Timbuktu Institute

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Jusqu’où ira l’intervention de la Turquie en Libye ? Conscients des dangers de cette intervention, le Président algérien appelle à une concertation entre les pays riverains dont en particulier l’Algérie, la Tunisie et l’Egypte pour arrêter les interventions étrangères, trouver une solution interne et négociée entre les libyens et éviter la partition du pays. Mais quels moyens ont-il pour empêcher le gouvernement d’Ankara de poursuivre sa politique interventionniste surtout qu’ils est soutenu financièrement par la Qatar, sur le terrain par les groupes jihadistes de différentes  factions de l’islam politique, internationalement par l’Italie, l’Ukraine et les Etats-Unis qui comptent sur la Turquie pour contenir l’intervention de la Russie et ses alliés en Libye. 

 

Les résultats de la rencontre entre le Présidents tunisien Kaïs Saied et le Président Français, quelques jours après un accrochage, qui aurait pu connaître une tournure dramatique, entre un navire turc et une frégate française chargée de sur veiller l’embargo sur la livraison d’armes à la Lybie, montrent l’impuissance des pays riverains à contrer l’offensive dangereuse de la Turquie en Afrique du Nord. Les divisions internes à chaque pays par rapport cette offensive, comme celles qui opposent le Chef de l’Etat Tunisien au Président islamiste du Parlement, ne sont pas de nature à faciliter une prise de position claire et déterminée contre la politique turque et contre toutes les interventions étrangères en Libye. 

A l’occasion de la publication du rapport sur « Acteurs religieux dans la gestion de la pandémie de COVID19 au Sahel », en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer, Dr. Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies (Dakar-Niamey) a accordé un entretien au Quotidien sénégalais l’Enquête sur les grandes lignes de cette étude mais aussi les enjeux de la gouvernance du religieux au Sénégal.

Dr. Sambe est aussi enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, au Centre d’étude des religions (CER). Il a récemment publié un ouvrage édité au Canada intitulé « Contestations islamisées, le Sénégal entre diplomatie d’influence et Islam politique ». Enquête réalisée par Abba Bâ.

 

Vous avez publié ce 3 juin une note d’analyse sur les réponses des acteurs religieux à la pandémie dans les pays du G5 Sahel plus le Sénégal.  Quel est votre  constat dans le sahel  en général et au Sénégal en particulier ?

Cette étude qui a été réalisée en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer (Bureau de Dakar) a permis de mener une veille sur la situation des pas du Sahel avec aussi bien des équipes à partir de Dakar que sur le terrain avec notre réseau de chercheurs. Nous avons pu voir comment les réponses des acteurs religieux  face au COVID pourraient être classifiées en trois catégories : actions volontaristes de leur propre initiative, des contributions à des projets portés par l’Etat mais aussi actions contestataires des dispositifs mis en place par l’Etat surtout dans le cadre de la gestion du culte en période de pandémie.

Comment vous avez pu mener cette étude de terrain en cette période de crise sanitaire ?

Il nous a fallu adapter notre méthodologie à causes des restrictions des déplacements dans les principaux pays ciblés par l’étude. Nous avons ainsi combiné deux procédés : D’abord, la méthode dite de netnographie – analyse des situations par le biais des contenus Internet et des réseaux sociaux en prenant en compte toutes les considérations éthiques réfléchies selon les spécificités et les contextes des objets appréhendés. Ensuite l’immersion intensive au sein des communautés en ligne est essentielle pour atteindre une compréhension profonde et les interactions observées, comme pour n’importe quel terrain classique de recherche. Ce second volet a été pris en charge par nos chercheurs associés présents dans ces différents pays. C’est aussi cela l’une des leçons de cette pandémie qui a poussé à explorer toutes les possibilités alternatives.

Quels sont les impacts de la pandémie sur le domaine religieux ?

Les pays africains ont vite compris dès le début de la pandémie que la seule phase gagnable pour eux était celle de la prévention. Ayant impacté tous les domaines d’activités et secteurs socioéconomiques, la pandémie a eu des conséquences sur le domaine religieux qui reste d’une certaine importance dans cette région peu influencé par le mouvement général de la sécularisation et du recul théorisé du religieux. Il nous a donc semblé intéressant de jauger la manière dont la pandémie et sa gestion ont affecté le champ religieux à travers plusieurs variables. Des mesures et diverses dispositions dont le but était de réguler le culte dans le cadre de précautions hygiéniques et sanitaires ont été prises par les pouvoirs publics. Pendant que certains États ont mis en place des mesures plus strictes en fermant les lieux de culte, d’autres ont opté pour un dialogue ouvert avec les acteurs religieux privilégiant la négociation et l’implication communautaire. Dans ce sillage, des observateurs analysent ce dernier choix comme une déresponsabilisation de l’État souverain, pendant que d’autres y voient une mise en pratique du principe de laïcité impliquant la séparation des pouvoirs temporel et spirituel. Au Mali, l’Etat a renvoyé la balle dans le camp des religieux en demandant au Haut Conseil Islamique de prendre les mesures idoines ; ce qui s’est traduit par un laisser aller avec des risques de propagation du virus avancés par certains. Au Niger, les fidèles sont venus prier en s’entassant sur la devanture des lieux de culte fermés par mesure sanitaire.

