Tunisie - Constitution : Pr. Mohamed-Chérif Ferjani met en garde contre « une dérive autoritaire » Spécial

 

Le Professeur Mohamed-Chérif Ferjani alertait, déjà en novembre 2021, comme pour anticiper sur la situation politique actuelle, quand il soutenait que : « la vision de Kais Saïed de la démocratie représentative et son hostilité par rapport aux partis politiques nous rappellent beaucoup celles de Carl Schmitt ». Les derniers développements sur la scène politique tunisienne semblent, aujourd’hui, lui donner raison.

En effet, depuis que le Président Kaïs Saied a dévoilé le projet de nouvelle Constitution en Tunisie, les voix sont nombreuses, au sein de la société civile comme de la classe politique, à s’élever pour dénoncer ce que l’auteur de « Néolibéralisme et révolution conservatrice » (Edition Nirvana, 2021) appelle ici « une dérive autoritaire ».

 

Ses alertes furent nombreuses ces dernières années pour maintenir intactes la vigilance et la mobilisation des « forces sociales ». Mais, dans cette tribune largement relayée au sein de la société civile tunisienne et des médias, le chercheur et intellectuel tunisien connu pour son engagement pour les droits humains et la démocratie depuis l’indépendance, Professeur Mohamed-Chérif FERJANI, par ailleurs Président du Haut Conseil du Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies, alerte sur ce qu’il qualifie de « situation burlesque » qui « donne un nouveau tournant à la tragi-comédie que vit la Tunisie depuis la fin du règne de la dictature mafieuse de Ben Ali »

 

Timbuktu Institute publie, ci-dessous, in extenso cette tribune qui semble rappeler que les acquis démocratiques ne sont jamais définitifs sans ce à quoi appelle aujourd’hui, le Professeur Ferjani à savoir « une  mobilisation la plus large des forces sociales et politiques attachées à la démocratie et aux objectifs de la révolution »

 

 

« Le processus d’élaboration d’une nouvelle constitution s’est terminé par deux coups de théâtre, moins de quatre semaines avant le référendum prévu pour son rejet ou son adoption :

 

-        le camouflet que Kaïs Saied a infligé aux commissions mises en place par lui-même pour lui proposer un projet dans ce sens, en jetant à la poubelle le fruit de leur travail pour publier son propre projet de constitution,

-         puis le désaveu opposé par Sadok Belaïd et Amine Mahfoudh, les principaux rédacteurs du projet refusé par Kaïs Saied, en publiant leur projet et en dénonçant l’attitude du président à leur égard et à l’égard de leur commission.

Cette situation burlesque donne un nouveau tournant à la tragi-comédie que vit la Tunisie depuis la fin du règne de la dictature mafieuse de Ben Ali. Après une décennie marquée par l’amateurisme, l’incompétence, la corruption, le terrorisme et la volonté des islamistes d’imposer leur projet, transformant le pays et les deniers de l’Etat en butin spolié par leur confrérie et ses alliés, Kaïs Saied a profité du rejet des islamistes pour poursuivre le démantèlement de l’Etat et de ses acquis afin d’instaurer une nouvelle dictature mariant populisme et nationalisme conservateur instrumentalisant à sa façon la religion.

 

Les deux coups de théâtre de ce début du mois de juillet 2022, moins d’un an après le coup de force de Kaïs Saied conduisant par la suite à la suspension de la constitution de 2014 et à la dissolution du parlement et de toutes les institutions pouvant limiter son projet de réunir entre ses mains tous les pouvoirs, montrent, à ceux qui en doutent encore, que le Chef de l’Etat est déterminé à aller jusqu’au bout, et par tous les moyens, pour réaliser ce qu’il avait annoncé depuis son « entrée par effraction » en politique, selon l’expression de Hamadi Rédissi.

 

J’ai attiré à plusieurs reprises l’attention sur le danger de son projet et sur les similitudes qu’il présente avec les conceptions du juriste conservateur Carl Schmitt qui avait défendu le fascisme et servi le nazisme, avant de devenir une référence pour les populismes rejetant l’Etat de droit et la démocratie représentative. Son projet de constitution, et sa volonté de ne tenir aucun compte de tout avis qui n’est pas totalement conforme à ce qu’il veut, même quand il vient de ses plus proches collaborateurs et de ceux qui l’ont servi à l’instar de Sadok Belaïd et Amine Mahfoudh, montrent qu’il est déterminé à imposer son projet quel que soit le résultat du référendum : Ce n’est ni une erreur ni un hasard si son décret prévoit l’entrée en vigueur de sa constitution dès la proclamation des résultats du référendum par l’ISIE qui est à sa solde. Même si le NON l’emporte, il n’en tiendra pas compte.

 

Il me semble que cette mascarade n’a que trop duré et qu’il faudra y mettre fin avant le 25 juillet 2022. Pour cela, tout doit être fait pour obliger Kaïs Saied à faire marche arrière avant le référendum. Ce qui a été fait en 2013, - à moitié, et ce fut une erreur –, pour mettre fin au règne de la Troïka et de l’aventure de la constituante, doit servir d’exemple et de leçon à ce qui doit être fait aujourd’hui, en urgence.

 

La mobilisation la plus large des forces sociales et politiques attachées à la démocratie et aux objectifs de la révolution – société civile, organisations nationales (dont surtout l’UGTT et l’UTICA), partis politiques s’opposant au projet de Kaïs Saied tout en refusant le retour à l’avant 25 juillet 2021 et à l’avant 2011 -, doit déboucher rapidement sur la multiplications des actions et des pressions pour arrêter à temps une mascarade qui a déjà coûté trop cher au pays ».