Jeunes, juntes et complaintes au Sahel : Les jeunes sont-ils les inconditionnels des militaires ? Spécial

Préparée par Soary ANDRIAMAHENINA

Stagiaire

 

Depuis l’arrivée des militaires au pouvoir au Burkina Faso, au Mali, au Tchad (dont l’expérience, nous le verrons, diffère de celle des autres pays sahéliens), la région du Sahel a été secouée par des manifestations souvent en faveur des juntes, contre la présence française, ou en demande d’une présence russe. Ces mouvements mobilisent pour la plupart, des jeunes, des organisations de la jeunesse, des étudiants, qui réclament un changement et qui perçoivent le pouvoir des juntes comme une porte ouverte vers ce dernier. Selon le rapport de 2018 du Plan d’appui des Nations Unies pour le Sahel, 52% de la population des pays du Sahel sont âgés de 10 à 24 ans, faisant de cet espace la région la plus jeune au monde. L’objectif de cette note est d’une part, de revenir sur ces manifestations dans leur forme, puis sur leurs racines et les revendications des jeunes. Nous nous attacherons par la suite à la question de savoir si ce sentiment « pro-junte » est partagé dans la région, avant de conclure sur la question suivante : les manifestations sont-elles témoins de l’espoir des jeunes envers les nouvelles juntes ou une contestation plus profonde de l’ancien système ?

 

Entre slogans anti-français et pro-russes clamés par les jeunes manifestants, d’autres bruits se font entendre, ceux du soutien envers l’armée au pouvoir. À leur arrivée au pouvoir, les militaires burkinabés ont été salués par la rue, qui voient la défaite de l’ex-président Kaboré comme une victoire du peuple. Au Mali, le soutien fervent envers l’armée se mêle à la contestation de la France et de la CEDEAO. Les jeunes la jugent incapable même d’assurer la sécurité des populations. De même, les discours de la rue sont aussi teintés d’une sorte de nationalisme. On vient défendre la souveraineté du Mali, revendiquer une meilleure considération des forces de sécurité, notamment les militaires.

Cet élan d’enthousiasme et de confiance envers les forces de sécurité est aussi perceptible au Burkina Faso. En effet, parce qu’issu d’une formation militaire, et militaire lui-même, les manifestants considèrent que le lieutenant-colonel Damiba est plus à même de venir à bout de l’insécurité, du fait de sa connaissance du terrain, du moins dans les mois qui ont suivi le coup d’Etat. L’armée est souvent considérée comme une source d’espoir pour ces jeunes qui n’ont connu que Blaise Compaoré, et Roch Marc Christian Kaboré, sans percevoir de réelle différence, entretenant un sentiment d’exclusion chez cette jeunesse qui représente la majorité de la population du Sahel ; elle compte pour deux tiers des habitants du Burkina Faso.

 

Au-delà des manifestations dans les rues, ou des drapeaux sont brandis, d’autres brûlés, le mécontentement des jeunes se fait aussi ressentir sur les plateformes des réseaux sociaux. En effet, ils s’investissent de plus en plus sur des médias et réseaux sociaux tels que Facebook, WhatsApp et ont accès à de nombreuses informations en ligne (quand bien même le doute plane sur la véracité de certaines). Les réseaux sociaux comme Facebook leur permettent aussi d’organiser leurs rassemblements, ou encore de créer des espaces d’échanges, comme le groupe On a tout compris. Si les modes de contestation ont évolué, les revendications ont, elles, des racines plus anciennes, et se fondent sur un sentiment d’injustice et de lassitude, mais aussi de désarroi face aux situations environnantes.

 

En 2011, le Burkina Faso était frappé par une vague de manifestations menées par des jeunes, contre le pouvoir en place, estimant qu’ils n’étaient pas assez écoutés par le gouvernement. Aujourd’hui, on a l’impression que si les jeunes manifestent, c’est avant tout pour soutenir les militaires. Plus particulièrement, les jeunes de la région du Nord se sont sentis abandonnés par leur gouvernement. L’insécurité qui règne dans la région reste la première préoccupation de la population et pourtant, les anciens gouvernements ne semblaient pas assouvir ce besoin. Les massacres de Inata et de Solhan ont constitué des points d’orgue, entraînant des protestations populaires intenses d’une population qui estimait que l’armée pourrait mieux gérer cette situation.