 

On a noté que parmi les mesures prises au début de la crise sanitaire par l’Etat du Sénégal pour freiner la propagation, il y avait l’interdiction des rassemblements sans mentionner la fermeture des lieux de cultes alors que pour l’assouplissement, il a été bien mentionné ouverture de ces lieux. Quelle analyse faites-vous de cette communication de l’Etat ?

La question religieuse a toujours été gérée de cette sorte au Sénégal sans stratégie directrice à long terme mais avec un procédé à la carte. Pour la fermeture des lieux de culte, l’Etat a mis en avant l’Administration territoriale et au cas par cas et pour la réouverture, le président s’est mis a devant de la scène espérant en tirer un gain politique. Il y a eu, d’une part, des pressions sur les autorités et certains n’ont pas accepté la réouverture officielle annoncée par le Président lui-même qui a fini par prier dans sa résidence lors de la Korité. Il y des inconséquences dans la gestion du religieux dans ce pays. On l’a toujours constaté sur de grandes questions : la laïcité, la question de la mendicité, du voile dans les écoles catholiques etc. Chaque régime laisse au suivant les « patates chaudes » religieuses. On a appliqué des solutions conjoncturelles à des problèmes structurels au risque de retours de bâtons mettant en rude épreuve l’autorité de l’Etat. A chaque rentrée les mêmes problèmes reviennent.

Des acteurs religieux ont parfois désavoué les décisions étatiques que ce soit pour la fermeture ou l’ouverture des lieux de cultes. Peut-on parler de la superpuissance des religieux ou d’une déresponsabilisation de l’état souverain ?

C’est une spécificité sénégalaise que certains appelle un « contrat social » qui peut aller de la négociation au compromis que j’appelle des consensus mous en passant par des fuites en avant de la part des politiques. Vous retrouverez cette attitude aussi bien chez les tenants du pouvoir que dans l’opposition. Notre Etat ne s’est jamais donné les instruments d’une gouvernance du religieux au prix de tâtonnements et de contradictions sur de nombreuses questions. La gestion du culte lors d’une pandémie a été révélatrice de ces carences traînées depuis l’indépendance. Je crois personnellement que ce sont les calculs politiques et électoralistes qui ont mené à cette impasse. Mais gouverner, en dehors de prévoir, c’est aussi prendre des risques et assumer des responsabilités. L’exemple du Mali est là pour nous édifier. L’Imam Dicko dont tout le monde parle actuellement avait fait annuler, par la mobilisation de la rue et la pression sur le Président qui a reculé, un projet de code de la famille voté en 2009 à une forte majorité par l’Assemblée nationale. Les opposants qui l’adulaient jadis en tant qu’alliés politiques sont obligés de lui faire face. Après avoir poussé le premier ministre Soumeylou Boubeye Maïga à la démission en 2019, il veut aujourd’hui chasser son ancien allié IBK, un président démocratiquement élu malgré une gouvernance qui reste à désirer. Ces alliances et compromissions finissent souvent ainsi et contre leurs propres auteurs.

Le Sénégal est l’un des rares pays du sahel encore épargnés par les attaques terroristes.  Son islam modéré avec l’existence des confréries  a souvent été cité comme une explication à cette situation. Cependant avec la pandémie, on a remarqué que les confréries peuvent aussi être radicales.  La crise sanitaire n’a-t-elle pas dévoile les limites de l’islam confrérique ?   

Je me suis déjà largement étendu sur cette question. Etre un ilot de stabilité dans un océan d’instabilité, n’est pas simplement une faveur ; c’est une responsabilité et doit être une motivation supplémentaire de s’atteler dès maintenant à une vraie politique de prévention.

On a aussi noté des critiques des citoyens envers certaines décisions des religieux. Est-ce une démystification du religieux?

Dans l’ensemble, les sénégalais restent assez respectueux des guides religieux. Ils deviennent toutefois assez exigeants sur l’exemplarité et, les jeunes, surtout, font de plus en plus la différence entre leur engagement politique et leur affiliation religieuse. Cette dynamique est due, d’abord,  à une forme de démocratisation des modes d’accès au savoir religieux à l’ère du numérique en présence d’une diversification des offres sur le marché religieux dans un contexte d’une mondialisation du croire. Les figures historiques de l’islam au Sénégal de même que la génération fondatrice demeurent des références malgré l’avènement de nouveaux courants et de l’évolution des mentalités dont il faudra prendre conscience dans le discours religieux.

Selon vous quel rapport devrait exister entre l'État et les chefs religieux?

Ce sont les rapports définis dans notre Constitution. Nos spécificités ont permis une bonne cohabitation. Tant que chacun reste dans son rôle et œuvre pour une complémentarité constructive, le modèle sénégalais pourrait encore fonctionner. La manipulation des symboles religieux pour des motifs politiques n’a jamais servi ni le politique ni le religieux. Dans le cadre de la gestion du covid19, la complémentarité a bien fonctionné. Les religieux ont joué un rôle important dans la solidarité et la résilience. Certains responsables religieux ont pris toutes leurs responsabilités pour appeler les fidèles à se conformer aux règles édictées. De même, le cadre Unitaire de l’Islam au Sénégal ainsi que l’Eglise catholique ont joué un important rôle dans la prévention et ils poursuivent ces efforts auprès des communautés.

