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A l’occasion de la visite de la Ministre fédérale Allemande des Affaires étrangères au Sénégal, Mme. Annalena Baerbock, les 15 et 16 juillet 2024, un panel a été organisé en l’honneur à cette dernière au Goethe Institut Dakar. Le Timbuktu Institute, en tant que think tank régional, leader sur les questions de paix et sécurité, a été invité à partager son expérience sur les problématiques de stabilité régionale, en mettant l’accent sur la contribution des femmes et des jeunes dans la résolution des conflits et la préservation de la démocratie. C’est la Directrice-pays du Timbuktu Institute Sénégal, Mme. Yague Samb, qui a représenté l’institut à cet évènement en sa qualité de chercheure ayant sillonné nombre de pays dans la sous-région et interagi avec divers acteurs féminins et des jeunes dans les zones de crise. La directrice-pays a axé sa présentation d’abord sur la question juvénile, puis sur celle féminine, relativement à la question de la stabilité régionale.
Tout d’abord, elle est partie du postulat que la jeunesse africaine, contrairement aux thèses qui la cantonnent dans un carcan de « fardeau » ou de « bombe démographique », peut représenter une chance si elle est bien éduquée et capacitée. Mais, pour la chercheure, il ne peut être nié le fait que cette même jeunesse se considère elle-même comme vulnérable par rapport à la radicalisation et à l’extrémisme violent (EV). En effet, selon nombre de populations sahéliennes, à l’image de celle de la région de Zinder au Niger où l’institut a conduit l’une des premières études de perception sur la question, les jeunes seraient tentés par l’extrémisme violent en raison de leur situation de chômage (selon 43,5%), de précarité sociale (42,5%) et d’abandon scolaire (13%). Dans une démarche visant à cartographier les facteurs de vulnérabilité à ces phénomènes, les tendances observées au Niger se sont confirmées au niveau de la Grande banlieue de Dakar au Sénégal (2016), à la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, plus précisément dans les deux Rosso qui jouxtent les deux pays (2018), dans la frontière sénégalo-guinéenne, en l’occurrence à Vélingara et Labé (2021), dans le Sud-est du Sénégal, autrement dit dans les régions de Kédougou et de Tambacounda (2024).
Les études ont montré que la radicalisation est un phénomène multifactoriel et qu’au-delà de la dimension idéologique, les frustrations socioéconomiques sont des facteurs importants de radicalisation des jeunes. Autrement dit, les niches de radicalisation violente se trouvent dans l’intersection de facteurs de fragilités que sont les facteurs incitatifs ou causes structurelles (chômage, inégalité, corruption, etc.), les facteurs attractifs ou motivations de l’individu (désir d’aventure, la recherche d’une identité, des motivations matérielles, la peur des répercussions par des groupes d’EV, etc.) et ce que l’on appelle les facteurs de processus ou protecteurs présents dans une communauté. Dans une démarche prospective et préventive, l’institut Timbutku a recueilli de la jeunesse, du moins sénégalaise, dans le cadre de l’étude sur les facteurs de radicalisation et la perception du terrorisme chez les jeunes dans la grande banlieue de Dakar, que le principal antidote à la radicalité menant à l’EV est de lui assurer un emploi. Ainsi, au titre des solutions face aux vulnérabilités dont les jeunes font face, il semble important, selon l’experte du Timbuktu Institute, de renforcer les politiques d’inclusion socioéconomique, corriger les injustices sociales dont ils se disent victimes, miser sur l’éducation, tout en renforçant ce capital humain.
Ensuite, son intervention a mis l’accent sur l’implication des femmes dans la résolution des conflits. En effet, la question féminine est intimement liée à celle juvénile, en ce sens que ces deux couches sont naturellement considérées comme faisant partie des plus vulnérables. L’exemple des déplacées internes de Sénou (Bamako), approchées par les chercheures du Timbuktu Institute, dès 2017, à travers l’étude « Femmes, prévention et lutte contre l’EV au Mali » est assez patent pour justifier la complexité de la situation féminine dans ce contexte de crise. En effet, ces femmes ayant vécu dans leur chair le conflit du Nord Mali, regrettent leur défaut d’implication dans les initiatives de prévention et de résolution des conflits. Mais, par-dessus tout, les femmes étaient aux avant-gardes de la lutte contre l’extrémisme, notamment en Afghanistan, en Algérie dans les années 90, mais aussi à Tombouctou. Elles disposent de prédispositions à détecter les signaux de radicalité des jeunes, à l’image des femmes déplacées de Sénou qui ont soutenu à 55,6% avoir déjà vu des cas de jeunes radicalisés dans leur quartier ou dans leur entourage immédiat.
Cependant, bien que fortes de ces potentiels, les femmes continuent de rencontrer de nombreux défis qui entravent leur épanouissement socioéconomique. Dans ce sillage, le Timbuktu Institute a conduit, récemment, une étude préliminaire sur les obstacles et solutions à l’inclusion socio-économique des femmes des pays de l’ex G5-Sahel. Cette étude est sanctionnée de rencontres avec des entrepreneures de la région qui ont réfléchi sur la question de l’entreprenariat féminin et listé un certain nombre d’obstacles qui se dressent contre elles.
La toute dernière rencontre s’est tenue à Dakar fin juin 2024, où il est ressorti qu’au-delà de leur capacité de résilience, les femmes font face à d’innombrables barrières socioculturelles qui limitent leur accès à la terre, les difficultés d’accès au financement, les défis d’accès à l’éducation et à la formation, etc. Se pose ainsi la question de savoir si la bataille de la lutte contre l’extrémisme sous toutes ses formes est gagnée au regard de la persistance d’obstacles à l’inclusion socioéconomique des femmes ? Dans tous les cas, insiste l’experte du Timbuktu Institute, la vigilance doit être de mise, tout en capitalisant le potentiel féminin, en mettant en avant les femmes dans les initiatives de sensibilisation à l’extrémisme.