Sahel : « La France ne doit pas se réduire seulement à la force Barkhane[1] ! »

(Par Hervé BRIAND - Sahel Senior Analyst)

La nouvelle stratégie ou plutôt les ambitions de la France en Afrique de l'Ouest, et plus particulièrement au Sahel sur les plans sécuritaire et militaire,
semblent aujourd'hui plus pragmatiques, mais aussi plus discrètes, via une communication plus harmonieuse vis à vis des populations locales,
et ce aux fins d'une efficacité escomptée accrue.

Si les militaires français de la force Barkhane se mettent donc aujourd'hui davantage en appui des pays sahélo-sahariens demandeurs, de plus façon discrète,
sur les plans logistique et technique (Renseignement...), ils se mettent également à la disposition opérationnelle et tactique des armées locales, mais désormais,
uniquement sous le pouvoir décisionnel et à la demande expresse de ces États africains concernés.

C'est ce changement de paradigme qui fait toute la différence auprès des États-Majors militaires locaux, mais surtout vis à vis des Africains eux-mêmes.
Il y a lieu de croire que cette nouvelle méthode sécuritaire française, plus empreinte d'humilité, de complémentarité, de confiance et de respect réciproque
sera davantage comprise et davantage "acceptée" par les populations locales. À cet égard, un changement de nom de l'opération « Barkhane »
serait d'ailleurs plus approprié à la nouvelle approche et aux nouvelles missions de la force française d'appui militaire.

La communication militaire française devrait ainsi être davantage axée sur le respect des souverainetés des pays sahélo-sahariens et sa "mise à la disposition"
(y compris sporadiquement, voire au cas par cas...) des États concernés qui en font expressément et clairement (publiquement et/ou médiatiquement) :
Niger, Burkina Faso, Tchad, Bénin, Togo, mais aussi Mali, Libye... C'est cet "appui militaire à la demande" et de fait, ce "soutien manifeste au maintien de la
sécurité et de la paix", qui seront mieux admis et intégrés par les populations africaines les plus sceptiques dans ces zones de conflits multidimensionnels.

Suite au retrait militaire de la France au Mali, c'est au Niger, dans la région de Tillabéri, dans le cadre de l'opération militaire "ALMAHOU", que les postes aux frontières
bénéficient déjà de cette nouvelle stratégie/approche militaire française et se trouvent ainsi désormais renforcés discrètement au sein de cette zone poreuse dite
"des trois frontières" (Niger, Mali, Burkina Faso), avec une rapidité d'intervention sur zone aujourd'hui très largement accrue.

Toutefois, il paraît essentiel d'accentuer encore davantage le "Renseignement Nomade", notamment au cœur des communautés Peules et Touarègues,
mais également de développer plus intensément les réseaux tribaux locaux et régionaux, au travers des associations "femmes et enfants" en particulier...

Par ailleurs, dans le même temps, si les États africains, sous les pressions populaires, font face à une exigence accrue de souveraineté, ils doivent aussi prendre ou reprendre leur destin en main et affronter, à l'instar des autres pays du monde, des impératifs ou des souhaits d'indépendance ou de diversification d'ordre militaire, économique, mais aussi et surtout alimentaire et énergétique. C'est en ce sens que le pluralisme, d'abord économique, mais aussi énergétique, alimentaire et/ou sécuritaire, s'est donc installé progressivement en Afrique de l'Ouest et au Sahel en particulier, ces dernières années, probablement au détriment de la France...

Ainsi, bien qu'il n'y ait pas de développement possible sans paix durable, il semble que la France pâtisse de ce que j'appellerais un "effet Tunnel Barkhane", finalement plutôt antagoniste avec l'idée de développement économique, ce, dans l'esprit d'une partie des populations et certains investisseurs locaux, qui se sont tournés au fil du temps vers le pluralisme et d'autres partenaires économiques européens (Allemagne, Belgique, Luxembourg, Italie...), asiatiques (Chine, Inde, Japon...), moyen-orientaux, turcs ou russes...