Des scientifiques ont parlé des ablutions comme facteur de prévention contre la covid19. Selon vous pourquoi l'Etat n'a pas communiqué sur ça? 

Je ne suis pas compétent en matière d’hygiène publique ou de politiques sanitaire. Une question à poser aux autorités sanitaires qui doivent être les plus écoutés dans le gestion d’une pandémie bien que le religieux ait eu un rôle de réarmement moral et de solidarité dans le renforcement de la résilience.

Il y a une surmédiatisation de la pandémie qui fait que les gens ont tendance à oublier les violences habituelles dans le sahel. Quelle est la situation du djihadisme et des conflits intercommunautaires dans les pays tels que le Burkina Faso et le Mali?

Il est vrai que la pandémie a occupé les devants de la scène médiatique pendant que les attaques continuent de plus belle. C’est le cas au Niger sur ses deux fronts du Liptako et du Bassin du Lac Tchad, de même qu’au Mali où il n’y a pas eu de répit ni au centre ni au Nord pendant que Boko Haram par ses différentes factions harcèle différent pays. Il y a aussi les conflits intercommunautaires au Burkina Faso et au Centre du Mali avec des risques de propagation si certains jouent davantage avec la fibre identitaire. L’option du tout-sécuritaire n’a pas produit les résultats escomptés. Il faut aussi bien de la prévention en amont, une réduction des inégalités criantes et des vulnérabilités socioéconomiques des jeunes que des stratégies civilo-militaires dans les régions affectées comme la zone dite des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Les pays côtiers encore relativement épargnés aussi doivent rendre compte de la nécessité de politiques de préventions avec une démarche inclusive et holistique. Les partenaires internationaux des pays du Sahel doivent aussi changer de paradigme et écouter le terrain et les communautés. Même s’ils perdent la guerre contre le terrorisme pour l’instant, ils doivent au moins commencer par gagner la paix avec les populations locales.

 

Le développement des groupes qui menacent la sécurité des populations et des pays, à différentes échelles, du plus local au global, n’est pas étranger à l’effondrement ou à l’affaiblissement des Etats, comme en témoignent les précédents somalien, irakien, yougoslave, et comme on le voit aujourd’hui dans divers pays dont la Libye. Dans ce pays, une insurrection mit fin, en 2011, à plus de 40 ans de règne dictatorial de Mouammar Kadhafi  (1942 -2011), à l’issue d’une guerre civile soutenue par une coalition internationale, sous mandat des Nations Unies, et dirigée par la France dans le cadre de l’opération Harmattan. Depuis, la Libye, vit simultanément les conséquences de la politique menée par Kadhafi, la résurgence des structures tribales étouffées par la dictature  mais sans réellement disparaître,  le poids des interventions étrangères et les affrontements entre groupes armés d’idéologies aussi meurtrières que les armes que leur fournissent généreusement les puissances internationales et régionales intéressées, avant tout, par les richesses de l’un des pays les  vastes du continent africain.

Le régime politique instauré par Kadhafi a conduit à l’affaiblissement des institutions antérieures au profit d’une autocratie faisant de sa personne la clef de voute de l’Etat, en tant que « guide » d’une « révolution permanente » et d’un système populiste appelé la « Jamahiriya », (auto-gouvernement des masses), où il joue le rôle de médiateur-arbitre entre les composantes d’une société structurée par les solidarités tribales et vivant de la rente des hydrocarbures et du recours massif à une main-d’œuvre étrangère. Dès la chute du régime de Kadhafi, les clivages historiques entre la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan ont ressurgi. Le Conseil National de transition, mis en place au lendemain de l’effondrement de la «Jamahiriya», a essayé de réunir des représentants des  régions, des tribus, des villes et des milices locales qui ont participé à l’insurrection, dans l’espoir de reconstruire l’État, restaurer les infrastructures économiques, et prévenir les séparatismes. Cependant, depuis 2011, le pays a sombré dans un chaos qui a débouché, dès 2014, sur une guerre opposant des gouvernements autoproclamés, avec des soutiens étrangers et l’implication de milices et de divers groupes armés mobilisant des solidarités claniques, tribales, ethniques ou supranationales. Les pays limitrophes de la Libye, dont la Tunisie, l’Algérie, le Mali, le Tchad et l’Egypte sont directement menacés par les conflits qui déchirent le pays et par les effets de la confrontation entre les puissances étrangères soutenant les différentes factions qui se disputent le pouvoir et les richesses du pays.

Dakar – L’Initiative de SM le Roi Mohammed VI d’accorder des aides médicales pour accompagner des pays africains dans leurs efforts de lutte contre la pandémie du Covid-19, revêt une importance particulière et constitue un geste symbolique dans un contexte particulier et inédit, a souligné le directeur du think tank africain “Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies”, Bakary Sambe.

“Le geste de SM le Roi du Maroc garde toute sa symbolique dans un contexte particulier et inédit où l’Afrique est frappée par une crise qui n’épargne pas ses partenaires internationaux”, a confié à la MAP, M. Sambe, également professeur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, au Sénégal.

