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Source : Le quotidien l’Indépendant (Mali)
Les fake news, fausses nouvelles ou informations non vérifiées distillées sur les réseaux sociaux, le poids des influenceurs sur l’opinion publique, la course au scoop et au buzz, autant d’éléments aggravant les effets incontrôlés de la démocratisation de la diffusion et de l’accès à l’information à l’heure du numérique. Les pays du Sahel qui, en plus, d’absence de cadres normatifs ou de régulation, font face à ce flux d’informations et à sa manipulation par divers acteurs. Tout cela dans un contexte d’incertitudes et de tensions politiques internes, de menaces sécuritaires mais aussi d’escalades sur le plan diplomatique. Récemment, de fausses informations ont failli déclencher des émeutes au Mali et dans d’autres pays de la région sur fonds de lutte contre le terrorisme et de contestation des présences militaires étrangères. Dans ce contexte lourd de menaces pour la sécurité, la stabilité et même le peu d’acquis démocratiques, le Directeur régional de Timbuktu Institute, un think tank régional basé à Bamako, Dakar et Niamey, nous accorde cet entretien. Son organisation vient de mettre en place un Observatoire des Réseaux sociaux au Sahel et compte lancer une vaste initiative de formation des journalistes et des médias en ligne contre ce fléau
Dr. Sambe dans une étude récente que vous aviez dirigée dans 7 pays du Sahel et du Bassin du Lac Tchad, vous attiriez déjà l’attention sur ce phénomène. Pouvez-vous revenir sur le contexte ?
Cette étude de perception menée par Timbuktu Institute a été une première au niveau mondial qui a permis un focus sur le Sahel en interrogeant selon la méthode CAP (Connaissances, Attitudes et pratiques) plus de 4000 Sahéliens simultanément dans 7 pays (Mali, Niger, Burkina Faso, Mauritanie, Cameroun, Sénégal, Tchad). L’étude qui a permis de mesurer les perceptions des Sahéliens avec une focalisation sur la dimension désinformation et de l’instrumentalisation de l’opinion publique à travers divers media et supports y compris numériques. Se déroulant dans un contexte de grave crise sanitaire doublée d’une angoisse socioéconomique, l’enquête s’est appuyée sur les moyens technologiques de collecte et de traitement de données sur une plateforme entièrement conçue par des ingénieurs africains tout en faisant une large place aux approches qualitatives pour capter les spécificités endogènes au-delà des seules statistiques.
Quelles ont été les tendances globales surtout au niveau de la confiance que les accordent aux médias et aux autorités politiques ?
En plus de confirmer les tendances du début de la pandémie, notamment, la surprenante résilience de l’Afrique lors de la première vague, l’étude a établi le plébiscite sans appel des media audiovisuels avec une forte confiance des sahéliens vis-à-vis de la presse écrite. Adoptant une approche différenciée en prenant en compte les spécificités liées à la ruralité et au milieu urbain l’étude a fait ressortir l’importance que les Sahéliens accordent aux leaders religieux et traditionnels en tant que vecteurs de l’information crédible loin devant les médias d’Etats fortement contestés de même que et les canaux officiels de communication qu’ils soient nationaux ou internationaux. Cela veut dire que désormais les gouvernants de la région feront de plus en plus face à la contestation de l’information officielle et de celles provenant des organisations internationales telles que l’ONU et des partenaires internationaux comme l’Union Européenne et surtout les médias français qui ont été perçus comme distillant de l’information partisane. Seuls 32,5% des Sahéliens enquêtés affirment accorder une certaine confiance aux autorités gouvernementales même sur l’information sanitaire concernant la pandémie de COVID-19.
Quelle a été la part de confiance accordée aux médias en tant que vecteurs d’information dans un contexte marqué par une domination des réseaux sociaux ?
II est vrai que qu’entre 2011 et 2018, le taux d’utilisation d’Internet a plus que doublé sur l’ensemble de notre continent, passant de 13,5 % à 28 %. Mais, il y a une attitude paradoxale vis-à-vis des réseaux sociaux de la part des populations sahéliennes. Autant, ils sont considérés, de plus en plus, comme des média alternatifs et un espace de liberté par rapport à l’information officielle encadrée, il y a une certaine méfiance quant aux informations qui y sont diffusées. Les statistiques sont catégoriques. Même si les populations du Sahel sont plus nombreuses à avoir confiance dans la télévision (86%), la radio- bénéficiant d’une forte démocratisation y compris dans les zones reculées- bénéficie tout de même d’un important taux de confiance. Les Sahéliens sont ainsi 84% à avoir confiance dans la radio. Pourtant le taux de connectivité est monté à plus 360 % depuis une décennie et les smartphones sont devenus on moyen d’accès à l’information plus que répandu.
Justement y a t-il des disparités à ce niveau et quels en seraient les conséquences pour nos pays ?
Selon l’étude, les hommes, les jeunes et les urbains sont plus nombreux à s’informer à travers Internet et les applications de messagerie. On dirait que la dimension genre des inégalités horizontales se répercute aussi au niveau de l’accès à l’information en ligne Les femmes, les ruraux ainsi que les personnes âgées n’y ont recours de manière assez modeste. Le paradoxe est que les rumeurs, par exemple, ont plus de chance à se diffuser dans les zones rurales qu’auparavant chez des populations moins éduques avec moins de capacités de discernement et de remise en question critique face aux entreprises de désinformation. C’est l’effet d’applications comme Whatsapp dont l’usage ne nécessitant pas d’être très alphabétisé Le plus inquiétant est que les populations du Sahel sont apparus majoritairement comme incapables de détecter rapidement une fausse information. En plus des disparités de genre, il y a la question du niveau d’éducation. L’étude a nettement montré que les personnes les éduquées sont plus à même de détecter les fausses information pendant que l’accès à internet se démocratisent avec des applications dont la maîtrise ne demande pas un certain niveau d’étude. Ces fausses informations visent souvent des publics jeunes et vulnérables directement ciblées sur leur smartphone. Le développement d’une presse en ligne en perpétuelle quête de buzz et économiquement vulnérable accentue le phénomène. Cela représente une réelle menace à la stabilité et aux acquis démocratiques au Sahel
Au Mali, on semble déceler les signaux d’une véritable guerre informationnelle dans un contexte de rivalités entre des puissances étrangères…
Le terrain malien est depuis peu le laboratoire d’expérimentation de toutes formes de communication d’influence. Dans un contexte d’insécurité et d’instabilité politique, la désinformation revêt plusieurs formes et se cache derrière bien des campagnes de communication bien ciblées. La période de la transition avec la montée de diverses formes de contestation des dominations sur fond d’escalades diplomatiques et de guerre de positionnement de nouvelles puissances est particulièrement propice à ce phénomène. Mais en accentuant la guerre informationnelle on est en train de jouer avec le feu. La lutte contre la désinformation est un enjeu de sécurité et de stabilité pour les pays du Sahel. En présence d’une crise et d’une angoisse des populations les tentatives de manipulations de l’opinion à travers les réseaux sociaux et les différents médias peut compromettre les politiques publiques et même la crédibilité des institutions ; ce qui représente une menace grave contre la viabilité des Etats, du système démocratique, de la paix et de la sécurité au Sahel.