoins supporter la concurrence des nouveaux acteurs, et face au retour du multilatéralisme et à la redistribution des cartes géostratégiques, l'heure est à la realpolitik.

« Le multilatéralisme dérégulé a conduit à une forme de pragmatisme diplomatique », explique le directeur du Timbuktu Institute. « Depuis des années, les pays occidentaux semblent impuissants face aux coups d'Etat et n'invalident plus aucune élection présidentielle contestée. Dans les années 1980 ou 1990, lorsqu'un régime enfreignait les règles du droit et la constitution, les sanctions du FMI ou de la Banque mondiale tombaient immédiatement. Aujourd'hui, l'arrivée de nouvelles puissances comme la Chine, la Russie ou le Qatar, moins regardantes sur les questions des droits de l'homme et sur l'Etat de droit, avec des capacités financières considérables, représente une alternative de choix pour les régimes autoritaires, mais elle peut aussi devenir une menace pour la démocratie », prévient l'expert en géopolitique.