“Cette situation, dont l’enjeu a été bien intégrée dans le cadre de l’initiative portée par SM le Roi Mohammed VI, a permis de tester aussi bien les capacités que la réactivité du Maroc qui a pu se déployer non seulement sur sa situation interne mais aussi en aide à ses partenaires africains”, a-t-il dit.

Le geste du Maroc en direction des pays africains frères s’inscrit dans la continuité de l’initiative prise par SM le Roi Mohammed VI au mois d’avril, dès le début de la pandémie, “en mettant en avant l’impérieuse nécessité d’une coopération Sud-Sud”, a poursuivi M. Sambe, notant qu'”une telle dynamique est inscrite dans l’histoire commune et le destin africain partagé, bien avant les indépendances, dans le cadre du Groupe de Casablanca, ayant débouché sur le projet d’Union africaine”.

“Entérinant un leadership continental porté par une option africaine assumée dans la diplomatie marocaine, cette initiative montre, en outre, que des pôles d’émergence peuvent s’affirmer à partir du continent dans des situations de crise en tant que levier d’une résilience face à cette pandémie du Covid-19”, a-t-il ajouté.

Revenant sur la dimension de cette initiative royale et sur les moyens mobilisés pour sa mise en œuvre, le directeur du “Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies” a relevé que le déploiement de cette importante opération de solidarité couvrant 15 pays de manière presque instantanée, est “le signe d’un réel dynamisme africain basé sur la créativité et l’innovation endogènes. L’ensemble du matériel dont le Royaume a doté ses pairs africains étant conçu et fabriqué au Maroc même”.

Et M. Sambe de noter que cet élan de solidarité inter-africaine “débordant largement les partenaires traditionnels du Maroc” pour toucher d’autres pays sur le continent, “montre que l’option africaine de la diplomatie marocaine ne relève pas d’une approche purement théorique mais s’inscrit dans un certain pragmatisme orienté vers l’action”.

Une initiative qui intervient à un moment où les incertitudes qui planent sur les nouveaux rapports internationaux devraient inspirer une réelle redynamisation de la coopération Sud-Sud, a-t-il conclu.

SM le Roi Mohammed VI avait donné Ses Très Hautes Instructions pour l’acheminement d’aides médicales à plusieurs pays africains frères afin de les accompagner dans leurs efforts de lutte contre la pandémie du COVID-19.

Ces aides bénéficient à 15 pays africains, appartenant à toutes les sous-régions du continent, à savoir : le Burkina Faso, le Cameroun, les Comores, le Congo, Eswatini, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Malawi, la Mauritanie, le Niger, la République Démocratique du Congo, le Sénégal, la Tanzanie, le Tchad et la Zambie.

Au Mali, les insurrections indépendantistes, puis djihadistes menées par les groupes liés à Al-Qaïda et au groupe Etat islamique, ainsi que les violences intercommunautaires, ont fait des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés. Le président malien est de plus en plus contesté face à cette insécurité grandissante. L'imam charismatique Mahmoud Dicko, du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) se positionne comme une figure clef de la crise Malienne. Arzouma Kompaoré a joint l’expert Bakary Sambe, directeur de l’institut Timbuktu pour un analyse de la situation.

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Source : www.voaafrique.com

 

Dr. Bakary Sambe.

The Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies was set up in Dakar (Senegal) in 2016 as a research center that promotes trans-disciplinary approaches to issues related to religious radicalism.

That includes issues such as dealing with diseases and health crises, such as the coronavirus.

The institute recently joined with the Konrad Adenauer Foundation for Interreligious Dialogue in Africa and published a study called: "Responses of Religious Leaders to the COVID-19 Pandemic in the Sahel".

It was released on June 5.

And to find out more about it, La Croix Africa's Lucie Sarr spoke with the Timbuktu Institute's executive director, Dr. Bakary Sambe, who is also a professor-researcher at the Gaston Berger University of Saint-Louis in Senegal.

La Croix: How have the different religious denominations dealt with the COVID-19 pandemic in the Sahel?

Bakary Sambe: With the COVID-19 pandemic, the different faiths have invested in prevention.

Religious communities became well-aware that prevention was the only phase that...

states could win, in view of their shortcomings in terms of health.

In Burkina Faso, for example, a form of religious and interreligious synergy has been noted, in particular with the Federation of Islamic Associations of Burkina Faso, but also with the Catholic Church, which played a very important role.

In Senegal, religious health officials and other religious structures, such as the Cadre Unitaire de l'islam in Sénégal, have joined forces.

The Catholic Church, for its part, took firm decisions very early on by imposing the closure of its places of worship.

Similarly, the general khalife (a spiritual guide) of the Tijānī Order (an important brotherhood in Senegal) took measures to protect health and hygiene by closing the mosques in the holy city of Tivaouane as well as the other mosques that depend on this brotherhood.

He also decided to support the residents of the Quranic schools by ensuring their food, aided in this by religious figures such as Serigne Sheikh Tidiane Sy Al Amine and the think-tank Propec'Tiv near the Tijaniyya.