De plus, la jeunesse ne sait en quel avenir croire dans un contexte en perpétuelle dégradation depuis 2015.  Au Mali, ils expliquent que le problème principal est le chômage, de même au Tchad, où 22% des jeunes de moins de 25 ans officiellement en sont victimes. D’autres s’en remettent à d’autres ressorts, tels que l’enrôlement au sein de groupes djihadistes qui garnissent leur rang de jeunes précaires.

En 2020, une communication de l’OTAN expliquait que ces difficultés auxquelles les jeunes étaient confrontés représentaient finalement une source d’insécurité pour les États. Selon la Banque mondiale, la part des jeunes qui ne sont ni en situation d'emploi, ni en études, ni en formation au Burkina Faso était de 41% en 2018 (population des 15-24 ans). Seulement 8% des jeunes burkinabés suivent un parcours en études supérieures, et beaucoup doivent se résoudre à exercer des métiers précaires dans le secteur informel.

L’ex-président Kaboré ne semble pas regretté par ces jeunes, car les changements qu’ils attendaient n’ont pas été au rendez-vous, comme l’ont montré les scènes de liesse qui ont suivi le coup d’État en janvier dernier. Cette démocratie par les urnes ne satisfait pas une jeunesse qui ne se sent pas du tout représentée par une gérontocratie atteinte du syndrome d’usure du pouvoir. Le mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration semble répondre à ces demandes, avec des stratégies qui diffèrent de celles de l’ex-président, comme la création de Comités locaux de dialogue, avec les membres des groupes armés. L’initiative a aussi pour objectif de réintégrer les jeunes qui auraient pu rejoindre ces groupes sans réelle conviction idéologique. En cela, la junte au pouvoir se veut novatrice malgré la forte dose de populisme qui surfe sur le ressentiment. De fait, l’association des jeunes à de tels régimes est plus compréhensible, a fortiori si l’on explore les causes de leur désarroi.

 

La jeunesse malienne a, elle aussi, vécu pour une bonne partie avec la présence de la France, qui s’est investie militairement dans le pays depuis 10 ans. Subissant pour ceux dans les régions les plus difficiles du Nord, les attaques, elle ne voit souvent pas les changements concrets, ni même de potentielles externalités positives à cette présence. Plus que le chômage, les jeunes du Sahel n’ont pas non plus accès à des services de base, tels que l’eau, l’électricité ou la santé. Subissant de plein fouet l’exclusion socioéconomique et politique, ces jeunes se sont sentis victimes ; la corruption gâtant la sphère politique, non seulement alimentent la violence chez ces derniers, mais renforce plus encore leur rejet envers l’État, qu’ils ne voient plus comme un protecteur. Le directeur régional du Timbuktu Institute, Bakary Sambe, évoque souvent le paradoxe d’un État « répressif » assez présent et d’un État « protecteur » qui brille par son absence.

 

Mais ce sentiment est-il partagé par tous les jeunes sahéliens ? L’expérience Tchadienne défend la négative. Les manifestations de la jeunesse, à la fois réservoir électoral et engagée politiquement, se font, cette fois ci, contre la junte, la France et en faveur de la Russie (ce dernier point nous permet de les assimiler aux mouvements dans les autres pays de la région). La junte tchadienne, dirigée par Mahamat Idriss Déby, fils du feu président Idriss Déby Itno, est de plus en plus contestée par la population. Une manifestation s’est par exemple tenue le 14 mai, contre le retard pris par les négociations de Doha. La junte est accusée de vouloir se maintenir au pouvoir, avec l’appui de la France. C’est, donc, à la fois le pouvoir militaire qu’ils contestent, mais aussi la présence de l’ancienne puissance coloniale. L’un des mouvements d’opposition les plus actifs au Tchad aujourd’hui est la Coalition Wakit Tama, dont le leader a été arrêté récemment pour trouble à l’ordre public, entre autres.

Ainsi, on peut observer que la nouvelle junte, bien loin de rassurer les aspirations démocratiques des jeunes, l’étoufferait notamment par la restriction de l’espace d’expression libre. Depuis 2021, cette jeunesse manifeste, mais se retrouve souvent réprimée, des répressions par ailleurs dénoncées par Human Rights Watch. Cela étant dit, il y a parmi ces jeunes aussi, une partie qui soutient le gouvernement en place, qui peut, de fait, être instrumentalisée par le gouvernement. Par exemple, le site Tchad Infos a récemment présenté un article sur le comité des leaders des jeunes, qui prévoit d’organiser en août une journée de reconnaissance envers le Président du Conseil Militaire de Transition « pour sa politique de placement des jeunes dans les instances nationales et internationales de prise de décision ».