Le fait que les autorités françaises aient misé depuis une dizaine d'années (et notamment depuis l'opération salvatrice "Serval"), probablement à tort, pour la majeure partie de leur stratégie et de leur politique ouest-africaine, sur une présence massive et relativement médiatique des forces armées françaises au Sahel, via l'opération de libération "Serval" au Mali, puis surtout avec l'opération de longue durée "Barkhane", a renvoyé l'image de la France comme une présence et une puissance exclusivement militaires, plutôt qu'un investisseur et un partenaire financier potentiel de premier plan.

Dans l'esprit d'une partie des populations sahélo-sahariennes la France renvoie, ainsi, depuis plusieurs années, l'image quasi-exclusive de "Barkhane" et d'une force armée étrangère jugée parfois injustement au fil du temps par certains comme une "force d'occupation" sur leur territoire...

Ainsi, "l'effet Tunnel Barkhane" semble avoir étouffé en partie aux yeux de certains, en tout cas médiatiquement ces dernières années, l'aspect primordial du développement économique, mais aussi culturel, dans les zones sahélo-sahariennes en corollaire des missions régulières de la force armée Barkhane, et ce, probablement au détriment des intérêts de la France elle-même...

Or, la France ne peut pas et ne doit surtout pas se réduire à "Barkhane" !

Essentiellement focalisée sur le domaine sécuritaire et la lutte contre le terrorisme, certes essentiels, les autorités françaises n'ont donc, probablement, pas assez accentué leur communication sur les aspects économiques, sociaux et culturels et les aides financières et techniques pourtant apportés à des projets de développement au Sahel.

Aussi, certains ressortissants ouest-africains, notamment au sein des diverses communautés sahariennes, n'ont sans doute pas la conscience et la connaissance des autres dimensions économique et culturelle de la présence et politique globale française au Sahel. La France remplit pourtant inlassablement au Sahel, et plus généralement partout en Afrique, ses actions et ses devoirs dans les domaines humanitaire, économique, social et culturel, j'en suis le témoin le témoin privilégié...

Mais si la communication à cet égard a sans doute été plutôt défaillante, force est de constater que pendant les "années Barkhane" les autres puissances concurrentes mondiales ont considérablement accéléré leurs implantations et élargi leurs influences diplomatiques, sécuritaires mais surtout économiques, en Afrique, parfois il est vrai au détriment de la France : Allemagne, Italie, Russie, Japon, Chine...

Dans le même temps, il est vrai que les pays africains jouent de cette concurrence et de ce pluralisme économique bienvenus qui s'offrent à eux... Il faut donc l'accepter !

C'est donc, aujourd'hui, davantage, sur le volet du développement économique, social, alimentaire et culturel qu'il conviendrait d'axer prioritairement et avec acharnement la communication des autorités françaises vis à vis de l'ensemble de la zone d'Afrique de l'Ouest (des zones sahélo-sahariennes, des pays du golfe de Guinée jusqu'au Sénégal...).

Enfin, le sentiment "anti-français" que l'on observe plus généralement aujourd'hui en Afrique de l'Ouest, via les officines étrangères (mais aussi intérieures) de propagande "anti-France", et qu'il faut combattre de manière plus appropriée, via notamment les réseaux sociaux et la promotion du développement économique, trouve probablement également son origine dans la posture jugée souvent trop oppressante, voire parfois ressentie par certains locaux comme arrogante, d'une France semblant imposer ses discours, ses choix politiques et ses décisions, notamment militaires, aux États africains concernés...