In the same vein, the general khalife of the Mouride brotherhood - another Senegalese brotherhood - has contributed 200 million CFA francs (more than €300,000) to the COVID-19 Resilience Fund set up by Senegalese Head of State, Macky Sall.

In the Goundam Circle in the Timbuktu region in Mali, religions have taken up the issue of prevention.

It can therefore be affirmed that religion has played a very important role in terms of prevention and awareness-raising, showing once again its inescapable role in Sahelian societies.

The clerics have contributed to resilience through the moral rearmament of loyal citizens in the States suffering from fragility and insufficient resources to cope effectively with such a pandemic.

Have religious leaders pushed for the reopening of places of worship?

It is striking to note how the States of the sub-region (in particular, Mali, Senegal and Niger) were able to be disarmed in the management of religious questions during this pandemic.

These religious issues have always been the subject of consensus or negotiations depending on the balance of power or socio-political stakes.

In reality, the particular context of the management of a pandemic only accentuated the contradictions that were already present in the complex interaction between political and religious actors.

Beyond the observation of the undiminished impact of the clerics and the practice of worship, one should note the social legitimacy of religious leaders who often seem to take the place of political leaders in some States.

As a result, we have witnessed a form of clash of legitimacies between these two types of players, which reveals that many other societal issues will be subject to this same competition, not to mention there being a fear of confrontation.

Some States have been pressured to open mosques, such as Senegal - although politicians deny it - and Niger, where, despite the ban, the faithful were in front of the mosques in close ranks, defying political authority.

In Mali, the State did not even dare to legislate on the matter, and put the ball back in the court of the Islamic High Council.

This kind of attitude leads to the phenomenon we see today, with religious actors imposing themselves as political actors [for example, Imam Mahmoud Dicko in Mali, editor's note].

They also benefit from the strategy of politicians who try to find, in the religious, the legitimacy they do not have in political life.

What can we learn from this crisis?

Despite the controversial debates raised in the note from the Centre d'analyse et prévision et de stratégie (CAPS) in Paris regarding the possible effects of COVID-19 in West Africa, we can see the relevance of the place it gives to religious leaders and their various roles, especially in times of crisis.

Our study has shown that our countries are suffering from insufficient investment and resources in the health sector after decades of strong privatization in the framework of structural adjustment policies.

In this context, the cleric plays the role of social integrator, which is accentuated in times of crisis.

Likewise, it can be noted that the solidarity system that worked during this pandemic and which brings to mind the collective dimension of religious sentiment still remains one of the reasons for the centrality of clerics in Sahelian societies.

This crisis was, in short, a test to see how our States could react in a health crisis situation.

It showed that they were not very well prepared with regard to the religious question because now there is a real paradox in the Sahelian sub-region: the States declare themselves to be secular, yet manage the religious leaders, which becomes a political and security issue.

Their management of the religious is in a trial and error form since they have always only partially dealt with religious questions in a contextual manner, whereas a real governance of the religious is increasingly necessary in view of the important stakes involved.

Source: https://international.la-croix.com/

L’attaque ce matin d’un poste militaire à Kafolo, dans le nord-est de la Côte d'Ivoire, à la frontière avec le Burkina Faso a fait une "dizaine de victimes" selon l’état-major voirien. Est-ce un nouveau front pour les mouvements djihadistes au Sahel? Bagassi Koura a joint Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies à Dakar.

Pour écouter Dr Bakary Sambe

Face à la crise sanitaire et humaine déclenchée par la Covid-19 dans le monde, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a souligné le rôle crucial des chefs religieux pour promouvoir la solidarité dans la bataille contre la pandémie.

(Note aux lecteurs : nous utilisons désormais le mot Covid-19 au féminin comme le recommande l’Académie française plutôt qu’au masculin. Covid est l'abréviation du terme anglais «Coronavirus disease» qui se traduit par «maladie du coronavirus». «Maladie» étant un mot féminin la règle est d'employer le féminin quand on utilise le terme Covid)

« Nous sommes tous vulnérables - et cette vulnérabilité partagée révèle notre humanité commune. Elle met à nu notre responsabilité de promouvoir la solidarité comme fondement de notre réponse - une solidarité fondée sur les droits de l'homme et la dignité humaine de tous », a déclaré M. Guterres lors d’une visioconférence de haut niveau sur le rôle des dirigeants religieux dans la réponse aux défis de la Covid-19.

Le Président de l’Assemblée générale des Nations Unies, Tijjani Muhammad Bande, le Haut-Représentant de l’Alliance des civilisations des Nations Unies, Miguel Angel Moratinos, le Conseiller spécial du Secrétaire général pour la prévention du génocide, Adama Dieng, ont également participé à cette conférence, ainsi que des chefs religieux catholique, juif et musulman, respectivement le cardinal Miguel Angel Ayuso Guixot, le rabbin Arthur Schneier et le secrétaire général de la Rabita Mohammadia des Oulémas du Maroc, Ahmed Abbadi.

Mettre de côté nos différences

Selon le Secrétaire général de l’ONU, cette pandémie met en évidence le rôle « crucial » des chefs religieux dans leurs communautés et au-delà.

« Nous savons des crises de santé publique précédentes - du VIH/sida à Ebola - que les actions des chefs religieux influencent les valeurs, les attitudes, les comportements et les actions des gens », a-t-il ajouté. « Et avec cette influence vient la responsabilité de travailler ensemble, de mettre de côté les différences et de traduire nos valeurs communes en action ».

