Retrait français du Niger : L’aube d’un nouveau cycle historique au Sahel ? Spécial

Timbuktu Institute – 27/09/2023

Dès l’annonce faite par le Président français, Emmanuel Macron, du retrait des forces françaises du Niger, la réaction d’un grand expert des affaires internationales s’est résumée en une phrase : « la grande Nation perd sa face et sa place diplomatique au Sahel ». Alors que jusqu’ici, qu’il s’agisse de la junte ou de la France, chacun tentait de faire bonne figure pour ne pas perdre la face. Ce qui était considéré une simple demande d’une junte qui venait de prendre les rênes du pouvoir à Niamey était vite devenu un des ingrédients du discours nationaliste voire populiste dont les militaires sahéliens ont, désormais, le secret comme on a pu le constater au Mali et au Burkina Faso.

On pourrait arriver à penser que l’entêtement français s’expliquait aussi par la hantise de voir le départ de ses forces du Niger se transformer en un déclic pour d’autres pays de la région. Après un bras de fer de deux mois, la junte a eu la France à l’usure ; cette bataille à armes symboliques inégales ne pouvait être que difficilement gagnable par une France acculée présentant le désavantage de devoir, à chaque fois, gérer l’urgence et l’histoire en même temps. Cette attitude la mettait en mauvaise posture face à une junte dont le discours populiste continue de faire effet face à une population et une jeunesse surchauffées par l’impression d’avoir défait un régime et de se débarrasser progressivement d'une puissance dominatrice.

La CEDEAO devant le fait accompli diplomatique ?

Mais, en même temps, cette annonce d’Emmanuel Macron sonne le glas du projet d’intervention de la CEDEAO et porte un sévère coup sa crédibilité, notamment sa capacité de dissuasion des coups d’Etat militaires, un de ses objectifs prioritaires.

Cette situation augure de perspectives favorables à l’émergence d’une tendance lourde du militaro-populisme, au grand dam de l’idéal démocratique dans la sous-région. Il faudra craindre une augmentation du risque de coups et contrecoups, parfois théorisés comme de paradoxaux moments de « respiration démocratique ».

 L’Organisation sous-régionale est, ainsi, mise devant le fait accompli diplomatique avec cet échec de la stratégie militaire qui découle, en réalité, de quatre facteurs principaux :

 -       Une certaine division notée au sein du Conseil de paix et Sécurité de l’UA.

 

-       L’ambiguïté de la position des États-Unis d’Amérique et son pragmatisme jugé intéressé, par certains observateurs, se traduisant par une absence de soutien ferme au point de vue diplomatique et militaire depuis le début de la crise

 

-       Un isolement diplomatique de la France au sein de l’UE, malgré les apparences, avec le défaut de soutien diplomatique et financier d’une éventuelle opération, en tant que principal partenaire financier de la CEDEAO.

-       Une forte opposition des opinions publiques sahéliennes et ouest-africaines, des sociétés civiles qui se considèrent désormais comme parties prenantes légitimes du débat sécuritaire et même de la politique étrangère ; mettant la pression sur des dirigeants politiques fortement critiqués notamment par la jeunesse.

Une géopolitique de la jeunesse : « mimétisme » sans discernement ?

Mais l’aspect qui serait le plus à prendre en considération est l’effet éventuel du mimétisme sans discernement, facilité par les réseaux sociaux, de la part d’une jeunesse désenchantée et socio-économiquement vulnérable au radicalisme et au populisme, assaisonné à l’efficace « propagande » russe à laquelle les Occidentaux répondent par des politiques d’influence soutenues par une communication rivalisant d’agressivité.

Mais ce qui est dénoncé comme une « propagande » russe semble adossée à un véritable ancrage dans la société réelle et au sein de la jeunesse parfois snobées par des chancelleries fascinées par les élites littéraires leur rappelant leur "universalité", des dirigeants politiques en perte de vitesse et des opérateurs économiques, sous-traitants de leurs patronats et multinationales. Un ensemble de relais peu populaires rejetés par une jeunesse complètement acquise à un panafricanisme indigent par défaut d’une réelle culture politique à l’image des pères fondateurs.

Des ingrédients d’un nouveau cycle historique au Sahel ?

Cet ensemble de faits constitue, désormais, une recette explosive contre les intérêts français en Afrique francophone où Paris fut, pendant longtemps considéré comme un « champion » par l’Union européenne et le « camp occidental » qui s’est récemment beaucoup fissuré.

Un diplomate de haut rang ne pouvait être plus clair, en déclarant, lors d’une importante réunion que « l’OTAN n’est pas un bloc mais une simple alliance » ; ce qui traduit, pertinemment, l’état d’esprit actuel des partenaires internationaux dans ce sable mouvant sahélien où ils sont de plus en plus dispersés pour ne pas dire divisés voire enlisés.

Mais, au-delà des effets d’annonce sur ce retrait français, des réactions épidermiques de « fierté panafricaniste » comme de « désillusion française », il est devenu clair que le processus de lutte pour la deuxième décolonisation par le bas, semble être inexorablement enclenché.

Éviter une nouvelle désillusion ou le questionnement dérangeant

La question se pose, toutefois, de savoir si les régimes militaires demandant, aujourd’hui, le départ des forces étrangères auront les capacités de se passer d’elles durablement après le temps des expressions de fierté et des discours de galvanisation. La toute récente Charte du Liptako Gourma, scellant, surtout un pacte de défense mutuelle « en cas d’agression » entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger suscite, certes des espoirs de synergie, mais des questionnements sur son opérationnalité et sa durabilité.

Ces questionnements, - il est vrai dérangeants pour certains -, sont d’autant plus légitimes que si ces pays se retrouvaient dans une situation sécuritaire qui les obligerait de faire appel, à nouveau, à la coopération militaire aujourd’hui rejetée dans ce contexte fortement marqué par les discours nationalistes et panafricanistes, ce sera une autre désillusion sahélienne qui sera forcément fatale.

Une telle désillusion ouvrirait, par un second souffle islamiste, un large boulevard pour les acteurs l'islam politique et les mouvements extrémistes qui viendraient réclamer, "légitimement" le statut de nouvelles forces vierges de tout exercice du pouvoir après l’échec des politiques laïcs et des militaires d’aujourd’hui.

En tout état de cause, l’aube d’un nouveau cycle historique semble se profiler au Sahel mais aussi pour les relations euro-africaines et, plus particulièrement, franco-sahéliennes.

 

 Timbuktu Institute – Septembre 2023