À cet égard, le discours préventif et bienveillant d'un ancien pays colonialiste sur l'hégémonie impérialiste russe, s'il est bien entendu parfaitement recevable auprès des autorités locales, peut toutefois ne pas paraître totalement "audible" ou "crédible" par une partie de la "rue africaine" qui tend désormais à ne surtout plus vouloir et accepter que des États étrangers (ex-colonialistes ou hégémoniques) lui "donne des leçons d'indépendance"... Certains discours occidentaux peuvent paraître parfois "contre-productifs" et susceptibles d'alimenter encore davantage un certain rejet de l'Occident et des "dictats" politiques, économiques, culturels ou sécuritaires.

À cet égard et à titre d'exemple, il en va de même concernant l'idée de création éventuelle d'une force "anti-putsch" au sein de la CEDEAO (Communauté Économiques des États de l'Ouest Africain) : si elle paraît légitime, ses éventuelles interventions (même au cas par cas) devraient, là encore, être très probablement engagées sous couvert d'un assentiment tacite "fort" des populations concernées, à défaut de s'exposer à un rejet ou à un procès en illégitimité du "contre-putsch" de la part d'une population locale fortement ancrée contre le pouvoir alors renversé... Il convient en effet de rappeler que les juntes militaires dites "pouvoirs de transition" notamment au Mali ou en Guinée Conakry (voire au Burkina Faso) sont toutes issues, certes de manière très opportuniste et "anti-démocratique", du fort mécontentement et du soulèvement populaire des populations locales, révoltées et lassées ces dernières années par les "mal-gouvernances" et la corruption endémique des anciens régimes et parfois de leurs dirigeants, pourtant élus "démocratiquement" et à ce titre soutenus alors par les Occidentaux...

Loin de légitimer les putschs en Afrique, c'est bien sûr le processus démocratique qu'il faut soutenir avec acharnement, en privilégiant les alternances politiques et en exerçant surtout une "pression légitime" de l'Occident en faveur des "bonnes gouvernances"...

Mais, soutenir, même tacitement, les "mal-gouvernances" est toujours une arme destructrice avec effet "boomerang" pour les Occidentaux !

Ce sont donc, de manière générale, toutes ces postures parfois "improductives", de moins en moins audibles et acceptées par les populations africaines, et surtout sa jeunesse, qu'il conviendrait aujourd'hui de "lisser" publiquement ou de réserver aux seuls dirigeants en place sous le sceau des discussions diplomatiques...

Médiatiquement, c'est un discours français plus proche et plus en phase avec les attentes concrètes et pragmatiques des populations locales (ouest-africaines et sahélo-sahariennes) en termes de développement économique et énergétique, de la jeunesse, d'une écologie durable, qu'il conviendrait de privilégier, plutôt qu'un certain suivisme ou attentisme des pouvoirs africains en place...

Enfin, la diplomatie française a, elle aussi, un rôle de premier plan à jouer dans la "restauration" de l'image de la France en Afrique : elle doit sans doute transformer son statut de "vieille diplomatie à la française" (avec ses atouts indéniables et souvent cruciaux au cours de l'Histoire...) en "INDUSTRIE DE LOBBYING POUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE" décomplexée au service aujourd'hui des partenariats commerciaux, financiers, des contrats et des projets de développements économiques, alimentaires, énergétiques et culturels en tous genres, entre les acteurs français et africains, et ce, avec une couverture médiatique appropriée : presse, télévision, radio et réseaux sociaux... !!

Si l'on n'écoute pas aujourd'hui la "rue africaine" (Niamey, Bamako, Ouagadougou...), les diverses communautés sahélo-sahariennes (Touaregs, Peuhls, Toubous...), mais aussi côtières (Sénégal, Côte d'Ivoire, Guinée...), et qu'on ne répond pas à leurs aspirations concrètes et légitimes en termes de développement économique et alimentaire, d'indépendance énergétique et sécuritaire, alors toute l’Europe et la France en subiront les diverses conséquences sécuritaires et même migratoires.

[1] NB : les idées et positions soutenues dans cet article de contribution n’engagent pas Timbuktu Institute et reflète strictement l’opinion de l’auteur