Le chef de l’ONU a souligné quatre domaines dans lesquels les chefs religieux peuvent jouer un rôle central pour proposer des solutions permettant de lutter contre la pandémie et de mieux se relever.
Il a tout d'abord remercié les chefs religieux d'avoir soutenu son appel à un cessez-le-feu mondial « afin que nous puissions ensemble nous concentrer sur la lutte contre notre ennemi commun – la Covid-19 ». Mais il a noté que des conflits font toujours rage dans de nombreux endroits et que l'ethno-nationalisme, la stigmatisation et les discours de haine ciblant les communautés vulnérables sont en hausse. 

Il a donc demandé aux chefs religieux « de dénoncer activement les messages inexacts et nuisibles et d'encourager toutes les communautés à promouvoir la non-violence et à rejeter la xénophobie, le racisme et toutes les formes d'intolérance ».

Le Secrétaire général s’est aussi déclaré inquiet de l’augmentation alarmante de la violence contre les femmes et les filles. Il a appelé les chefs religieux « à condamner catégoriquement ces actes et à soutenir les principes communs de partenariat, d'égalité, de respect et de compassion ».

Face à la propagation de la désinformation, M. Guterres a demandé aux chefs religieux de tirer parti de leurs réseaux et de leurs capacités de communication pour aider les gouvernements à promouvoir les mesures de santé publique recommandées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) - de l'éloignement physique à une bonne hygiène - et pour garantir que les activités confessionnelles, y compris le culte, les cérémonies religieuses et les pratiques funéraires, se conforment à ces mesures.

Enfin, alors que la grande majorité des écoles et universités sont fermées, le Secrétaire général a exhorté les chefs religieux à soutenir la continuité de l'éducation, en travaillant avec les prestataires de services éducatifs pour trouver des solutions afin que l'apprentissage ne s'arrête jamais.

Le Président de l’Assemblée générale des Nations Unies, Tijjani Muhammad Bande, a également souligné le rôle important joué par les organisations confessionnelles et les chefs religieux en temps de crise.

« Ils fournissent des services aux pauvres et donnent de l'espoir aux désespérés », a-t-il noté. « La foi a une place unique dans nos vies, en particulier en ce qui concerne la façon de traiter les autres comme nous aimerions être traités. En période de grande anxiété, la foi peut être une source importante de confort et de résilience communautaire ».

Le chef de l’Alliance des civilisations plaide pour une action coordonnée

Le Haut-Représentant de l’Alliance des civilisations des Nations Unies, Miguel Angel Moratinos, a également plaidé pour « une action coordonnée, décisive et inclusive des acteurs étatiques et non étatiques, y compris les chefs religieux et les organisations confessionnelles », face à la crise de la Covid-19.

« Dans les crises qui bouleversent la vie, lorsque les gens sont désespérés, la foi est souvent leur point d’ancrage et le lieu vers lequel ils se tournent pour se consoler et espérer. C'est là que le rôle des chefs religieux entre en jeu », a-t-il dit.

Dans ce contexte, il a jugé « encourageant de voir combien de chefs religieux et de communautés de foi ont agi rapidement et se sont placés en première ligne en fournissant des services précieux à leurs communautés ».
Selon M. Moratinos, de nombreux chefs religieux ont une capacité de mobilisation ainsi que la confiance des communautés qu'ils servent.

« Ils ont la responsabilité de promouvoir les messages sur l'égalité des sexes; de dénoncer la stigmatisation et les discours de haine; de dissiper la désinformation et les rumeurs; de défendre l'inclusion des populations vulnérables (…); de plaider pour leurs droits et l'accès aux diagnostic, aux traitements et aux vaccins; de partager des informations précises fondées sur des preuves; et de s'opposer publiquement aux déclarations et actes encourageant la violence et les violations des droits de l'homme », a-t-il ajouté.

Source: https://news.un.org/

Cette note d'Analyse n°1 est réalisée dans le cadre d'une série d'études avec le soutien de la Fondation Konrad Adenauer (Dakar) sur les réponses des sociétés civiles à la pandémie de covid-19 au Sahel

L’expression « village planétaire » n’a jamais été aussi d’actualité que dans ce contexte de pandémie de COVID-19 qui fait actuellement infléchir la planète entière indépendamment du niveau d’industrialisation ou de développement. Considérée comme la première véritable épidémie de la mondialisation, la COVID-19 a instauré une forme d’égalité de condition entre Nations et continents.

D’une conception lointaine que l’on se faisait ironiquement du « virus chinois », on est très vite arrivé à une crise sanitaire mondiale aux conséquences incalculables dont l’Afrique n’a pu échapper. Aucun des 54 pays du continent n’est aujourd’hui épargné par la pandémie avec, à ce jour, un lourd bilan en moins de trois mois : +100 000 cas et +3 000 décès selon le Centre pour la prévention et le contrôle des maladies de l’Union Africaine.

Depuis l’enregistrement du premier cas de COVID-19 au Nigéria fin février, il a fallu seulement quelques semaines au virus pour qu’il touche tous les pays comme pour s’accommoder à l’environnement sahélien. 

