Relations Afrique – Europe : Entre enjeux climatiques, sécurité collective et l’urgence d’un renouveau Spécial

A l’occasion de la visite de la Ministre fédérale Allemande des Affaires étrangères au Sénégal, Mme. Annalena Baerbock, les 15 et 16 juillet 2024, un panel a été organisé en l’honneur à cette dernière au Goethe Institut Dakar. Au menu des échanges, figuraient, en bonne place, les relations entre l’Europe et l’Afrique, la Directrice-pays du Timbuktu Institute, Mme. Yague Samb, a tenu à insister sur trois défis majeurs que l’Europe et l’Afrique peuvent relever ensemble. 

Le premier défi, selon l’experte du Timbuktu Institute, est relatif au positionnement de l’Afrique face à la transition énergétique. Pour elle, « on se rend compte qu’il y a un paradoxe, en ce sens que l’Afrique est le continent qui pollue le moins mais qui subit le plus les effets du changement climatique. Donc il y a une forme de double peine énergétique. Pendant ce temps, il est demandé à l’Afrique de s’arrimer sur la situation actuelle de la transition énergétique pour aller vers l’énergie propre, solaire, etc. », avance-t-elle. D’où, selon elle, « la question de savoir si l’on prend en compte la spécificité d’un continent où plus de 600 millions de personnes n’auraient pas accès à l’électricité basique . Comment dans ce contexte-là, où nous allons avoir des pays qui vont produire de l’énergie comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire, leur interdire de se servir de l’énergie fossile en allant vers l’énergie propre sans des mesures d’accompagnement et même certaines compensations ? » se demande la directrice Sénégal du Timbuktu Institute. Pour elle, « ceci constitue un véritable problème auquel on peut remédier par une justice climatique face à cette double peine énergétique en repensant les conditions de financement de l’énergie renouvelable, mais aussi procéder à un transfert de technologie en évitant ainsi toute dépendance relative à cette transition » . 

Le second défi est lié à la dimension géopolitique de la nouvelle guerre de l’énergie en contexte de conflit russo-ukrainien.  « Aujourd’hui, on sait que les pays européens rencontrent des difficultés pour accéder à l’énergie. Ce qui a fait que beaucoup se rapprochent de plus en plus de pays africains pour chercher des alternatives. Aujourd’hui, la question de la production énergétique aussi bien au Sénégal, en Côte d’ivoire que dans le Golfe de Guinée, est un enjeu majeur pour l’approvisionnement des puissances occidentales. Mais la crainte c’est que l’Afrique va être dans ce nouveau contexte, une variable d’ajustement où l’Europe, peu sûr d’avoir accès au gaz russe, va se rabattre sur les pays africains, renchérit Yague Samb. Pour elle, « une telle situation pourrait conférer un autre statut géopolitique à l’Afrique vis-à-vis de la Russie qui va commencer à regarder l’Afrique comme susceptible d’atténuer sa capacité d’exercer de la pression sur les puissances occidentales ». Ainsi, rappelle-t-elle, il semble important de ne pas mettre l’accent sur les urgences conjoncturelles, mais se focaliser sur une Afrique des solutions relativement à la question énergétique. 

Le troisième défi que la Directrice-pays du Timbuktu Institute identifie est et celui de la sécurité collective qui comprend aussi bien la coopération sécuritaire, en termes d’égalité tacite face à la vulnérabilité (le terrorisme n’a plus de frontière), que la question migratoire sur laquelle il y a une inégalité de mobilité que l’on réduit souvent dans l’expression « immigration clandestine ». Pour ce dernier point, elle s’interroge sur la difficulté d’acceptation, par les jeunes africains, d’une mobilité des ressources naturelles du sud vers le nord et qu’en revanche, il y ait une réduction drastique des possibilités, pour les Africains, de voyager vers l’Europe. « Au nom de quel principe certains peuvent bouger et que d’autres non, alors que leurs ressources naturelles bougent et peuvent quitter le continent sans grande contrainte », se demande-t-elle en interpellant sur la nécessité de changement de paradigme et d’un indispensable renouveau de la relation Afrique-Europe.

C’est pourquoi, elle trouve « subjectif et unilatéral le concept de migration clandestine, à la place duquel elle suggère l’inégalité en mobilité qui devrait être réparée si l’on ne veut pas perdurer dans une vision conflictuelle de la relation Europe-Afrique surtout chez les jeunes connectées et très informées des dynamiques internationales ». Pour la directrice Sénégal du Timbuktu Institute, « cette situation ne facilite pas les relations entre la jeunesse africaine et l’Europe. Car les jeunes africains qui, naguère, luttaient pour la démocratie, applaudissent aujourd’hui des juntes après les coups d’état. Ce n’est pas parce qu’ils rejettent la démocratie, mais plutôt doutent surtout de la crédibilité du discours politique et surtout de celui de l’Occident sur la démocratie si l’on sait les inconséquences dans l’appréciation et l’application à géométrie variable du principe des droits humains dans le monde contemporain ». Mais pour Yague Samb, « il est encore possible de renouer le fil du dialogue, voire aller de l’avant, ensemble, dans le cadre de relations renouvelées prenant en compte l’évolution des sociétés africaines et surtout d’une jeunesse plus exigeante aussi bien vis-à-vis des gouvernants africains que de leurs partenaires internationaux ».