De même, au Mali, le 10 mai 2022, une marche a été organisée pour manifester, d’une part, contre les sanctions de la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest contre le Mali, mais aussi, avant tout, pour demander un retour à l’ordre constitutionnel. Le dénominateur commun des manifestations au Tchad, au Mali et au Burkina Faso reste leur caractère antifrançais, d’où l’hostilité tchadienne envers les autorités en place. Le cas du Mali est le plus symptomatique d’une junte qui, à défaut de pouvoir apporter des réponses à une sorte demande sociale étouffée dans le discours populiste et la négation du droit à l’expression des voix contradictoires, cherche sa légitimité dans la contestation de la France, de la CEDEAO et de la communauté internationale. Avec la levée des sanctions de la CEDEAO et le départ de Barkhane, la nouvelle trouvaille de la junte malienne qui chercherait vraisemblablement à maintenir sa popularité jusqu’aux élections est de se réfugier dans la stratégie du « tout le monde contre le Mali », comme dit un jeune de la société civile.

 

Au regard des différents éléments présentés précédemment, nous pouvons nous interroger sur la nature du soutien des jeunes en faveur des juntes. Est-ce réellement la junte qui est défendue, ou l’ancien système dénoncé ? De plus, le discours populiste qui a gagné même les rangs des intellectuels et de la société civile semble étouffer la grogne des déçus et des jeunes qui commencent à perdre leur optimisme d’avant. Il est vrai que les déclarations à consonance nationaliste et « pro-junte », sont finalement toujours accompagnées d’une dénonciation du système précédent et du monde occidental, notamment la France. On le voit au Tchad, où un régime considéré comme soutenu par la France, est, au contraire, vivement dénoncé. Certains manifestants vont même jusqu’à rêver d’un scénario intégrant la « solution russe » pour marquer la rupture définitive avec « l’ancien-nouveau système ».  

Ce phénomène est d’autant plus présent à Bamako, où, aux premiers mois de la junte, les manifestants, encouragés voire appelés par le gouvernement, demandent une transition de cinq ans et s’opposent aux sanctions de la CEDEAO (manifestations du 14 janvier, avant la suspension des sanctions). Aujourd’hui le débat au sein de la jeunesse commence à être très tranché entre les soutiens inconditionnels de la junte et des jeunes activistes que l’engouement pour les bérets n’a pas fait perdre l’envie de démocratie.

Si le pouvoir dénoncée par la CEDÉAO, ou par l’internationale et qualifiée d’illégitime, les jeunes maliens ne la perçoivent pas forcément ainsi. Leur légitimité ne vient pas des urnes certes, mais c’est comme si les jeunes estimaient leurs intérêts mieux représentés par ces hommes en treillis et au pouvoir. Mais ces manifestations ne sont pas sans risques d’être instrumentalisées, récupérées par le pouvoir à Bamako si l’on sait que la junte, ne pouvant plus évoquer ni « l’invasion occidentale » ni les sanctions de la CEDEAO cherchera, dans le discours « populiste » et souverainiste, d’autres moyens de faire durer sa popularité.  Le Tchad permet de créer 5000 emplois au sein de la fonction publique pour les jeunes en 2022, mais ce sont des promesses auxquelles la jeunesse semble ne croire que peu. Les réseaux sociaux sont devenus le nouveau refuge de cette grogne montante lorsque la répression ne laisse pas de marge aux jeunes opposants.

 

Pour conclure, nous pouvons nous demander si l’expression des jeunes dans la rue ne serait pas surtout un témoin de leur manque de représentation dans la sphère politique, et d’un manque d’intégration aux processus décisionnels, pour des questions qui les concernent au premier chef et au quotidien. Une jeune figure de la société civile malienne disait lors d’une réunion organisée par les Nations unies en décembre à Dakar que « les jeunes ne veulent plus être inscrits au cœur des politiques publiques, ils veulent, pour les questions qui les concernent, les concevoir et les mener ». Il est clair que d’après ces dernières évolutions dans la région, non seulement les politiques devraient-elles prendre en compte les problématiques touchant les jeunes, qui rappelons-le, constitue la majeure partie de leur population, mais leurs voix devraient être aussi bien représentées qu’entendues.