Face à cette situation les États de la région ont mis en place des plans de riposte pour gérer la nouvelle donne. À défaut d’opter pour un confinement avec tous les moyens que cela nécessite, des mesures ont été prises telles que la fermeture des frontières, l’instauration de l’état d’urgence assortie d’un couvre-feu dont les horaires sont variables d’un État sahélien à un autre, l’interdiction des rassemblements publics sans mention expresse sur la fermeture des lieux de culte, etc.

Ayant touché à l’ensemble des domaines d’activités et des secteurs socioéconomiques, la pandémie a aussi impacté le domaine religieux qui est d’une importance capitale dans cette région qui semble moins affectée que beaucoup d’autres par les effets de la sécularisation et du recul théorisé du religieux. Ce dernier conserve toute sa vigueur dans les sociétés sahéliennes.

Au regard de l’importance que revêt le champ religieux dans les dynamiques sociétales au Sahel, il a semblé intéressant d’interroger la manière dont la pandémie et sa gestion l’ont affecté à travers plusieurs variables.

C’est dans cette perspective que s’inscrit la présente recherche préliminaire s’intéressant aux acteurs et discours religieux ainsi que leur rapport avec la gestion de la pandémie dans les différents pays du Sahel.

Même si dans l’ensemble, les discours religieux se sont illustrés, dès le début de la pandémie, à travers leur adhésion à la plupart des mesures pour l’essentiel inédites, les acteurs religieux n’ont pas toujours eu des positions unanimes sur les décisions politiques et administratives régulant le culte et le domaine du sacré dans cette période spécifique.

Certes le domaine du sacré a toujours été en interaction avec celui du politique dans ces pays, mais ces derniers mois ont été marqués par un ensemble de mesures et de dispositions dont le but était de réguler le culte dans le cadre de précautions hygiéniques et sanitaires. 

Pendant que certains États ont mis en place des mesures plus strictes en fermant les lieux de culte quitte à faire passer certaines autorités comme des « ennemis de la religion », d’autres ont opté pour un dialogue ouvert avec les acteurs religieux privilégiant la négociation. Dans ce sillage, des observateurs analysent ce dernier choix comme une déresponsabilisation de l’État souverain, pendant que d’autres y voient une mise en pratique du principe de laïcité impliquant la séparation des pouvoirs temporel et spirituel.

Dans l’espace sahélien, aussi limitatives que les mesures puissent paraître les attitudes des acteurs religieux pourraient être classifiées en trois catégories selon qu’elles soient volontaristes, collaboratives ou contestataires.

Du fait de la difficulté matérielle de mener des enquêtes de terrain au regard de la situation sanitaire, une équipe de veille a été mobilisée qui s’est appuyée sur une netnographie analytique. En fait, la situation des différents pays analysée a été suivie au jour le jour avec un focus sur les interactions entre autorités politiques et acteurs religieux autour de la gestion d’une question sanitaire.

Cette  note d’analyse traite des différentes actions et discours religieux face aux mesures restrictives liées à la gestion de la pandémie de COVID-19 dans les pays du G5 Sahel et au Sénégal sous l’angle du triptyque relatif aux actions volontaristes, aux initiatives contributives et aux actions contestataires défiant l’autorité politique.

La pandémie de Covid-19 a de nouveau illustré les ambiguïtés et les lacunes de la gouvernance du religieux par l’Etat sénégalais (source Le Monde)

Tribune. Faut-il y voir une simple contradiction ou l’illustration d’une tendance de fond ? Alors que l’Etat sénégalais, sous pression, a « autorisé » la réouverture des mosquées au public en pleine pandémie de coronavirus, pour l’Aïd el-Fitr, le président Macky Sall est resté prier dans sa résidence de Mermoz, en contradiction avec la « tradition républicaine ».

En réalité, le Sénégal vit pleinement le paradoxe des Etats laïcs devant gouverner le religieux sans autorité de régulation du culte acceptée de toutes les communautés. Le schéma d’une « exception sénégalaise » dans ce domaine a bien changé. L’analyse des discours depuis plus d’une décennie montre qu’il faudra désormais déplacer le curseur de l’islam politique au Sénégal.

Le salafisme wahhabite n’a pas le monopole de l’extrémisme et se montre, même parfois, plus empreint de « modernité » et d’ouverture sur beaucoup de questions comme l’illustre leur position plus conciliante sur la fermeture des mosquées, admise en tant que mesure d’hygiène. Même les autorités s’inscrivent dans la logique de collaboration avec ces mouvances « réformistes » pour leur contrôle ou comme contrepoids aux forces confrériques.

« Consensus mous »

L’autre particularité du Sénégal est que la gestion du religieux est faite de fuites en avant en différant les questions « sensibles ». Chaque régime laisse au suivant la patate chaude religieuse : délimitation du statut et des prérogatives des religieux, réforme de l’enseignement. Le manque de courage politique et des calculs électoralistes sont à l’œuvre, alors qu’il s’agit d’un enjeu vital pour l’avenir du Sénégal.

Ainsi, les mêmes problèmes structurels – liés au statut des écoles coraniques et à la mendicité des enfants ou au conflit entre parents d’élèves musulmans et écoles catholiques sur le port du voile – vont ressurgir à tout moment après des solutions conjoncturelles et politiciennes.

Dès le début de la pandémie, le politique a esquivé le débat en l’abandonnant à des théologiens peu au fait de l’évolution du débat global sur le religieux. Dans ses discours successifs, Macky Sall a joué sur les nuances d’une langue, le français, que la majorité de la population ne comprend pas, à la recherche de « consensus mous ». Une manière d’éviter une prise de position exposant l’autorité centrale.

Pour fermer les mosquées, le président de la République s’est réfugié derrière des décisions administratives. Pour les rouvrir, il s’est mis au-devant de la scène, engrangeant le bénéfice politique. Pour comprendre les dessous d’une telle politique il faut s’arrêter sur trois faits intéressants à analyser.

Cacophonie autour des mosquées

Primo : avec l’assouplissement des mesures préventives, Macky Sall veut s’éviter une islamisation des inévitables contestations à venir, surtout sur le plan socio-économique et politique. Il a dû sentir monter une tension dans laquelle il y avait une convergence de vue de divers acteurs et organisations de la société civile, activistes religieux et porteurs de revendications corporatistes.

Connu pour ne jamais faire face à deux fronts en même temps, Macky Sall, l’ingénieur, disséqua les problèmes : calmer, d’abord, le front religieux dénonçant la fermeture des mosquées et assouplir, ensuite, le couvre-feu pour soulager le monde économique.

Deusio : par un dialogue aux apparences inclusives, Macky Sall a réussi à scinder le champ islamique en se servant de sa multiplicité et de ses divisions. Il s’est occupé des khalifes des confréries, tandis que son ministre de l’intérieur a pris langue avec les autres acteurs, représentants des confréries, réformistes et mouvances salafistes. La cacophonie autour de la réouverture des mosquées a fait le reste du travail politique, offrant en spectacle une scène islamique sénégalaise jamais autant divisée.

En même temps, l’Etat implique des acteurs islamiques devenus collaborateurs agréés pour la sensibilisation sur les mesures hygiéniques. Un acteur très averti des dynamiques politico-religieuses confie : « Quand les forces religieuses sont divisées, c’est en général, la République qui gagne. »

Un éventuel « front islamique »

En plus de désamorcer un éventuel « front islamique » ou pouvant islamiser les contestations, cela a permis de le réduire à plusieurs groupuscules devenus rivaux. Les surenchères interconfrériques montent sur l’ouverture ou non des mosquées ou la tenue des prières dans une atmosphère inespérée de discorde politiquement « utile ». Dans son management des forces religieuses, l’Etat s’est toujours servi des acteurs islamiques « à la carte ».

Tertio : l’Etat a réussi à garder intacts les rapports traditionnels avec les confréries et leur leadership en vue de leur intercession future en cas de tensions, de troubles ou de conflits sociaux. Et nous revoilà en plein cœur de ce « contrat social sénégalais » qui a jusqu’ici fonctionné à merveille. Sauf qu’il faudra être prudent sur l’avenir. Les accointances répétitives avec le pouvoir politique ont dû peser sur la crédibilité du discours confrérique auprès de différentes franges de la population.

L’expérience des quinze dernières années a montré le caractère non déterminant du soutien politique des confréries lors des différentes échéances électorales. Abdoulaye Wade fut élu en 2000, alors qu’Abdou Diouf bénéficiait du soutien de la majorité des marabouts. Macky Sall est arrivé au pouvoir dans un contexte où Abdoulaye Wade a été soutenu comme jamais un homme politique par les confréries.

Le président Sall, en 2019, a été fortement réélu en perdant dans des villes symboliques sur le plan confrérique et religieux. De plus, il y a une diversification poussée de l’offre sur le marché religieux sénégalais où l’islam local est rudement mis à l’épreuve par la mondialisation du croire et une démocratisation émancipatrice de l’accès au savoir religieux. Les disciples citoyens ont, depuis, intégré, une « nouvelle conscience » confrérique, dissociant l’allégeance spirituelle de l’engagement politique.

Au-delà de la gestion conjoncturelle des crises, il va falloir, un jour, affronter la gouvernance du religieux au Sénégal comme ailleurs dans la région. D’importantes questions restent entières. Pour l’heure, l’approche et la vision utilitariste similaires à celles du Bureau des affaires musulmanes au temps de la colonisation dominent la pratique des régimes successifs. Différer éternellement les problèmes ne les résout pas et les fait encore moins disparaître.

Gouverner, en dehors de prévoir, c’est aussi prendre des risques politiques et assumer des responsabilités. Les « consensus mous » ne sont jamais durables, rien que par l’évolution des acteurs et de leurs intérêts. Ceux « supérieurs » doivent guider la conduite des affaires d’un pays, au-delà des logiques de conservation ou de consolidation du pouvoir. Le vrai réalisme est celui qui fait prendre conscience qu’acheter la paix mène souvent à la guerre.

Bakary Sambe est directeur du Timbuktu Institute et enseignant-chercheur au Centre d’étude des religions de l’université Gaston-Berger de Saint-Louis du Sénégal.

www .timbuktu-institute.org